Mazara del Vallo, Sicile. Alors qu’il y a quelques jours, le Premier ministre Giuseppe Conte consacrait quelques lignes générales de son discours prononcé devant le Parlement, à la situation libyenne – « l’engagement en faveur de la stabilisation » –, le général Khalifa Haftar continuait à assiéger Tripoli et à bombarder le seul gouvernement que l’Italie et la communauté internationale reconnaissent officiellement, celui de Fayez Serraj. En même temps, une diplomatie parallèle et en sens inverse était menée.

En effet, le lundi 9 septembre, Mazara del Vallo a été le point de départ des premiers navires de pêche italiens à opérer dans les eaux orientales libyennes sur la base d’un accord privé d’une durée de cinq ans, signé le 12 mars et mis en œuvre le 15 juillet entre Federpesca et la Libyan Military Investment and Public Works, agence d’investissement liée à l’armée nationale libyenne autoproclamée (LNA) du général Khalifa Haftar1.

Il s’agit du premier accord opérationnel qui protège enfin les navires de pêche italiens du risque d’opérer sans autorisation dans une zone maritime particulièrement poissonneuse et d’une importance vitale pour les marines italiennes. Le problème est que cet accord a été conclu avec les milices de Haftar, soutenues par les Russes, les Français et les Égyptiens, mais pas avec Fayez Sarraj.

« Il s’agit d’un accord privé » a affirmé le président de Federpesca. Si privé que les affaires personnelles l’emportent sur les affaires étrangères italiennes : chaque bateau devra payer 10 000 euros par mois, et un euro et demi par kilo de poisson, en échange de la pax méditerranéenne.2

Pas de mitrailleuses, pas de risque de kidnapping. Les armateurs se justifient : « Que devons-nous faire ? Laisser les bateaux de pêche courir à nouveau un risque ? Le gouvernement italien déconseille-t-il la pêche sans accord ? Ils n’ont rien fait. Nous sommes donc parvenus à cet accord. »

Le dernier épisode malheureux s’est produit dans la matinée du 6 septembre, à environ 32 milles au nord du port de Benghazi. Un canot avec à son bord des militaires cyrénaïques a tiré en l’air des coups de mitrailleuse pour éloigner un groupe de bateaux de pêche de Mazara de cette zone maritime. Heureusement, l’intervention dans le secteur d’une unité de marine italienne a évité le pire et fait cesser la tentative de saisie par les Libyens.3

La zone contestée est la fameuse ZEE (Zone économique exclusive), déjà le théâtre de nombreux enlèvements et attaques contre des bateaux de pêche de Mazara.

La ZEE est une zone de pêche interdite, établie unilatéralement (en référence à la Convention de Montego Bay de 1982) en février 2005 par le régime du colonel Kadhafi, qui s’étend sur 62 milles au-delà de la limite des eaux territoriales de 12 milles.

Il s’agit d’une question controversée. À la fin des années 1990, aucun pays riverain de la mer Méditerranée n’avait proclamé des ZEE, bien qu’ils en aient le droit. À la base de cette situation, il y avait surtout des considérations géographiques : nulle part en Méditerranée, les côtes ne sont à 400 milles ou plus des côtes opposées d’un autre État. Il y avait également des raisons d’éviter de perturber le statu quo en raison d’éventuels conflits entre la Grèce et la Turquie. La Méditerranée était donc caractérisée par de vastes zones de haute mer et il n’y avait que des zones limitées réservées à la pêche, comme une ZEE maltaise de 25 milles.

Par la suite, certains États ont toutefois créé des zones où ils exerçaient une partie de leurs droits (droits de pêche, par exemple) et de leurs devoirs (protection de l’environnement, notamment) rattachés aux ZEE.

À la fin du XXe siècle, ce principe a été remis en cause par des initiatives de certains États parmi lesquels l’Algérie, qui a été la première à déclarer sa zone de pêche en 1999, suivie de l’Espagne en 1997 et de la Croatie en 2003 qui a défendu sa zone de protection écologique et de pêche. La France, qui avait créé en 2004 une zone de protection écologique méditerranéenne, a depuis le 14 octobre 2012 revendiqué une ZEE.4 En 2005, c’était au tour de la Libye, suivie l’année suivante par la déclaration de sa propre zone de protection écologique en Italie. Le contrat que vient de signer Federpesca avec le Commandement maritime de la Cyrénaïque, une société de courtage maltaise, garantirait le respect de l’accord, valable cinq ans et prévoyant la pêche dans ces eaux pendant huit mois par an. À bord de chaque navire, un observateur sera présent. En contrepartie, la société propriétaire du navire autorisé à pêcher dans ces zones paiera 10 000 euros par mois et 1,50 euro par kilo de poisson capturé.

« Il s’agit d’un premier accord, qui sera bientôt suivi d’autres accords visant à élargir le champ des opérations, couvrant l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, de la pêche à l’aquaculture, en passant par la transformation et la commercialisation des produits de la pêche, la formation et la coopération scientifique », a déclaré Luigi Giannini, président de la Fédération.5

« Cet accord – a conclu le président de Federpesca Mazara – pourrait être le précurseur d’autres accords avec d’autres pays côtiers, je pense par exemple à l’Égypte. Il faut d’abord conquérir la confiance des autorités maritimes de ces pays ; grâce à cela nous espérons entamer un dialogue de paix : il faut mettre un terme à la guerre des poissons. »6