Bogotá. Les organisations syndicales colombiennes ont appelé à une grève nationale ainsi qu’à une manifestation massive dans les grandes villes du pays ce jeudi 21 novembre. L’objectif est d’exprimer leur mécontentement face aux politiques économiques et sociales du gouvernement d’Ivan Duque. D’abord initié par les centrales de travailleurs ouvriers, l’appel à manifester concorde avec les mouvements étudiants qui agitent le pays depuis plus d’un mois. À la veille de la grève, une véritable convergence des mouvements de contestation a eu lieu avec le ralliement de l’essentiel des grands syndicats, dont ceux de l’Éducation supérieure, des communautés indigènes et même le soutien de certains artistes1.

Les protestations visent principalement les réformes économiques du gouvernement, notamment celles du marché du travail et du système de pension, source d’inquiétude majeure pour les Colombiens2. Les organisations étudiantes, quant à elles, revendiquent l’augmentation du budget pour l’Éducation Supérieure et le retrait de l’article 44 du « Budget général de la nation » qui prévoit d’attribuer les fonds prévus pour l’éducation et la santé au remboursement de la dette publique. La dernière revendication commune fondamentale est le retour à la paix. La politique de défense d’Ivan Duque vis-à-vis des rebelles et des narcotrafiquants est pointée du doigt. Les dérapages de l’armée se multiplient dans leur tentative de reprendre le contrôle territorial dans les zones disputées. L’opposition dénonce la perpétuation de la politique des « faux-positifs »3, avec une tendance du gouvernement à vouloir « apporter la paix par la guerre », selon les mots de Roy Barreras4, sénateur et membre du Parti social d’unité nationale.

La gestion des manifestations par les forces de l’ordre est d’ailleurs un motif de contestation à part entière. En première ligne, les violences de l’Esquadrón Móvil Antidisturbios (ESMAD) sont dénoncées par les manifestants. Sa dissolution est même demandée par les syndicats étudiants. À contre-pied de ces violences, l’appel à la manifestation insiste rigoureusement sur son caractère pacifique. Le représentant des étudiants de l’Éducation supérieure Ajelandro Palacio souhaite une protestation « massive et pacifique » en accord avec la « génération de la paix » qu’il représente. Pourtant, de nombreuses forces militaires ont été déployées à Bogotá par le gouvernement afin « d’assurer le rôle de l’État de protection de ses citoyens » selon les mots d’Ivan Duque5.

Plus largement, les causes du mouvement contestataire se trouvent dans un modèle économique néolibéral de plus en plus critiqué. Malgré une enviable croissance de 3,3 % au troisième semestre 2019, le taux de chômage national est repassé au dessus du seuil des 10 %. À cela s’ajoutent de fortes inégalités sociales, notamment dues à un secteur informel toujours très présent et ce malgré les efforts de régularisation du Président6.

Perspectives

  • Au centre des critiques, le chef de l’État est d’ailleurs mis à l’épreuve quand cette grève nationale met directement en cause son gouvernement ainsi que son projet politique et social. Après à peine un an et quatre mois à la tête du pays, son parti Centre démocratique a perdu l’essentiel des grandes municipalités lors des élections régionales de fin novembre et la désapprobation de la politique menée par Ivan Duque s’élève à 69 % dans les dernières enquêtes d’opinion. Témoignage de ces remous politiques, le Ministre de la Défense Guillermo Botero a été poussé à la démission début novembre après que l’opposition a révélé qu’un bombardement de l’armée visant un camp de rebelles a tué 12 adolescents dont une petite fille de 12 ans7.
  • Dans l’espoir d’apaiser la situation, Duque a amorcé un mouvement médiatique dimanche dernier avec l’objectif de se « connecter avec ses concitoyens »8. Il a également annoncé qu’il était prêt à avoir une discussion constructive avec les syndicats pour sortir de la crise. Sa gestion des manifestations du 21 novembre sera déterminante.
  • Une répression violente, avec débordements et blessés, pourrait mettre le feu aux poudres et voir le mouvement s’unifier pour le pousser à la démission à l’instar des mouvements qui ont essaimé dans les pays voisins. Mais plus qu’un simple changement de chef de gouvernement, les protestations pourraient gagner en amplitude et amorcer un changement structurel dans le pays.
Sources
  1. « Los puntos de concentración del paro del 21 de noviembre en Bogotá », El Tiempo, 13/11/2019 https://www.eltiempo.com/vida/educacion/marchas-21-de-noviembre-puntos-de-concentracion-en-bogota-433088
  2. « Estos son los motivos del paro nacional del 21 de noviembre », El Colombiano, 13/11/2019 https://www.elcolombiano.com/colombia/razones-del-paro-nacional-el-proximo-21-de-noviembre-NN11949073
  3. « El Ejército colombiano mató a 10.000 civiles para mejorar las estadísticas en la guerra contra los rebeldes », El diario, en colaboración con The Guardian, 09/05/2018 https://www.eldiario.es/theguardian/Ejercito-colombiano-civiles-falsos-positivos_0_769573313.html
  4. « Roy Barreras : « Las orejas del lobo de la guerra vuelven a asomarse » », La FM, 07/09/2019 https://www.lafm.com.co/politica/roy-barreras-las-orejas-del-lobo-de-la-guerra-vuelven-asomarse
  5. Noticia del Gobierno, Site web de la Présidence, 16/11/2019 https://id.presidencia.gov.co/Paginas/prensa/2019/No-vamos-permitir-que-personas-salgan-ejercer-actos-violencia-vandalismo-tampoco-que-personas-quieran-suplantar-func-191116.aspx
  6. Cristina Fernández et Leonardo Villar, « A Taxonomy of Colombia’s Informal Labor Market », 2016 https://www.repository.fedesarrollo.org.co/bitstream/handle/11445/3304/WP_2016_No_73.pdf?sequence=1&isAllowed=y
  7. « Dimite el ministro de Defensa de Colombia tras el escándalo por la muerte de ocho menores », El País, 07/11/2019 https://elpais.com/internacional/2019/11/07/colombia/1573082828_985201.html
  8. « La ofensiva mediática de Duque a tres días del paro », La Semana, 18/11/2019 https://www.semana.com/nacion/articulo/la-ofensiva-mediatica-de-duque-a-tres-dias-del-paro-nacional-del-21-de-noviembre/640798