Vers un républicanisme soutenable : l’économie politique des nations démocratiques territorialisées

À propos de Slow démocratie. Comment maîtriser la mondialisation et reprendre notre demain en main.

David Djaïz, Slow démocratie, Paris, Allary, 2019, 313 pages, ISBN 9782370732972, URL https://boutique.allary-editions.fr/products/slow-democratie-br-david-djaiz

Les livres sur la démocratie ne manquent pas, qui annoncent son essoufflement, ses tensions et contradictions internes. Sa fin surtout, car la démocratie engluée dans une crise sans fin depuis 50 ans n’en finit pas de mourir.

La difficulté est que la plupart du temps, les diagnostics proposés apparaissent comme « hors sol ». La « démocratie » invoquée n’y est jamais véritablement décrite dans ses modalités élargies de fonctionnement ; elle se trouve soit réduite à la seule démocratie électorale intermittente (et sa désaffection contemporaine via l’abstention), soit envisagée selon ses justifications philosophiques fondatrices, et en cela bien légèrement détachée de ses conditions historiques concrètes de stabilisation (conditions matérielles, sociales, territoriales, idéologiques et symboliques).

Les essais-diagnostics sur la « crise » démocratique se succèdent ainsi, se chassent plutôt l’un l’autre, sans que soit véritablement montré comment, dans les faits, ce système politique est parvenu à susciter l’adhésion : non pas via la seule déclaration et constitutionalisaton des droits civiques, politiques et sociaux, mais par la mise en place effective après 1945 de tout une série d’instances de négociation et de régulation pacifiantes (État social, compromis entre Capital et Travail, solidarités redistributrices entre classes et territoires, habitualisation culturelle à la force des liens civiques, etc.). Car ce qu’on pourrait appeler la civilisation démocratique excède en effet de beaucoup la question du seul « régime », celle du principe majoritaire, des techniques électorales de dévolution du pouvoir et des systèmes partisans pluralistes et compétitifs.

Avec Slow démocratie, David Djaïz nous invite à rompre avec toute analyse partielle, a fortiori hors sol, de la démocratie. Notre fragilisation démocratique contemporaine ne s’y trouve pas ramenée à l’histoire universelle de la « colère », des « affects thymotiques » depuis Platon, comme dans la philosophie politique psychologisante d’un Peter Sloterdijk1 ; un geste qui aboutit in fine à renoncer à toute analyse matérielle, et à incriminer l’homme du « ressentiment » et les « banques de la colère » sous toutes leurs formes historiques (jusqu’au djihadisme contemporain).

La question de la démocratie n’est pas non plus dissoute sans reste, chez D. Djaïz, dans le double diagnostic bien court de l’individualisme moderne ingouvernable et de la nouvelle « technocratie des algorithmes » comme chez Jean-Claude Kaufmann2. Tocqueville numericus ad nauseam pour ainsi dire : un peu de passion de l’égalité au pays de Jean-Jacques, beaucoup de sociologie qualitative sur l’individualisme moderne auto-centré, une louche sur l’hystérisation indécrottable des réseaux sociaux, voilà le livre fait, l’époque cernée, la politique renvoyée au passé glorieux de la Raison et de la République (versus l’enfant terrible « Démocratie »), et surtout à un sursaut éthique – individuel comme collectif s’entend.

Notre crise n’y est pas davantage ensevelie dans un diagnostic général d’« accélération » de la modernité dans son ensemble, en forme de magma causal indifférencié comme chez Hartmut Rosa3. Le processus de « déconsolidation démocratique » possiblement en cours n’y est pas non plus vaguement rapporté, comme chez Yascha Mounk4, à la triple causalité supposée des médias désintermédiés de l’ère numérique, de la stagnation séculaire et des tribulations identitaires des sociétés multiculturelles.

On pourrait continuer d’aligner les auteurs et les titres discutés à l’envi ces dernières années, en raison sans doute de leur côté chic import-export.com ou made in Germany vers la province alignée France, ou parce que leurs analyses partielles revêtaient un tour dramatique donnant prise au commentaire médiatique. Au bavardage infra-politique même, car en effet comment reprendre la main, politiquement, à ce degré de généralité, sur la pente « thymotique » naturelle de l’espèce humaine (Sloterdijk), sur l’anthropologie individualiste de l’ingouvernementabilité moderne (Kaufmann), sur l’accélération sociale tous azimuts depuis le XIXe siècle thermo-industriel (Rosa) ou encore sur l’irruption du numérique, la fin de la croissance et le fait multiculturel (Mounk) ? Il se pourrait que toutes ces productions, à chaque rentrée, ne soient finalement qu’un supplément de « littérature industrielle » (Sainte-Beuve), ajoutant un brillant d’élocution sur l’opacité continuée des structures causales d’arrière-plan. Car même si les démocraties meurent aussi d’elles-mêmes à force d’évidement de l’ethos citoyen et d’infraction à ses règles écrites et non écrites par ses élites dirigeantes5, il y a bien des structures matérielles d’arrière-plan, et un certain nombre d’effets en retour éminemment politisables en tous points du spectre idéologique et partisan.

Refusant cette aphasie de fait, quoique paradoxalement bavarde, quant aux causes de notre fragilisation démocratique et aux moyens pratiques d’en sortir, Slow démocratie de David Djaïz prend le risque de rassembler dans un cadre analytique d’ensemble les éléments principaux ayant permis la stabilisation des « nations démocratiques » durant les Trente Glorieuses, avant d’être contournés par étapes depuis les années 1970, jusqu’à produire les lignes de fractures économiques, sociales, territoriales et idéologiques que nous connaissons aujourd’hui.

Nous avons là affaire non pas à un récit historique par le menu – il y faudrait désormais des bibliothèques entières – mais à un effort salutaire de « cadrage » nouant ensemble cinq types d’analyse d’ordinaire parcellisés ou disjoints : l’économie politique (nationale et internationale), la jurisprudence, la sociologie politique, enfin l’histoire des formes politiques et la philosophie des biens publics. Ce faisant, D. Djaïz ne nous raconte pas pour la nième fois une pure histoire intellectuelle (pour intellectuels) du néolibéralisme, de Walter Lippmann à Milton Friedman en passant par l’ordolibéralisme allemand et l’ultralibéralisme autrichien ; il ne cède pas non plus aux facilités analytiques de la gauche radicale et du national-populisme (quoique pour des raisons entre elles incompatibles et strictement inverses – le point est éthiquement crucial) sur le caractère prédateur et tentaculaire du capitalisme, du mondialisme, de ses élites, etc. Il tente autre chose, et voici à peu près comment.

Dans un premier temps, D. Djaïz montre comment, au sortir des Trente Glorieuses (1945-1975), s’est décomposé le mariage entre capitalisme et démocratie, pourtant si péniblement arrangé après les catastrophes totalitaires du premier XXe siècle. L’évolution ne fut pas tout d’un bloc ; l’auteur en reconstruit les inflexions successives, sur divers plans hétérogènes (économique et monétaire, juridique et politique).

Stabilisée jusque-là sur « quatre piliers » principaux – croissance économique, démocratie représentative, solidarité sociale, continuité territoriale (28) –, la « nation démocratique » a selon lui été débordée par une première révolution à bas bruit, « silencieuse », qualifiée de « mondialisation réglementaire » (13). Par toute une série de mesures technocratiques et juridiques – via les traités et la jurisprudence, les agences indépendantes de régulation surtout –, un véritable « ordre politique libéral à distance de la démocratie nationale » (47) est né qui a consisté à corseter ce que les idéologues ultralibéraux abhorrent depuis les années 1930 sous le nom de « démocratie illimitée » des majorités électorales. Produire par les règles (versus la Loi) un ordre fonctionnel stable « à côté » de la démocratie, et donc au-dessus de la surcharge des demandes sociales la rendant supposément « ingouvernable », tel était l’objectif de ce « constitutionnalisme économique » de fait. Subvertissant sémantiquement, à dessein, l’idéal isonomique moderne de l’auto-législation démocratique, F. Hayek n’hésitait pas à qualifier d’« isonomie » ce nouvel ordre para-démocratique. A ceci près qu’il ne s’agissait plus, à l’instar des pères fondateurs athéniens du VIe siècle avant J.-C., de mettre l’ensemble des citoyens actifs, fussent-ils paysans-soldats, à égale distance des Lois et des charges, mais bien de mettre les États au diapason des mêmes règles du jeu économique, moyennant l’abaissement des barrières tarifaires et la liberté de circulation des biens, des services, des capitaux, et bientôt des personnes à l’échelle européenne.

Le taux d’ouverture des économies les unes aux autres croît alors progressivement. On s’en réjouit en termes d’accès à de nouveaux marchés lointains car le rattrapage d’après guerre a eu lieu, et les propres marchés nationaux sont saturés en biens d’équipements. Mais l’on tarde à se soucier du degré de résilience des secteurs d’activité nationaux désormais interconnectés transnationalement. Surtout, on préprogramme ainsi la disjonction entre la décision démocratique et les capacités concrètes de régulation macro-économique. Le keynésianisme auto-centré en un seul pays a vécu. Certes, il était entré en crise de lui-même, mais cette figure historique de « l’économie mixte » avait permis, politiquement, d’accompagner jusqu’à l’autel le couple instable du capitalisme et de la démocratie. Cette première séquence de la « mondialisation réglementaire » connaît un coup d’accélérateur en 1979 (« l’hiver du mécontentement » en Grande Bretagne, et l’arrivée subséquente de Thatcher), et en 1986 avec l’Acte unique. Le projet européen constitue à ce titre une déclinaison régionale du processus réglementaire global pointé par D. Djaïz ; l’intégration dite « négative » du marché intérieur via la jurisprudence européenne en demeure jusqu’ici le front avancé, et recèle autant de chances de prospérité dans un grand marché concurrentiel strictement normé que de risques sociaux et politiques pour les moins bien partis.

La seconde phase s’ouvre autour de 1989. C’est ce que l’auteur nomme la « mondialisation technologique » à la faveur de la triple révolution technique du porte-conteneurs maritime, des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et de la finance de marché. Il s’ensuit un effondrement des coûts de transport, de la transmission des « signes » et de la coordination des tâches à travers le globe. C’est le moment où entre durablement en scène le couple cardinal « des chaînes de valeur économiques globales » et des « manipulateurs de symboles »6 mieux à même que les autres travailleurs d’en tirer avantage. C’est Robert Reich, futur secrétaire au Travail de Bill Clinton, D. Djaïz le rappelle, qui a sans doute été le premier, dès 1991, à saisir et qualifier en ces termes mêmes cette mutation fondamentale.

La possibilité matérielle de fragmenter les « chaînes de valeur économiques » étant désormais donnée, la logique des avantages comparatifs, du « law shopping »7 et de l’optimisation des marges par dumping se met à jouer à plein : compétences innovatrices et décisionnelles des cadres et détenteurs de capitaux ici (i.e. dans les mégapoles/ métropoles des vieux pays industrialisés le plus souvent), fabrication et assemblage là où sont les bas salaires, au plus proche des chaînes d’approvisionnement, des obstacles syndicaux et environnementaux moindres (i.e. dans les pays émergents, aujourd’hui rattrapeurs). Se met en place jusqu’à nous une sorte de gouvernementalité démocratique décentrée par les armatures globalisées de la moins-disance. Les passagers clandestins (free riders globaux) ont de l’avenir, le républicanisme un peu moins.

Du point de vue apolitique quoiqu’humanitaire de Sirius, l’effet macro-sociologique apparaît dès l’abord comme bénéfique : des pans entiers de population sont sortis de l’extrême pauvreté dans les pays émergents, et une nouvelle classe moyenne a pu y faire son apparition. Nul ne sait du reste à cette heure quels processus de démocratisation seront induits à terme par l’apparition de ces classes moyennes dans ces contrées. Ce qui est par contre mesuré aujourd’hui dans les données sur les inégalités (dans les travaux de Anthony Atkinson, François Bourguignon, Branko Milanovic, Thomas Piketty et d’autres), ce sont les impacts négatifs sur la stratification sociale dans les vieux pays industriels rattrapés : la classe moyenne non positionnée sur les chaînes de valeur globales y a été comprimée, voire par endroits laminée, ainsi que les classes populaires dès lors qu’elles occupaient des emplois industriels délocalisés ou qu’elles en dépendaient comme sous-traitants locaux et prestataires de services en tous genres pour les populations jadis employées par l’industrie. Lorsque ces populations n’ont pas été déclassées, leur espérance d’ascension sociale pour elles-mêmes et surtout leur descendance s’en est trouvé déprimée, et leur rapport au système politique pour le moins déceptif, voire franchement hostile. Rien ne vient pour elles véritablement compenser la quadruple perte subie d’emploi ou de salaire, de sociabilité chaude dans le milieu professionnel, des protections syndicales concrètes et de l’estime de soi grâce à un travail qualifié, socialement valorisé et doté de sens quant à son utilité intrinsèque. Et certainement pas la création d’emplois précaires, peu qualifiés, dans les call centers, la manutention et la logistique (via le commerce numérique). C’est cette longue imbrication de causes et d’effets de la mondialisation réglementaire, technologique et économico-financière que déroule l’analyse de D. Djaïz, et qui nous fait comprendre pourquoi on a récemment pu parler de « génération cariste » (le Fenwick pour les hommes, les métiers du « care » pour les femmes)8 en forme de Situation de la France. D’une certaine France, celle d’après la polarisation du marché de l’emploi et des territoires impactés par la mondialisation hyperconcurrentiel des chaînes de valeur économique.

Ce qu’on pourrait mot-valiser comme la giratoirisation anti-flux tendus plus ou moins zadiste de la politique extra-conventionnelle contemporaine (i.e. en dehors des structures d’encadrement traditionnelles de l’offre partisane et de la négociation sociale via les syndicats) ne relève ainsi pas primairement d’une énième pathologie sociale de la modernité en forme de « mélancolie démocratique » et d’incapacité infantile du « peuple-roi » repu à « étendre le domaine de l’adulte »9. L’ignorance souveraine autant que docte de toute économie politique et géographie socio-économique contemporaine ne peut que sombrer dans ce style dégagé de philosophie politique en forme de magistère moral surplombant. Plus puissante parce que délibérément plus terre à terre et attentive au détail de l’ambivalence politique des structures matérielles, l’analyse David Djaïz nous montre au contraire que nos fractures entre métropoles et ronds-points – entre cadres globalisés, classe politique et carisme – viennent de loin et demandent à être comprises selon leur faisceau causal complexe, sauf à nous rendre impropres à imaginer tout correctif pratique ayant quelque chance de succès.

La troisième phase, qui retient D. Djaïz, s’est ouverte par paliers successifs, dont les effets économiques, sociaux et politiques n’ont eu de cesse de se renforcer les uns les autres.

En 2008, la crise des subprimes rend évidente à chacun le risque désormais systémique, et non plus seulement sectoriel, que fait encourir l’industrie financière aux économies réelles et à l’emploi. Le système bancaire a alors été sauvé par les puissances publiques – c’est là la leçon historique de 1929 (historia magistra vitae !) –, mais au prix d’un renforcement de l’indépendance déjà largement acquise des banquiers centraux et de leurs politiques monétaires accommodantes à taux ultra bas visant à empêcher le ralentissement de l’activité et l’emballement du taux de chômage structurel. Une masse de liquidités démesurée en a résulté, dont la part en investissements productifs d’avenir (écologiquement soutenables par exemple) reste encore, au bas mot, proportionnellement fort mince. Un spectre hante ainsi bien plus que l’Europe : celui de la prochaine crise financière globale, dont nul ne sait quand ni par quel bout elle arrivera, en parvenant comme d’ordinaire à échapper aux règles macroprudentielles des autorités de régulation en charge.

La crise de la zone euro (2010) et la crise des dettes souveraines (2011) ont accentué les incertitudes. Surtout, elles ont mis sous pression les finances publiques de telle sorte qu’a été durablement affectée leur capacité à assurer la « solidarité sociale » redistributrice par l’État-providence et la « solidarité territoriale » de transferts. Le volume du gâteau à se partager diminuant en période de stagnation, ces deux types de solidarité concrète – d’ordinaire quasi « invisibles » par méthode, non sans inconvénient d’ailleurs, rappelle D. Djaïz – se trouvent de moins en moins bien acceptés par les classes élevées et les régions riches (mieux insérées dans les chaînes économiques globales, davantage qualifiées et moins distantes du système politique ainsi que médiatique central). Ces élites et territoires mieux dotés ne voient plus toujours la nécessité des ressorts civiques qui avaient présidé à la mise en place des États sociaux et des stabilisateurs automatiques de l’économie après 1945. Le séparatisme social menace, mais le sécessionnisme régional tout autant. D. Djaïz analyse avec beaucoup d’acuité comment les États fédéraux comme l’Espagne (208) surmontent beaucoup moins bien que les États unitaires redistributeurs la grande divergence économique des territoires et l’étiage induit du solidarisme civique en période austéritaire.

Il reste que ce ne sont pas les habitants de Bordeaux intra-muros qui, depuis novembre 2018, sont venus en masse tous les samedis manifester en ville, mais des cercles concentriques bien plus lointains, dont il faut comprendre les logiques de mobilisation, sans tout ramener à la boîte noire inutilisable des « populismes ». C’est que la fracture entre métropoles, périurbain indéfinimiment « émietté »10 et zone rurale est peut-être déjà durablement consommée. Au gré des chocs externes, certaines franges de la population se trouvent enfermées dans ce que Pierre-Noël Giraud a tristement nommé, et sans aucune condescendance, des « trappes d’inutilité »11. Elles sont aussi des trappes immobilières de classes moyennes propriétaires, dès lors que des arbitrages entre vivre mieux mais plus loin ont été faits par les familles afin d’échapper à la pression immobilière des métropoles denses en « classes créatives » et sièges sociaux. Sitôt que le prix du carburant augmente (et qu’explose alors le surcoût estimé de mobilité au moment de l’arbitrage immobilier initial) ou que survient une perte d’emploi, ces foyers sont sommés de se rendre mobiles de sorte à retrouver du travail ailleurs – pas forcément de même niveau de qualification du reste12. C’est sur ce mode, hypermobile, que les sociétés ultralibérales comme les USA règlent ce type d’accidents professionnels et de désajustements des bassins d’emploi. À ceci près que les subjectivités humaines ne sont pas déracinables et transportables comme des biens-meubles, et que les territoires sinistrés économiquement ne se réparent pas d’eux-mêmes après exode massif des acteurs privés, bien légitimement soucieux de sauver leur peau, pour peu qu’ils parviennent à solder leur crédit en vendant leur bien immobilier sans être obligés de le brader. Ce qui n’est jamais le cas lors d’un choc économique – D. Djaïz le rappelle – dans les territoires éloignés des armatures urbaines globalisées où la pression immobilière et les « rentes d’agglomération » demeurent fortes (241).

La double crise de 2015 (crise des réfugiés et crise du djihadisme13 a ajouté une triple panique sur un tissu social déjà passable polarisé : une panique migratoire déjà ancienne et promise à durer compte tenu des projections démographiques planétaires à l’horizon 2050 ; une panique qu’on pourrait dire séculariste par retour du religieux politisé sur la scène moderne, qui s’en croyait pourtant définitivement débarrassée grâce aux vertus du libéralisme politique (confessionnellement agnostique) ; une panique culturelle enfin ayant trait à la simple cohabitation dans le corps social de pratiques culturelles et religieuses étrangères les unes aux autres indépendamment de leur prosélytisme politique respectif. Une triple panique donc, dont on comprend aisément avec quelle inégale intensité elle affecte les différents segments sociaux des nations démocratiques selon leur capital social et leur attachement au bien premier de l’identité nationale (« capital d’autochtonie », 243) en l’absence de jouissance des autres bienfaits matériels et culturels de l’hypermondialisation gagnante.

Il résulte, de ce long cycle historique, des nations démocratiques affaiblies et polarisées. Les compromis sociaux des Trente Glorieuses se sont effrités. Le lien d’allégeance civique à la démocratie représentative s’est distendu. Les élites tendent à faire sécession socialement mais aussi moralement ; les territoires riches, mieux insérés dans le jeu global, menacent de séparatisme ; les États sont exsangues à force d’involution austéritaire de leurs ressources fiscales et de dumping fiscal autant que social, voire environnemental, des nations européennes les unes envers les autres.

Face à une telle imbrication des causes réelles et des confusions sémantiques censées les dire, un cycle de politisation négative s’est logiquement enclenché un peu partout. Il chevauche pour l’essentiel une seule et même haridelle : le critère « ouvert/ fermé »14, « européiste/ anti-européiste », « mondialiste/ anti-mondialiste ». Il a la particularité notable, c’est-à-dire l’avantage idéologique cynique, de confondre toutes les causes et de tout concentrer sur une ligne de clivage simple. La « révolution mondiale » des clivages partisans diagnostiquée par Pierre Martin en atteste pourtant l’installation durable15.

Les « nationaux-populistes » investissent ce faisant une tout autre idée que la « nation démocratique » inclusive passée. Le « peuple » – cette fiction politique toujours idéologiquement constuite et pourtant au principe du pouvoir constituant démocratique16 –, ils le fantasment comme ultime recours du combat « ouvert/ fermé » : solution clef-en-main, pourtant toute verbale, du « Take back control » (Dominic Cummings) de tous les exiters, désormais professionnels également ordinaires de la politique. Prétendant lui être fidèle quoiqu’étant foncièrement incompatible avec le républicanisme classique dont Claude Nicolet a justement retracé la noble histoire inclusive17, les nationaux-populistes redéfinissent le « peuple » sur des bases nouvelles, et paradoxales seulement en apparence : une sorte de souverainisme national rephrasé à bon compte dans la novlangue différentialiste de « l’Europe chrétienne des valeurs »18. C’est le théorème d’Orwell : qui refait la langue, réécrit l’histoire ; l’amnésie historique des contemporains fera le reste. Mais la coquille du « Take back control » est vide, l’expérience Salvini l’a montré à satiété : en guise de reprise en main exécutive, nous n’avons finalement assisté, par le bruit sur-saturé des réseaux, qu’à un théâtre surjouant la puissance régalienne vis-à-vis de ceux qui, précisément, ne sont nullement la cause de son impotence structurelle à réguler le destin économique et social des nations démocratiques de l’hypermondialisation, à savoir la vie nue des plus démunis et vulnérables, non tout à fait noyés dans la Méditerranée, et fort bon marché dans les Pouilles pour permettre d’inonder à bas prix le marché européen de la tomate. Leurs villages de tôles et de films plastiques construits de leurs mains au milieu des champs et maraîchages, au plus près des chaînes de valeur, passent en dessous des écrans radar et n’offusquent décidément que des âmes bien sensibles.

La triple panique – migratoire, séculariste et culturelle – empêche le début de la moindre discussion raisonnable en ces matières. Et nous nous trouvons enfermés durablement dans une « politique des identités » purement réactionnelle (identity politics disent les anglo-saxons). Même les anti-identitaires progressistes se font enfermer dans le piège ethno-populiste de l’« ouvert/ fermé ». Ils ne peuvent que réagir à des règles du jeu imposés par d’autres, et D. Djaïz met le doigt sur le cœur de l’affaire (59) : ce n’est que parce que les « nations démocratiques » ont depuis longtemps perdu la main sur la maîtrise de l’économie politique qui les affecte que le débat public s’est enfermé dans les débats de « valeurs » fondamentales et les questions « sociétales » du libéralisme culturel. Toute une économie de l’infotainment, tous les prescripteurs d’opinion vivent, quoiqu’ils en disent, des petites phrases et des briseurs de tabou. Là au moins, chacun peut exciper d’une position morale tranchée, aussi non négociable qu’intellectuellement paresseuse, et participe à la formation des rangs. La polarisation sociale et territoriale se dédouble alors en polarisation axiologique « national »/« postnational ». Toute articulation fine des niveaux d’action et d’identification se trouvant brouillée, la démocratie représentative de la raison publique se retourne en une sorte de clash démocratie pré-argumentative, dont les réseaux sociaux n’inventent pas les causes mais amplifient assurément les modalités de politisation.

« La nation survivra peut-être, mais sans la démocratie » (18). Tel est le risque en effet du XXIe siècle qui a commencé quelque part entre 2008 et 2015. Et D. Djaïz d’ajouter : « Si nous voulons rééquilibrer capitalisme et démocratie, remettre l’économie en phase avec la justice sociale et environnementale », il n’est d’autre choix que de « réhabiliter la nation » (18). Pourquoi, et comment ? Telle est l’interrogation principale de D. Djaïz, une fois achevé le séquençage historique et économico-politique de ce qui nous arrive.

C’est la combinatoire des propositions centrales de Dani Rodrik, de Pierre-Noël Giraud et de Pierre Manent qui guide notre auteur dans sa formulation du problème. Il nous faut en résumer les termes afin d’appréhender la nature de la « nation démocratique » censée garantir la mise en œuvre du « Green New Deal territorial » qu’il propose.

Pour Dani Rodrik, D. Djaïz le rappelle (65), il existe un « triangle d’incompatibilité »19 entre « État-nation », « démocratie » et « hypermondialisation ». Nous pouvons avoir la vitalité démocratique et l’hypermondialisation, auquel cas il faut à terme se résoudre au sacrifice de l’État-nation, soit la combinaison n° 1 du saut fédéraliste européen. Nous pouvons conjoindre l’État-nation et l’hypermondialisation, mais au prix d’un évidement toujours plus grand, et conflictuel/sécuritaire dans la rue, de la démocratie vivante, soit la combinaison n° 2 du consensus de Washington continué, couleur jaune giratoire. Nous pouvons enfin opter pour le maintien de l’État-nation et de la vitalité démocratique mais sans l’hypermondialisation, soit la combinaison n°3 du compromis de Bretton Woods, délité depuis 1971 mais que nombreux souhaiteraient rétablir. La thèse de Rodrik est robuste, exemplifiée par des expériences historiques concrètes. Elle étend au politique ce que Leibniz appelait des « compossibles », ou disons plutôt des incompossibles. Nous ne pourrons pas tout avoir en même temps ; la conflictualité sociale et politique contemporaine nous le crie, et il va falloir sinon choisir du moins prudemment doser entre les variantes, sous peine de sombrer à reculons, dans le déni et l’impotence velléitaire collective à imaginer et construire autre chose.

L’économiste Pierre-Noël Giraud a été un des premiers à attirer l’attention sur le fait que la mondialisation ferait autant de gagnants que de perdants, et cela tant entre les pays à l’échelle globale, qu’entre les classes sociales, les territoires et les générations à l’intérieur des nations20. La pointe de son argumentation a été de distinguer entre emplois « nomades » et emplois « sédentaires » à partir non pas des types classiques d’activité (secteur primaire, secondaire, tertiaire ; emplois manuels, diplômés, services à la personne, etc.) mais sur la base du critère véritable des firmes globalisées au sein d’une économie planétaire où les capitaux sont mobiles, et les coûts de transports ainsi que de coordination très faibles : tel ou tel emploi est délocalisable ou non (tradable/non tradable) si les investissements directs à l’étranger permettent d’obtenir ailleurs, pour des coûts moindres et des taux de rentabilité accrus, une égale productivité, qualité de produit, sécurité juridique et proximité spatiale des chaînes d’approvisionnement, des sous-traitants et des réseaux de commercialisation. La question cruciale dans ce cadre n’est plus de savoir si vous êtes boulanger, médecin ou ouvrier, mais si vous êtes concurrentiellement substituable dans les chaînes de valeur économiques globales. L’ouvrier sur une ligne de montage automobile doit rivaliser avec tous les ouvriers monteurs du globe ; il est substituable ; si son territoire est irrigué économiquement par son usine et qu’elle n’est plus concurrentielle internationalement, elle sera délocalisée, et tout l’hinterland régional, selon son degré de dépendance sous-traitante, immanquablement sinistré. En revanche, si vous êtes ouvrier mécanicien dans un garage de proximité, vous n’êtes pas substituable en tous points du globe ; votre atelier de réparation pourra fermer pour toutes sortes de raison (incompétence, mauvaise gestion), mais il y aura toujours besoin, localement, de la même quantité d’interventions pour assurer la bonne marche du parc automobile en circulation. Cet emploi renaîtra à proximité ; le territoire ne sera pas endommagé ; votre emploi est sédentaire, ce qui ne veut nullement dire protégé si la demande locale s’effondre.

Triviale à première vue, la différence analytique est immense au moins sur deux plans21. Au niveau du diagnostic d’abord, elle permet de mieux appréhender les systèmes productifs, les types d’emploi et les territoires qui sont le plus exposés à la logique de fragmentation rentable globalisée du capital et des firmes. La révolution du numérique et celle de l’automation radicalisent ici le phénomène, jusqu’aux activités de services vers lesquelles se « déversaient » traditionnellement les emplois détruits par les gains technologiques de productivité dans les secteurs primaire et secondaire : le récit du grand déversement d’Alfred Sauvy ne console plus personne. Au niveau du pronostic ensuite, le modèle « nomades/sédentaires » nous sort de la torpeur, de l’hystérisation idéologique indifférenciée aussi, et incite à tout simplement mieux agir au niveau fin des territoires. Comment ? Dès lors qu’il est acquis que ce sont les emplois « nomades », et leurs retombées en sous-traitance et consommations locales, qui permettent de maintenir la vitalité des bassins d’emplois « sédentaires » et des territoires de sorte à réduire au maximum les surnuméraires inemployables (ni comme « nomades », ni comme « sédentaires »), il apparaît évident, et de salubrité publique, de combiner ad hoc tous les leviers d’action imaginables (État, collectivités territoriales, partenariat privé-public, investissements domestiques et étrangers directs, etc.) afin de : a) faire émerger d’abord des pôles de compétitivité innovants, concurrentiels internationalement, et à forte valeur ajoutée globale ; b) assurer ensuite le maillage fin (sorte de bridging) entre ces emplois « nomades » et les emplois « sédentaires » connexes, jusqu’à tenter de réduire, par irrigation et reconversion progressives, les trappes de pauvreté autrement que par la seule assistance publique verticalisée – mal vécue individuellement, et politisée négativement via le grief de « l’assistanat ».

Dernier rappel, et élément de la combinatoire mobilisée par D. Djaïz (217 sq.), le nombre fort limité et la spécificité respective des « formes politiques » disponibles, selon Pierre Manent22, pour faire fonctionner historiquement toute modalité d’institutionalisation du politique, à savoir : la cité-État, l’Empire, la Nation (l’Église restant un cas à part). D. Djaïz reformule la typologie selon la triade suivante : la tribu, l’Empire, la Nation. Entendons : ou bien les fraternités horizontales à liens chauds de petite taille sans les leviers de coordination propres à tout grand dessein politique (i.e. la tribu des replis communautaires en tous genres, plus ou moins respectables éthiquement : parentèles, fratries collapsologues, survivalistes, voire même djihadistes). Ou bien le commandement lointain, plus ou moins comminatoire et vertical, des grands espaces multinationaux (i.e. l’Empire multinational). Ou bien l’auto-législation du grand nombre par le gouvernement consenti d’un petit nombre de représentants, sous les espèces de la Loi juste, à égale distance de chacun, et grâce à la production de biens publics capables de pérenniser l’identification et la mobilisation civiques au « commun des communs » – la Nation démocratique (254).

La thèse uniment normative et pratique défendue est que la forme « Nation », actualisée dans la structure à la fois politique et bureaucratique de « l’État-nation », est « l’échelon central » (237) – une sorte d’« écluse » capable d’ajustement à son rythme (98) – au travers de laquelle peut être concrètement mise en œuvre la promesse d’autonomie individuelle comme collective, sous condition de cohésion sociale, territoriale et désormais environnementale autant que démocratique. De sorte à faire pièce à ce qu’on pourrait appeler le polygone à venir des insoutenabilités.

Le triangle d’incompatibilité de Rodrik, le modèle « nomades/sédentaires », la forme « nation démocratique » moyennant des principes juridiques et politiques strictement hiérarchisés entre eux23, ces trois matrices sont au fondement de l’économie politique des nations démocratiques propre à maîtriser l’hypermondialisation que nous propose la démocratie décélérante (Slow démocratie) de D. Djaïz. Ce serait un bien mauvais procès, de lecteur prévenu et pressé, que de ravaler cette position au rang de souverainisme républicain classique car l’auteur n’invite nullement à défaire la forme d’intégration régionale inaugurée par l’Union Européenne. Il a parfaitement conscience de la nécessité du passage à l’échelle européenne sur toute une série de sujets : nécessité de leviers d’investissement massifs pour la transition social-écologique, politiques énergétiques et industrielles d’avenir, puissance européenne de marché capable d’imposer des normes de qualité au-dedans comme au dehors, stabilisateur géostratégique d’un multilatéralisme global à refonder, habitualisation civique tangible à l’UE via un complément d’État social supranational, etc. Simplement, son réalisme politique, le porte à ancrer le périmètre des actions possibles (et pas seulement souhaitables) au niveau du vouloir et savoir-faire intermédiaire des nations démocratiques, tout en l’articulant à l’échelon supérieur de ce que Michel Aglietta et Nicolas Leron – quatrième matrice centrale de référence pour D. Djaïz – ont judicieusement appelé la « double démocratie »24 en vue d’une Europe de la puissance publique et des biens communs. Une Europe en outre capable d’articuler, par les décisions et retombées concrètes d’une puissance publique dédoublée, les trois strates de l’indentification civique européenne : le « Nous national » bifrons du « bassin de vie » local et de la « citoyenneté » nationale, et le « Nous ouest européen » de la « nation démocratique européenne » ordonnée à des principes supérieurs (227 sq.).

Loin d’être un slogan, ou un jeu d’équilibrisme théorique pour tour d’ivoire, ce modèle de démocratie décélérante affronte la question des politiques publiques jusque dans les territoires. Paradoxalement, le mur environnemental en vue d’un capitalocène suranné pourrait être une occasion sans précédent à saisir pour mobiliser les énergies sociales à tous les échelons du territoire afin de réussir la transition social-écologique et postproductiviste requise.

Ce sont les contours d’un « Green New Deal territorial » (245) que D. Djaïz dessine à cet effet à la fin de son ouvrage, en forme de « nouveau récit territorial » versus l’actuel « récit métropolitain » par trop hégémonique selon Olivier Bouga-Olga25. Il s’agit d’une matrice politique d’ensemble, non du tout ravalable au niveau – fantasmé ex post le plus souvent – d’un simple aménagement du territoire par en haut, pour ainsi dire en mode DATAR gaullienne du temps béni des Trente Glorieuses. Il s’agit tout autrement de nouer ensemble plusieurs exigences et défis contemporains : réarticuler entre eux les échelons complémentaires de la démocratie locale et nationale tout en attribuant à l’État un rôle moteur d’incitation et d’ancrage des anticipations en matière d’investissements d’avenir, en particulier sur les questions environnementales, mais aussi au-delà selon les synergies « nomades/sédentaires » (254) ; identifier pour ce faire des chantiers écologiques prioritaires (245 sq.) ; stabiliser in fine notre cohésion économique, sociale et territoriale ; revitaliser enfin, en forme de « démocratie circulaire » (256) décélérée et éco-innovante, notre modèle républicain social mis à mal par les chocs économiques de la mondialisation.

Réajuster espace économique et espace de la délibération et décision démocratiques ; resynchroniser, tout en décélérant sur le nocif et l’inutile, les « chaînes de valeur économiques » et les « chaînes de valeur sociospatiales » (204), tel est le projet de ce « Green New Deal territorial ».

Pour les esprits philosophes rompus au grand chaudron du Concept, qui ne dressent l’oreille qu’au gré des fanfares fondationnelles, une telle analyse remue un peu trop la poussière des faits et des causes pour retenir l’attention. Le fait est pourtant que le cadre général proposé par D. Djaïz nous porte bien plus concrètement au seuil des exigences à venir de l’action publique que toute autre coqueluche plus ou moins phraseuse ou absconse du mercato philosophique et littéraire. Chacun choisira en conscience son lieu propre : son succès de niche et d’estrade entre brahmanes de métropoles, ou la grande politique retrouvée des « nations démocratiques » capables de cohésion interne, de coopération externe et de mutation matérielle postproductiviste à l’heure de la grande transition social-écologique. Ce nouveau cycle politique est déjà là ; une nouvelle génération l’investit par tous les bouts. Le type de « décélération démocratique » proposé par David Djaïz en sera assurément, quitte à en amender les attendus de détail, en termes de politiques publiques et bonnes pratiques de transition, mais guère les contours généraux.

Sources
  1. Peter Sloterdijk, Colère et temps : essai politico-psychologique, Paris, Maren Sell, 2007.
  2. Jean-Claude Kaufmann, La fin de la démocratie. Apogée et déclin d’une civilisation, Paris, Les liens qui libèrent, 2019.
  3. Hartmut Rosa, Accélération [2005], Paris, La Découverte, 2013.
  4. Yascha Mounk, Le peuple contre la démocratie, Paris, L’Observatoire, 2018.
  5. C’est là la thèse centrale de Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, La mort des démocraties [2018], Paris, Calmann-Lévy, 2019, à laquelle souscrit largement la mise en perspective historique comparée de Jean-Claude Hazera, Comment meurent les démocraties, Paris, Odile Jacob, 2018. J.-C. Hazera refuse le « théorème économico-politique » (p. 13) faisant des crises économiques le ressort fondamental de la fin des démocraties, au détriment des autres types d’explication par la montée de la violence interne, des nationalismes agressifs, les polarisations sociales sécessionnistes et les jeux troubles des élites. On peut le suivre dans son souci d’élucidation historique multi-causal, ouvert à la contingence feuilletée des déterminations, mais certainement pas au point de secondariser les questions d’économie politique et de résilience socio-économique des segments sociétaux et des territoires de la démocratie nationale. Il est du reste tout à fait vain et impossible de trancher, « en général », ces questions de concaténation causale : ce sont les chaînes d’interactions concrètes qui en décident historiquement in situ.
  6. Robert Reich, L’économie mondialisée [1991], Paris, Dunod, 1993, p. 157 sq.
  7. Cf. le grand livre d’Alain Supiot, La gouvernance par les nombres, Paris, Fayard, 2015.
  8. Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, « Génération cariste : comment la crise des ‘gilets jaunes’ a révélé le destin des classes populaires », Fondation Jean Jaurès, 25 février 2019 : https://jean-jaures.org/nos-productions/generation-cariste-comment-la-crise-des-gilets-jaunes-a-revele-le-destin-des-classes.
  9. Pierre-Henri Tavoillot, Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d’art politique, Paris, Odile Jacob, 2019, p. 321 sq.
  10. Eric Charmes, La revanche des villages : essai sur la France périurbaine, Paris, Seuil, 2019.
  11. Pierre-Noël Giraud, L’homme inutile : une économie politique du populisme, édition remaniée et augmentée Paris, Odile Jacob, 2018, p. 19 (édition originale : 2015).
  12. D. Djaïz renvoie judicieusement sur ce point au tragique individuel autant que collectif figuré par le film La Loi du marché (2015) réalisé par Stéphane Brizé, avec Vincent Lindon dans le rôle principal d’un agent de sécurité de grande surface.
  13. Rappelons qu’en réaction à la vague d’attentats depuis 2015 David Djaïz a donné un lucide et vigoureux plaidoyer républicain intitulé La guerre civile n’aura pas lieu, Paris, Le Cerf, 2017.
  14. Pascal Perrineau, Le choix de Marianne. Pourquoi, pour qui votons-nous ?, Paris, Fayard, 2012, p. 135, 143 sq. Contre l’évolutionnisme « postmatérialiste » d’alors (Ronald Ingelhart), voir également l’article séminal de Piero Ignazi, « The silent counter-revolution. Hypotheses on the emergence of extreme right-wing parties in Europe », European Journal of Political Research, n° 22, 1992, p. 3-34.
  15. Pierre Martin, Crise mondiale et systèmes partisans, Paris, Presses de Sciences Po, 2018, p. 173 sq.
  16. Gérard Bras, Les voies du peuple, Paris, Amsterdam, 2018 ; Déborah Cohen, Peuple, Paris, Anamosa, 2019.
  17. Claude Nicolet, L’Idée républicaine en France : essai d’histoire critique, Paris, Gallimard, 1982.
  18. Olivier Roy, L’Europe est-elle chrétienne ?, Paris, Seuil, 2019.
  19. Dani Rodrik, The globalization paradox : why global markets, states, and democracy can’t coexist, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 201 (« Political Trilemma of World Economy »).
  20. Pierre-Noël Giraud, L’inégalité du monde, Paris, Gallimard, 1996 ; Les globalisations : émergences et fragmentations, Auxerre, Sciences Humaines, 2018 (édition originale : 2008 sous le titre La mondialisation) ; L’homme inutile : une économie politique du populisme, édition remaniée et augmentée Paris, Odile Jacob, 2018 (édition originale : 2015).
  21. Pour une schématisation graphique du modèle « nomades/sédentaires », cf. P.-N. Giraud, Les globalisations, op. cit., p. 120 ou Id., L’homme inutile, op. cit., p. 115.
  22. Pierre Manent, Les métamorphoses de la cité : essai sur la dynamique de l’Occident, Paris, Flammarion, 2010.
  23. Il serait trop long d’entrer en matière ici sur cette question de philosophie politique fort complexe, renvoyons simplement le lecteur à l’exposition de ces points par D. Djaïz au moment où il discute les modalités d’articulation entre le « Nous national » et le « Nous ouest-européen », p. 229 sq.
  24. Michel Aglietta et Nicolas Leron, La double démocratie : une Europe politique pour la croissance, Paris, Seuil, 2017.
  25. Olivier Bouba-Olga, Pour un nouveau récit territorial, La Défense, POPSU, 2019.
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