Westminster. Un sondage de YouGov a prédit ce jeudi 28 novembre que le Parti conservateur gagnerait 359 sièges, soit une majorité de 68 ; et que le Parti travailliste descendrait au second rang parmi ses pires résultats de l’après-guerre.1 Ce sondage était très attendu. Il prend en compte plus de 100.000 répondants, et s’appuie sur une nouvelle méthodologie qui a déjà prévu l’échec de Theresa May en 2017, quand presque tous les autres sondages indiquaient une forte majorité pour les conservateurs.

Même si ces attentes s’expliquent en partie par le budget marketing considérable de YouGov, les résultats ont été pris au sérieux : suite à la publication du sondage, la livre sterling a atteint son plus haut niveau depuis six mois par rapport à l’euro, les traders ayant plus de confiance en une majorité conservatrice.2 Le message principal de la campagne de Johnson – « Get Brexit Done » (« Faire Aboutir le Brexit ») – semble avoir touché la corde sensible des électeurs pro-Brexit, qui abandonnent en masse le Parti Brexit de Nigel Farage. Ce dernier est réduit à 3 % du vote national et n’est prédit à gagner aucun siège.

Il reste pourtant de nombreux écueils potentiels pour le Parti conservateur. D’abord, le sondage pourrait lui-même réduire la peur que Corbyn ne devienne premier ministre en décembre, un facteur mobilisant pour beaucoup d’électeurs conservateurs potentiels. Barry Gardiner, le Secrétaire d’État au Commerce international, a manifesté son espoir que le sondage apporte un « grand réconfort » aux électeurs tentés de voter pour le Parti conservateur, « pour qu’ils se détendent et se disent : je n’ai pas besoin d’aller voter ».3 Ceci explique pourquoi Dominic Cummings, le stratégiste principal de Johnson, qui anticipait un résultat encourageant dans le sondage mais voulait minimiser son importance, a prévenu les lecteurs de son blog que « les choses sont beaucoup plus serrées qu’il ne semble, et il y a une véritable possibilité d’un Parlement minoritaire ».4

De plus, le sondage a provoqué un changement de tactique parmi les campagnes travailliste et libéral-démocrate. La cheffe de ce dernier, Jo Swinson, s’est rendu compte de l’échec de sa stratégie qui consistait à poursuivre uniquement les électeurs fortement anti-Brexit : sa part potentielle du vote est descendue à 13 %. Immédiatement après le sondage, Swinson a plutôt ciblé le Parti conservateur en affirmant que « Boris Johnson est concerné uniquement par Boris Johnson. […] Boris Johnson se moque de vous et de votre famille. »5 De son côté, Jeremy Corbyn a réalisé qu’il avait surestimé la menace du parti libéral-démocrate tout en ayant négligé sa base électorale traditionnelle dans le nord de l’Angleterre, où il est prévu que plusieurs sièges traditionnellement fidèles aux travaillistes et pro-Brexit tombent des mains de Corbyn. Les deux partis, Liberal Democrats et Labour, semblent diriger leur attention vers le Parti conservateur plutôt que de se faire concurrence pour les électeurs anti-Brexit.

Le « débat des leaders sur le climat » de Channel 4 (28/11/19) a également été une source de malaise pour les conservateurs. Après avoir décidé de ne pas y participer, Johnson a envoyé Michael Gove à sa place, qui avait été Secrétaire d’État à l’Environnement, à l’Alimentation et aux Affaires rurales entre 2017 et 2019. Gove n’a pourtant pas été admis au débat, et la chaîne a mis une sculpture sur glace à la place des partis Conservatives et Brexit (Nigel Farage n’a pas voulu y participer non plus).6 Même si le pays a beaucoup réduit ses émissions CO2 sous un gouvernement conservateur (elles sont actuellement les plus basses depuis 18887), Johnson avait peur de se faire déborder sur les questions du climat par des partis avec des politiques environnementales plus ambitieuses. L’absence de Johnson pendant le débat (et le ridicule qu’il a subi) pourrait le rendre moins crédible sur les questions climatiques.

En parallèle, Johnson est l’objet d’attaques grandissantes vis-à-vis d’un second refus : celui de réaliser une interview avec Andrew Neil, le journaliste de BBC célèbre pour son style acharné et hostile envers les politiciens. Le Parti conservateur a beaucoup profité de l’interview de Corbyn avec Neil, au cours de laquelle le chef du Labour s’est fait immensément attaquer pour sa gestion de l’antisémitisme croissant dans son parti ainsi que pour l’augmentation d’impôts qu’il propose. Johnson ne se montre pourtant pas prêt à subir le même examen approfondi face au ponte du petit écran. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses vidéos circulent, montrant un Johnson peu convaincant quant à sa décision de refuser l’interview avec Neil.8 Ces clips pourraient être tout aussi préjudiciables que des extraits d’un interview désastreux avec Neil lui-même.

Corbyn, pour sa part, a tenté de détourner l’attention publique de sa propre interview avec une grande annonce le 27 novembre dernier : celle d’une « preuve » que Johnson comptait vendre la National Health Service (NHS) aux entreprises américaines.9 Même si les documents qu’il a brandis ne contiennent en réalité pas l’information annoncée, la NHS reste un sujet inquiétant pour beaucoup d’électeurs. Les promesses de Johnson de dépenser davantage là-dessus que les précédents premiers ministres conservateurs ne réussiront pas à convaincre tous les électeurs inquiets.

Finalement, la visite de Donald Trump le 2-4 décembre pour une conférence de l’OTAN pourrait servir de matériel de campagne pour les adversaires de Johnson. Ce dernier profite d’un bon rapport personnel avec Trump mais il ne voudra pas paraître trop proche de lui, ce qui pourrait prêter foi aux théories de Corbyn vis-à-vis de la NHS. Johnson a déjà essayé d’éviter que Trump le soutienne en public. En faisant référence à l’intervention échouée d’Obama pendant le référendum de 2016, Johnson a dit pendant une émission LBC que « en tant qu’alliés et amis chaleureux, en général on ne se mélange pas dans les campagnes électorales des autres »10. Selon un programme provisoire, Trump et Johnson ne se seraient pris en photo ensemble que deux fois pendant la visite.11 Les comparaisons inévitables entre les deux leaders ne bénéficieront pas à Johnson dans un pays très peu favorable à Trump.12