Téhéran. Le départ de M. Bolton aurait été précipité par son inflexibilité face à Téhéran : M. Trump souhaiterait préparer un allègement des sanctions contre la République Islamique afin de garantir la possibilité d’une rencontre, voire de la reprise des négociations entre les deux pays, approche radicalement contraire à celle préconisée par M. Bolton1. Celui-ci a en effet toujours été hostile au JCPOA (accord sur le nucléaire iranien), et est un promoteur de longue date de la politique de « changement de régime », voire d’une intervention militaire contre le pays2. Il se faisait l’avocat de la « pression maximale » sur la plupart des dossiers diplomatiques sur lesquels il était consulté (l’Iran, le Venezuela et la Corée du Nord notamment).

Son remplacement pourrait ainsi signifier l’abandon de la ligne dure par M. Trump, désormais officiellement en campagne pour sa réélection en 2020. De fait, les grandes initiatives américaines patinent : la situation s’enlise au Venezuela, le rapprochement entre le président américain et son homologue nord-coréen n’ont eu pour l’instant d’autres fruits que quelques images spectaculaires, le « deal du siècle » pour la paix au Proche-Orient est encore retardé et s’annonce décevant3 ; enfin les négociations avec les talibans afghans, visant à permettre le retrait des troupes américaines, ont été brusquement stoppées le 9 septembre dernier. En l’absence d’avancées majeures, M. Trump pourrait à présent vouloir privilégier la négociation afin d’obtenir une réussite concrète4.

En Iran, le départ de M. Bolton a été accueilli avec soulagement, tant son nom est associé à l’hostilité américaine contre le régime islamique. Il était également conspué pour son soutien à l’Organisation des Moudjahidines du Peuple (OMPI, ou MeK, Moudjahidin-e-khâlk), organisation d’opposition honnie du régime. Le ministre iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, avait fait de M. Bolton un pilier de la « B-team », un groupe de dirigeants nuisant selon lui à l’Iran et à la stabilité du Moyen-Orient : M. Bolton donc, le président israélien Benjamin Netanyahou, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman, ainsi que le prince héritier émirati Mohammed ben Zayed. Il a d’ailleurs réagi à son départ par un tweet, qui illustre le sentiment qui domine en Iran : passé le soulagement, le changement de personnel ne vaut pas a priori changement de politique, et la « pression maximale » américaine pourrait tout à fait survivre au départ de son principal soutien à la Maison Blanche. Tout symbolique que soit le départ de M. Bolton, le même jour entrait pourtant en vigueur un nouveau train de sanctions américaines visant des organisations terroristes, incluant les Gardiens de la Révolution iraniens, aux côtés du Hezbollah, du Hamas palestinien et de l’Organisation État Islamique.

D’autre part, le camp Rohani, en difficulté face aux conservateurs, ne peut pas se permettre de paraître céder à la pression du « Grand Satan » américain. Officiellement, la République Islamique refuse toujours le principe de négociations sans une levée préalable des sanctions, et continue de s’affranchir graduellement des limites imposées par le JCPOA concernant son stock d’uranium enrichi. Enfin, s’il s’avère exact que le président américain cherche à obtenir un accord avant les élections, Téhéran n’hésitera pas à exploiter au maximum son empressement.

L’idée d’une rencontre entre M. Trump et M. Rohani, telle que souhaitée par M. Macron, est sans doute moins irréaliste en l’absence de M. Bolton. Une telle rencontre serait une première depuis 1979 et pourrait contribuer à faire diminuer les tensions, qui ont atteint un dangereux pic en juin, voire à relancer les négociations entre les deux parties. Mais est-il réaliste d’attendre du président américain qu’il réussisse seul et en un an à obtenir un meilleur accord que celui longuement et durement négocié par les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, l’Allemagne et l’Union Européenne ?

Perspectives :

  • La nomination du remplaçant de M. Bolton devrait être annoncée rapidement et permettra de voir dans quelle mesure le président américain est déterminé à rompre avec la ligne dure de son administration.
  • Le 17 septembre s’ouvre l’assemblée générale des Nations Unies, propice à une rencontre entre M. Rohani et M. Trump, encouragée par le président français et le premier ministre japonais Shinzo Abe.
Sources
  1. JACOBS Jennifer, MOHSIN Saleha, LEONARD Jenny, WAINER David, Trump discussed easing Iran sanctions, prompting Bolton pushback, Bloomberg, 11 septembre 2019
  2. BOLTON, John R., To stop Iran’s bomb, bomb Iran, New York Times, 26 mars 2015
  3. PARIS Gilles, Proche-Orient : la démission de l’émissaire de Trump pour la paix alimente les doutes sur le plan américain, Le Monde, 5 septembre 2019
  4. WRIGHT Thomas, Bolton’s departure signals Trump’s foreign-policy pivot, The Atlantic, 11 septembre 2019