Washington. Le mardi 24 septembre, suite au refus du directeur du renseignement national de transmettre la plainte d’un lanceur d’alerte au Congrès américain, la Présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a officiellement annoncé la mise en œuvre d’une impeachment inquiry, première étape de la procédure de destitution visant le Président Trump.1

Dans cette plainte, déposée en août et soutenue par l’inspecteur général de la communauté du renseignement Michael Atkinson, le lanceur d’alerte accuse doublement le président Donald Trump, d’avoir abusé du pouvoir conféré à sa fonction pour solliciter l’ingérence d’un pays étranger dans l’élection présidentielle de 2020 lors d’un appel avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky le 25 juillet, mais aussi d’avoir voulu limiter l’accès aux documents liés à l’appel en question.2

Le lendemain de l’annonce de la présidente de la Chambre, la Maison Blanche choisit de rendre publiques à la fois la plainte du lanceur d’alerte et la retranscription de l’appel téléphonique entre le président Trump et le président ukrainien V. Zelensky. Au fil de la conversation, Trump rappelle à son homologue ukrainien l’importance de la contribution américaine, en affirmant « laissez-moi vous dire que nous faisons beaucoup pour l’Ukraine. Nous y consacrons de grands efforts, et beaucoup de temps » avant de demander au président ukrainien de s’intéresser à une affaire impliquant Joe Biden, candidat favori aux primaires démocrates et son fils, Hunter Biden, qui malgré son manque de qualifications a rejoint après 2014 le conseil d’administration d’une entreprise ukrainienne, Burisma, au moment où son père était vice-président et chargé de la politique ukrainienne du président Obama. Trump, au cours de la conversation, fait allusion à « un procureur très bon qui s’est fait mettre sur la touche », Viktor Shokin, congédié pour avoir freiné à l’époque la lutte anticorruption, et accuse Joe Biden « d’avoir fait arrêter les poursuites » lancées par Shokin contre le PDG de Burisma avant de demander au président ukrainien « si [il pouvait] faire quelque chose avec le ministre de la justice » pour enquêter sur l’affaire. Or au moment de l’échange entre D. Trump et V. Zelensky, le versement des 400 millions de dollars d’aide américaine à l’Ukraine avait été suspendu ; la requête du président américain, qu’il présente comme une « faveur », pourrait donc être interprétée par la chambre démocrate comme un motif de destitution pour plusieurs raisons.3

En effet la procédure de destitution ou impeachment est prévue par l’article II de la Constitution, qui dispose que « le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs. »4 A l’origine, dans le cadre de la phase préliminaire d’enquête, plusieurs chefs d’accusation étaient envisagés par le camp démocrate : entrave à l’exercice de la justice, outrage au Congrès en cas de refus de respecter les assignations à comparaître, abus de pouvoir et corruption. A ces chefs d’accusation étudiés par la Commission Judiciaire lors de la phase préliminaire s’ajoutent les éléments rassemblés par les six commissions d’enquêtes déjà à l’oeuvre avant l’annonce de la présidente de la Chambre des représentants. De nouveaux documents transmis par l’ancien envoyé spécial pour l’Ukraine Kurt Volker à l’occasion de son audition par la Chambre le 3 octobre, comprenant notamment des SMS de diplomates américains en Ukraine, semblent soutenir la thèse qu’il y a effectivement eu quid pro quo.

A l’inverse des précédentes procédures de destitution ayant visé les présidents Andrew Johnson et Richard Nixon, lors desquelles un vote de la Chambre avait été requis pour lancer le processus, aucune commission spécifique d’enquête n’a été créée, les démocrates choisissant de s’appuyer sur les pouvoirs étendus des commissions existantes.5 Éviter un vote permet en effet de protéger les démocrates des Etats « violets », dont les sièges pourraient être menacés lors des prochaines élections. Si la mise en oeuvre d’une procédure de destitution est une requête ancienne de l’aile gauche du parti démocrate, l’aile modérée du parti à laquelle Nancy Pelosi appartient s’y était opposée avant le signalement du lanceur d’alerte. De plus, même si la période d’enquête aboutit sur la rédaction d’amendements pour la destitution par la Commission judiciaire, les représentants de la Chambre devront ensuite voter la destitution en séance, avant de transmettre la question au Sénat majoritairement républicain qui choisira à son tour que se tienne ou non un procès pouvant forcer le président Trump à quitter son poste. 

Perspectives :

  • Le chemin s’annonce donc long et pourrait affaiblir les démocrates modérés autant que Donald Trump. Les sondages indiquent pour l’instant un mouvement de soutien croissant envers la procédure de destitution, qui connaît une augmentation de 8 % depuis une semaine selon un sondage Ipsos. 
  • Cependant, la popularité de Donald Trump n’a pas significativement baissée depuis l’annonce de Nancy Pelosi, et l’évolution visible dans les sondages s’explique majoritairement par l’évolution de l’opinion des démocrates modérés et des indépendants.6 Si la destitution est une décision politique plutôt que judiciaire, l’évolution de la situation dépendra avant tout de la solidité des accusations formulées par la Commission Judiciaire, de leur réception dans l’opinion et de leur capacité à influencer durablement la campagne de 2020. 
Sources
  1. SAVAGE Charlie, How the Impeachment Process Works, The New York Times, 24 septembre 2019
  2. Document : Read the Whistle-Blower Complaint, The New York Times, 26 septembre 2019
  3. L’intégralité du compte rendu de la conversation téléphonique entre Trump et le président ukrainien, Le Monde, 26 septembre 2019
  4. SAVAGE Charlie, How the Impeachment Process Works, The New York Times, 24 septembre 2019
  5. LAW Tara, Democrats Launched an Impeachment Inquiry Into President Trump. Here’s What That Means, Time, 30 septembre 2019
  6. BOWMAN Karlyn, What New Polls On Impeachment Show, Forbes, 1 octobre 2019