Bruxelles. L’ambition européenne en Arctique est matérialisée depuis septembre 2017 par la création d’un nouveau poste d’ « ambassadeur extraordinaire » européen dédié spécifiquement à la région arctique. Il s’agit de la seule représentation diplomatique européenne auprès d’une région et non auprès d’un pays ou d’une organisation internationale. L’envoi d’un ambassadeur européen dédié à l’Arctique, qui fait suite à la publication de la première stratégie européenne pour la région en 20161, marque la volonté de l’UE de peser davantage sur la scène diplomatique arctique.

C’est Marie-Anne Coninsx qui avait alors été choisie pour représenter l’UE en Arctique. Belge, ancienne ambassadrice européenne au Canada de 2013 à 2017, sa mission principale était de faire valoir les intérêts européens en Arctique et surtout de faire reconnaître l’UE comme un acteur majeur pour la gouvernance régionale. En particulier, il s’agissait de faire obtenir à l’UE le statut d’observateur permanent au Conseil de l’Arctique (CA), qu’elle réclame depuis 2008 mais bloqué par le Canada et la Russie.

Renforcer la position et la légitimité européenne dans la coopération régionale

Alors que l’Union européenne a longtemps été marginalisée dans la gouvernance arctique, la nomination de Marie-Anne Coninsx et son action diplomatique ont donné une nouvelle impulsion aux relations euro-arctiques. Dès sa nomination à l’automne 2017, elle s’est rendue à l’Arctic Circle2, l’une des principales plateformes de dialogue arctique pour prôner la légitimité de l’UE comme acteur de la coopération régionale. L’action diplomatique de Marie-Anne Coninsx a également consisté en la promotion de la stratégie européenne en Arctique, centrée autour de trois piliers : la lutte contre le réchauffement climatique, le développement durable et la coopération régionale. Ainsi, la stratégie européenne s’est essentiellement orientée autour des enjeux environnementaux et de la recherche scientifique, finançant par exemple le réseau de stations de recherche INTERACT3.

Au cours de son mandat d’ambassadrice de l’UE en Arctique, Marie-Anne Coninsx a encouragé de nouvelles orientations pour l’action européenne en Arctique. Tout d’abord, elle a renforcé l’effort de coopération, non seulement avec les pays arctiques, mais aussi avec de nouveaux acteurs, les États observateurs du Conseil de l’Arctique et les populations autochtones. Le symbole d’une telle stratégie est à observer dans l’organisation les 3 et 4 octobre dernier du premier Forum EUArctic, à Umeå en Suède, espace de discussion réunissant des politiques, des scientifiques et des représentants des sociétés locales. Le forum a été l’occasion pour l’UE de se positionner comme acteur incontournable dans le dialogue régional, en affirmant son appartenance géographique à l’Arctique. En organisant le forum en Suède, membre de l’Union européenne et du Conseil de l’Arctique, l’UE a tenu à affirmer sa légitimité en zone arctique, réitérée dans la déclaration conjointe de Marie-Anne Coninsx et de la Suède : « avec trois pays membres de l’UE et deux de l’Espace économique européen, l’Union européenne a un rôle stratégique et des intérêts en Arctique »4. L’accent du Forum EUArctic a été ainsi mis sur les liens diplomatiques entre l’UE et l’Arctique, invitant plusieurs ministres de pays européens extérieurs à la région, comme la Lettonie et Malte, à parler de coopération régionale et des défis communs euro-arctiques (en premier lieu desquels le réchauffement climatique – et sa réponse européenne, le développement économique durable) ; et même des partenaires plus inattendus, comme l’Inde.

L’autre grande orientation de ce forum était le dialogue avec les populations autochtones européennes, c’est-à-dire les populations groenlandaises et les Samis. Ainsi, le Forum a été organisé en partenariat avec le Conseil Saami, dont la présidente Åsa Larsson-Blind a mené la deuxième journée de conférences entièrement consacrée au dialogue avec les populations indigènes. Des représentants des communautés locales étaient invités à s’exprimer aux côtés de diplomates européens délégués aux questions arctiques pour réfléchir à un développement de la région respectant les enjeux, pratiques et connaissances autochtones. Une telle coopération européenne avec les populations locales permet à l’UE de se trouver de nouveaux partenaires dans la gouvernance régionale alors que six organisations autochtones, dont le Conseil Saami, sont membres permanents du Conseil de l’Arctique. 

Vers une réorientation de la stratégie européenne en Arctique autour des questions sécuritaires ?

La stratégie européenne en Arctique semble prendre une autre orientation récente, autour de la promotion des enjeux sécuritaires dans la région. Ainsi, représentant l’UE à la conférence internationale Arctic Circle Assembly, qui a eu lieu du 10 au 13 octobre à Reykjavik, Marie-Anne Coninsx a annoncé que l’UE préparait une nouvelle politique arctique. Celle-ci poursuivrait les orientations déjà données dans le précédent document de 2016, mais qui est considéré comme « dépassé » par l’ambassadrice européenne. La nouvelle politique arctique de l’UE développerait un nouvel axe sécuritaire afin de renforcer la coopération régionale : «  notre nouvelle stratégie devra répondre aux enjeux sécuritaires, parce que les développements dans la région affectent le statuquo sécuritaire »5.

Or il s’agit d’une problématique absente des thématiques de travail du Conseil de l’Arctique. Développer la coopération autour de la sécurité permettrait à l’UE de se rendre plus indépendante par rapport au CA dans la gouvernance régionale. Dans un entretien accordé à High North News6, Marie-Anne Coninsx insiste sur le caractère mondialisé des questions sécuritaires, qui concernent tout autant l’UE que les huit États arctiques : « L’UE n’est pas un État ‘presque arctique’. L’UE est en Arctique. Ce qui se passe en Arctique aura des implications majeures dans des secteurs clés pour l’Union européenne, comme l’énergie, la navigation et l’extraction minière ». 

À travers sa représentante diplomatique officielle, l’Union affirme son identité éminemment arctique, sa volonté et sa légitimité à participer à la gouvernance régionale, malgré son absence de facto aux discussions du Conseil de l’Arctique. Alors que de nouveaux acteurs, comme la Chine, affirment leur rôle dans le dialogue régional, il s’agit pour l’UE de se positionner comme un interlocuteur incontournable. Une telle stratégie diplomatique s’est développée avec Marie-Anne Coninsx autour de deux axes, la coopération avec de nouveaux acteurs et la promotion de nouvelles problématiques régionales. 

Perspectives : 

  • Marie-Anne Coninsx a annoncé le mois dernier prendre sa retraite. Son successeur a été désigné lundi 25 novembre lors de l’ouverture de l’Arctic Futures Symposium, une conférence internationale sur l’Arctique organisée cette année à Bruxelles, afin de renforcer la participation des institutions européennes. Il s’agit de Lars-Gunnar Wigemark, suédois et ancien ambassadeur européen en Bosnie-Herzégovine. Le choix d’un Suédois pour occuper cette fonction démontre la volonté européenne d’affirmer davantage son identité arctique. Reste à savoir si les orientations encouragées par sa prédécesseure seront conservées ou non. 
  • Une nouvelle politique européenne en Arctique est en préparation depuis le 1er novembre, trois ans après première, lancée en 2016. Outre les piliers fondamentaux comme le changement climatique, la protection environnementale et le développement durable, elle devrait s’orienter autour des questions sécuritaires et économiques.