Vienne. Transformer l’atmosphère positive du moment en points dans les sondages, car c’est le seul élément qui compte vraiment. C’est avec ce jeu de mots qui ne peut être compris qu’en allemand (« Stimmung » / « Stimmen ») que Sebastian Kurz, 33 ans, chef du Parti populaire autrichien qui a vu son mandat de chancelier prendre fin brutalement en mai dernier à cause d’un scandale qui a frappé le FPÖ, a mobilisé les électeurs qui l’ont élu vendredi à Vienne1.

Son gouvernement de coalition entre les populaires et l’extrême droite avait été caractérisé par beaucoup comme un modèle possible de coexistence entre les conservateurs et la droite anti-système, surtout à la veille des élections au Parlement européen qui semblaient annoncer un tournant majeur dans l’équilibre du pouvoir entre les familles politiques en faveur des forces plus eurosceptiques. C’était la publication d’une vidéo dans laquelle le vice-chancelier Heinz-Christian Strache, en vacances à Ibiza avant les précédentes élections générales, avait promis un jour au gouvernement un traitement favorable à la fausse petite-fille d’un oligarque russe, pour avoir fortement mis en crise le modèle d’alliance bleu et noir (des couleurs de leurs partis respectifs). Pour stigmatiser l’impact de l’affaire sur la moralité publique autrichienne, le président de la République lui-même, Alexander Van der Bellen, qui a béni la naissance d’un gouvernement de décompression technocratique dirigé par le président de la Cour constitutionnelle.

Cependant, la transition s’est rapidement achevée et l’électorat autrichien a repris la parole. Ce qui vient de s’achever, c’est une campagne électorale atypique : d’abord parce qu’elle n’était pas planifiée (elle aurait dû être organisée à l’automne 2022) et ensuite parce qu’elle était dominée par les chutes, les paris et les résurrections imprévues. La chute libre est d’abord celle de Strache : s’étant tout de suite retiré dans la vie privée, puis tenté par un siège à Bruxelles, il doit gérer les révélations continues des médias sur les dépenses personnelles engagées par le parti pendant sa gestion et éviter de ballaster la course de son successeur Norbert Hofer. Selon les experts politiques autrichiens interrogés par le journal Der Standard, il est toutefois peu probable que de nouvelles enquêtes sur l’ancien dirigeant affectent la base électorale du FPÖ, qui a recueilli récemment en Europe un bon 17 %. Le politologue Peter Filzmaier a noté que la droite et l’extrême-droite seraient toujours à plus de 50 %, rouvrant la porte à une éventuelle réédition de la coalition2. À condition que l’affaire Strache ne soit pas encore confirmée comme un obstacle trop important à surmonter.

L’ÖVP, dans lequel Kurz milite depuis son adolescence et qui s’est transformé en peu de temps d’un parti catholique et rural en un mouvement moderne centré sur la figure de son jeune dirigeant, se trouve à un tournant. Les sondages suggèrent que son résultat sera largement supérieur à 30 %, ce qui permettrait à l’ancien chancelier de mener facilement les jeux pour la formation du nouveau gouvernement. Mais qui sera invité à la table des négociations ? Il n’y a pas beaucoup d’options : soit le canal est rouvert avec le FPÖ de Hofer (oubliant non seulement le scandale qui a submergé son chef, mais aussi la rapidité avec laquelle Kurz a déclaré terminée son expérience du gouvernement) soit de nouvelles géométries doivent être recherchées. Les Sociaux-démocrates de Pamela Rendi-Wagner sont jumelés dans les sondages d’extrême droite, avec un peu plus de 20 %. Ils ont été pendant des années partenaires dans le gouvernement du Populaire (même à l’époque où un très jeune Kurz était appelé à agir comme sous-secrétaire puis ministre des Affaires étrangères) et tous deux sont vivants dans le souvenir de l’impasse et du taux élevé de querelles dans les cabinets de la Grande coalition. C’est précisément Rendi-Wagner qui, lors de sa rencontre de vendredi, a polémiquement désigné Kurz comme leader possible d’une « coalition de perdants » contre lui3. Le fait d’avoir réveillé ce fantôme est probablement une tentative de renforcer la mobilisation de l’électorat et de faire passer le message : « c’est moi ou eux ». Une attitude de « victime » qui, selon le chroniqueur du quotidien conservateur Die Presse Elisabeth Postl, était l’une des tendances distinctives de cette campagne électorale4. Mais « ils » ne sont pas seulement les socialistes et l’extrême droite. Parmi les interlocuteurs possibles, il y a le dirigeant féroce du parti libéral et pro-européen Beate Meinl-Reisinger, NEOS. Un jeune mouvement qui a choisi la couleur rose comme symbole, né dans une opposition bruyante à la nomenclature de l’ÖVP et à tout ce qu’elle a représenté historiquement. La résurrection la plus inattendue, en revanche, est celle des Verts : ayant manqué leur entrée au Parlement lors des dernières élections, ils sont prêts à surfer sur la vague de la nouvelle sensibilité écologique du moment.

Comme affirmé dans sa dernière vidéo sur les médias sociaux, le message de Kurz est donc une invitation aux électeurs à faire en sorte que « la voie du changement », prise après sa victoire en 2017, ne soit pas destinée à être fermée à jamais. Une vidéo dans laquelle le « garçon prodigue », qui dans le passé avait été représenté alors qu’il escaladait une montagne en déclarant son amour pour le pays, n’apparaît que dans un costume sombre devant le drapeau autrichien. Comme s’il était déjà à la Chancellerie. Ou simplement, comme s’il n’était jamais parti.

Sources
  1. WINDISCH Franziska, Kurz warnt im Wahlkampf-Endspurt vor rot-blauen Allianzen, Der Standard, 27 septembre 2019
  2. WEISSENSTEINER Nina, Keine großen Wählerverschiebungen wegen FPÖ-Spesenaffäre in Sicht, Der Standard, 27 septembre 2019
  3. Kurz warnt : « …dann heißt nächste Kanzlerin Rendi-Wagner », Die Presse, 27 septembre 2019
  4. POSTL Elisabeth, Warum alle plötzlich Opfer sind, Die Presse, 27 septembre 2019