Vienne. Le 17 Septembre 2019, lors de la Conférence Générale de l’AIEA, le groupe d’industriels français formé par EDF, le CEA, Naval Group et TechnicAtome, a dévoilé le nom du futur SMR français : NuwardTM.
Chaque unité NuwardTM aura une puissance d’environ 170 MWe 1 2 et sera conçue pour accommoder des degrés de modularisation et standardisation plus élevés que ceux possibles avec les réacteurs de plus grande taille. De petite taille, ses modules pourront être ainsi préfabriqués dans des usines, avec des processus de manufacture avancés et automatisés, pour ensuite être facilement transportés sur site pour installation. Cela pourrait conduire à un délai de construction de 3 ans 3 par unité 4. La faible puissance de NuwardTM offre aussi des opportunités uniques en termes de simplification, d’intégration du design et de sûreté, avec l’élimination de certaines vulnérabilités liées à la perte de réfrigérant et une efficacité augmentée des systèmes de sûreté dits « passifs ». Ces derniers permettront de garantir le refroidissement du cœur du réacteur pendant quelques jours en cas de perte d’électricité externe .
L’attractivité de NuwardTM est aussi liée à des aspects financiers et de gestion des risques. En raison de sa faible puissance, le futur SMR français a le potentiel d’être une installation plus abordable qui mobilisera moins de capitaux initiaux. L’exposition aux risques pourrait donc être moindre et se traduire par une diminution des coûts financiers. Le déploiement en deux unités par site (et potentiellement davantage) donnera aux investisseurs plus de flexibilité en cas de dégradation des conditions de marché. Un autre atout financier sera l’anticipation de la génération des premiers revenus en cas de réduction des délais de construction évoqués ci-dessus. Enfin, la production en usine dans des chaînes semi ou complètement automatisées, propices à l’application de méthodes de contrôle de qualité, diminuera le risque d’apparition de défauts de fabrications dans des composants critiques.
En termes d’opportunités de marché, NuwardTM, et la technologie SMR au sens large, permet d’étendre le marché nucléaire classique dominé par les réacteurs dits de « grosse puissance » (i.e. réacteurs de 1000 MWe et plus). La petite taille de ce type de réacteur facilite son installation dans des endroits isolés avec un réseau électrique peu intégré (en « îlot ») ou avec des éventuelles contraintes en eau pour le refroidissement des centrales. La présence d’un inventaire radioactif plus réduit, permet de rapprocher les SMRs des populations et d’autres installations pour les utiliser pour la production de chaleur industrielle, la désalinisation, ou le chauffage urbain. En tant que technologie bas carbone et flexible, les SMRs sont adaptés pour remplacer de vieilles centrales à charbon de faible puissance et pour fournir des services de suivi de charge, de façon potentiellement plus intensive que certaines centrales actuelles 5, afin de faciliter l’intégration des énergies renouvelables intermittentes dans les systèmes électriques propres du futur.
D’après l’AIEA, environ 50 concepts de SMRs étaient en cours de développement dans le monde en 2018 6. Parmi ceux-ci , environ 15 7, on fait des progrès significatifs vers la commercialisation. La moitié de ces concepts sont basés sur la technologie mature dite d’eau légère 8 et pourraient voir le jour avant 2030. NuwardTM fait partie de ces derniers. L’autre moitié est constituée de concepts dits de « quatrième génération » (ou avancés) qui intègrent des fluides caloporteurs et des configurations de cœur plus exotiques (e.g. réacteur refroidis au sodium, plomb, gaz ou sel fondus) qui représentent une option à plus long terme. Actuellement, 4 démonstrateurs de SMR sont en construction. 9 Le plus avancé, le modèle russe flottant KLT-40S, devrait se raccorder au réseau de Pevek avant la fin de l’année 10. Du côté américain, NuScale 11, modèle qui se développe activement depuis 2008, pourrait mettre en service ses premières unités dans l’Idaho à partir de 2027. Une deuxième centrale de plusieurs SMRs est planifiée pour être installée dans le Tennessee.
NuwardTM rejoint donc le marchés SMR avec un peu de retard. Néanmoins, la France possède toutes les compétences et le tissu industriel nécessaire pour vite monter en puissance. L’expérience cumulée dernièrement avec le programme de propulsion nucléaire Barracuda 12 pourrait aussi être un atout. La stratégie visée pour accélérer le développement de NuwardTM s’appuie fortement sur la collaboration, d’abord au niveau national puis à l’international. Un consortium français a été constitué avec quatre acteurs multidisciplinaires et complémentaires : EDF (architecte-ensemblier, exploitation et maintenance), le CEA (design du cœur, tests et modélisation), Naval Group et TechnicAtome (développement de la chaudière et approche modulaire). A l’international, un accord de coopération entre le CEA, EDF et Westinghouse a aussi été signé lors de la Conférence Générale de l’AIEA. Avec cet accord les industriels franco-américains espèrent faire de progrès en termes d’homologation, d’harmonisation et de standardisation du design, éléments clés pour le succès de la technologie SMR. Une feuille de route détaillée de cette coopération devrait voir le jour au début de 2020 13. Le consortium français espère pouvoir livrer une première tête de série en 2030.
Malgré tous les bénéfices financiers détaillés supra, les SMRs ont un handicap économique important à dépasser pour démontrer leur compétitivité : les « déséconomies » d’échelle. Même avec un investissement total plus faible par rapport aux gros réacteurs, les coûts de production des SMRs (en euros par MWh) pourraient être plus élevés. L’effet de série (maximisé grâce à la modularisation, construction en usine, simplification, standardisation et une possible harmonisation) est un élément clé pour contrebalancer ces déséconomies d’échelle. Ces effets ont déjà été enregistrés dans l’industrie aéronautique et navale mais n’ont pas été encore prouvés pour la technologie SMR. L’importance de l’effet de série dépendra aussi des marchés et des applications ciblées. Par exemple, certains concepts de SMR pourraient être déjà compétitifs dans des régions isolées étant donné le prix prohibitif de l’énergie dans ces zones 14. Le concept coréen SMART, conçu pour satisfaire aussi des besoins de désalinisation, fait des progrès en Arabie Saudite 15.
Enfin, certaines questions demeurent encore sans réponse comme la sélection du site du premier démonstrateur NuwardTM, nécessaire pour démontrer la viabilité de son business model et rassurer les investisseurs. De plus, l’effet de série doit être supporté par un marché conséquent qui demeure pour l’instant incertain en France et dans le monde. Une étude de l’Agence de l’Énergie Nucléaire publiée en 2016 montre que ce marché pourrait varier en 1 et 21 GW en 2035 en fonctions des scénarios. L’harmonisation et la normalisation est aussi essentielle pour la viabilité des SMRs. En effet, compte tenu de leur petite taille, ils ne peuvent pas être adaptés à chaque projet ni être significativement repensés pour s’adapter à la réglementation de chaque pays 16. Des approches d’homologation multinationales pourraient donc aussi être envisagées. Cependant, l’expérience accumulée dans le passé avec des initiatives similaires pour les gros réacteurs montre que le sujet de l’harmonisation peut rencontrer des barrières, plus spécifiquement au niveau politique.
En conclusion, des défis devront encore être surmontés afin d’assurer le succès des SMRs en général, et du projet NuwardTM en particulier.. Comme le propose l’approche française, la coopération nationale et internationale semble être la meilleure option pour y parvenir.
Perspectives :
- Avec NuwardTM les industriels français rejoignent le marché des SMRs. Cependant il s’agit d’une arrivée tardive avec des premiers démonstrateurs sur le point de démarrer en Russie et des projets comme celui de NuScale qui se développent activement aux Etats-Unis depuis 2008.
- La France possède les compétences et le tissu industriel nécessaires pour développer des SMRs. Le retour d’expérience du projet de propulsion des sous-marins nucléaires Barracuda pourrait être un atout.
- Le compétitivité des SMR doit encore être démontrée, en particulier la capacité de l’effet série à contrebalancer le handicap des déséconomies d’échelle.
- Cela nécessitera un marché conséquent qui demeure pour l’instant incertain en France et à l’international. L’harmonisation jouera aussi un rôle clé pour faciliter l’accès de NuwardTM à un plus gros marché pour supporter l’effet de série. Face à ces incertitudes et défis, la collaboration nationale et internationale est un élément fort de la stratégie française.
Sources
- Pour donner un point de comparaison, un réacteur EPR a une puissance 1650 MWe.
- SFEN, NUWARD, le future SMR français, 17 Septembre 2019
- Certains projets récents de réacteur à grande puissance dans les pays de l’OCDE ont dépassé les 10 ans de construction.
- TechnicAtome, Small Modular Reactor (SMR)
- INGERSOLL D.T. et al., Can Nuclear Power and Renewables be Friends, ICAPP 2015
- IAEA, Advances in Small Modular Reactor Technology Developments, 2018
- IEA, Nuclear Energy in Clear Energy Systems, 2019
- La plupart du parc nucléaire mondial est constitué par des réacteurs d’eau légère.
- 3 d’eau légère (CAREM, KLT-40S et ACPR50S) et un réacteur avancé (HTR-PM).
- Forum Nucléaire Suisse, Russie : la centrale nucléaire flottante arrive sur son lieu de destination, 12 Septembre 2019
- NuScale, History of NuScale Power
- Lancé en conception en 1998, puis en réalisation en 2006, le programme Barracuda modernise la flotte des sous-marins nucléaire d’attaque (SNA). Le Suffren, SNA du programme Barracuda a été inauguré le 12 juillet 2019
- Westinghouse, Nuclear industry leaders, CEA, EDF and Westinghouse Electric Company to explore cooperation on Small Modular Reactor, 17 Septembre 2019
- OECD/NEA, Current Status, Technical Feasibility and Economics of Small Nuclear Reactor, 2011
- WNA, Korea, Saudi Arabia to cooperate on SMART deployment, 20 Septembre 2019
- OECD/NEA, Small Modular Reactors : Nuclear Energy Market Potential for Near-term Deployment, 2016