Quelles sont les problématiques géopolitiques internes à la Corée du Sud ?

Comme vous le savez, notre pays a été marqué par la guerre de Corée de 1950 à 1953 entre le Nord et le Sud. 70 ans sont passés, et pendant ces dernières années, le monde a traversé une grande période de reconfiguration, avec la dislocation de l’Union soviétique, la chute du mur de Berlin, et la Chine, qui a émergé comme la seconde puissance économique mondiale. D’autres pays en Asie du Sud-Est, tels que le Vietnam, le Laos, le Cambodge, ont été colonisées par la France, et désormais collaborent en tant que voisins au sein de l’ASEAN, composé de 10 membres.

La structure héritée de la Guerre froide sur la péninsule coréenne reste intacte jusqu’à nos jours. Alors que 70 ans sont passés après la Guerre de Corée, nous pensons qu’il est temps de mettre en place un régime qui permette la paix durable. J’aimerai vous rappeler qu’en décembre 2017, suite aux missiles testés par la Corée du Nord, les Media parlaient d’une deuxième guerre entre Corées. Moon Jae-in, le Président de la République de Corée a pensé que pour tourner la page, il serait alors judicieux d’utiliser les jeux olympiques d’hiver de PyeongChang. Il a proposé d’y faire équipe commune, notamment pour le hockey sur glace. À cette occasion, la situation a commencé à changer. Après l’évènement, beaucoup de choses se sont passées entre les deux dirigeants Moon Jae-in et Kim Jong-un. Trois rencontres ont été organisées, dont la première à Panmunjom, la zone frontalière entre la Corée du Sud et la Corée du Nord. On ne pouvait même pas l’imaginer il y a un an. Simultanément, notre objectif a été de trouver un accord de paix à long terme, mais ce projet ne peut pas se faire sans résoudre la problème nucléaire.

Les deux objectifs poursuivis sont donc l’installation de la paix permanente et la resolution de la problématique nucléaire. Pour cela, nous avons développé des mesures de confiances, notamment dans le secteur militaire. Nous travaillons également sur des projets jumelés, tels que le domaine ferroviaire longtemps bloqué pour maintenant rejoindre les lignes sud et nord coréennes. Par ailleurs, sur la question humanitaire a avancé : les familles séparées se sont retrouvées, et les choses ont évoluées. Mais concernant la question nucléaire, nous n’avons pas atteint un consensus optimal. Cependant, aucun test nucléaire n’a été effectué depuis 2018. La situation dans la péninsule coréenne est donc bien meilleure qu’auparavant.

Pour ce qui est des problématiques nucléaires, les Etats-Unis et la Corée du nord sont passés par des hauts et des bas, mais depuis la dernière rencontre entre les deux dirigeants, les pays restent en contact dans le cadre professionnel. Nous verrons ce qu’ils peuvent accomplir tous ensembles concernant la question nucléaire. Mais nous ne sommes pas naïfs. Nous ne sommes ni optimistes, ni pessimistes ; nous sommes réalistes. Il y a encore un manque de confiance entre Washington et Pyongyang. Les choses ne changent pas du jour au lendemain. Nous devons donc faciliter le dialogue.

La question nucléaire reste donc l’enjeu majeur, pas seulement pour la Corée, mais également pour tous les autres pays, la France incluse.

Quelles sont vos relations avec l’Union européenne, et les secteurs dans lesquels vous coopérez ?

La relation entre l’Union européenne et la Corée du Sud est bonne. Sur le front politique, nous ne rencontrons pas de divergences. Nous restons bons amis, il n’y a pas de problème. Dans les années 1950 au cours de la Guerre de Corée, la France, le Royaume-Uni et plusieurs autres pays d’Europe ont envoyé des troupes en Corée du Sud. Le bataillon français est arrivé dans la péninsule coréenne et a combattu aux côtés des troupes sud-coréennes contre les forces nord-coréennes, où il a perdu plus de 200 soldats. La France nous a fourni un support militaire. L’Allemagne était aussi un des premiers pays européens qui, après la fin de la guerre froide, est entré dans ce qu’on appelle désormais la official development assistance (ODA, défini par l’OCDE) . Elle était numéro un. La France, numéro deux, à travers son assistance économique et sociale, a permis la construction d’écoles et d’hôpitaux. On s’en souvient, et sommes toujours reconnaissants pour cette assistance. Après cela, nous avons envoyé dans les années 1960 des mineurs et des infirmières en Allemagne, et cela a été une grande source de partage de savoir pour la Corée du Sud. Commençait aussi l’exportation vers l’Union européenne de produits « primitifs » coréens, tels que les perruques. Ainsi, dans les années 1980, nous avons pu échapper à la pauvreté absolue. C’était l’époque où on commençait à parler de la Corée comme un des quatre « Dragons d’Asie », aux côtés de Singapour, Taïwan et Hong-Kong, lorsque le gouvernement était parvenu à porter le pays jusqu’à un certain niveau économique. Après cela, la Corée a progressivement investi dans le secteur des infrastructures. Les États-Unis ont été un partenaire important, mais la France a aussi été un acteur clef pour la Corée. Par exemple, le plan nucléaire arrivait dans une période où le secteur était mené par Framatome (dont le nom a changé plusieurs fois) et Alstom, alors profondément impliqués dans le développement de ce plan nucléaire en Corée.

Le plus important transfert de technologie a sûrement été le train à grande vitesse par la France, mais aussi l’industrie de la défense, les satellites, etc…

Maintenant, la Corée est la onzième économie mondiale, et la France est 6ème . Nous sommes donc devenus des partenaires à part entière pour les pays européens et à l’échelle internationale. Nous entretenons des points de convergence avec l’Union européenne pour les questions sécuritaires (prospérité sur le monde, préservation de la paix, souveraineté, lutte contre le terrorisme), et sociales (protection et promotion des Droits de l’Homme, lutte contre l’extrême pauvreté). Nous sommes proches des idées de l’Union européenne.

J’ajouterai simplement une chose – nous soutenons fortement une Europe à forte leadership, afin d’assurer que la démocratie perdure. De plus, l’Union européenne joue un rôle important dans la médiation des problématiques relatives au programme nucléaire. Naturellement, nous voulons voir une Union forte et durable pour poursuivre son rôle et son soutien.

Quelles sont les analyses sur les tensions récéntes entre la Corée et le Japon ?

Nous allons passer à des problématiques plus régionales, principalement avec les restrictions de libre-échange annoncées par le Japon. Pour résumer les faits, le Japon a décidé de placer des mesures restrictives sur certains composants indispensables pour notre production de semi-conducteurs. Deuxièmement, ils défendent ces mesures unilatérales en disant qu’ils n’ont pas confiance envers notre système de contrôle d’exportation. Mais ils n’ont pas pu montrer les bases concrètes sur ces mesures. Notre réponse a été très simple et claire. Nous avons des contrôles très stricts sur les exportations. Nous sommes d’ailleurs plus stricts que ceux du Japon et de la plupart des pays d’Asie de l’Est. Nous avons fait face à la Corée du Nord sur les dernières décennies, d’où nos systèmes très sévères. Nous sommes un pays qui suit sérieusement, sincèrement, strictement les résolutions du Conseil de l’ONU.

Nous avons toujours des contentieux historique avec le Japon, notamment relatifs au travail forcé dans les années 1940 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le Japon aurait pu atteindre un bon niveau de prospérité basé sur le Free Trade system. Le Japon contribue à la plupart des formes de libre-échange, mais désormais le pays mélange politique et commerce. Je considère que c’est une forme de vengeance politique envers la Corée du Sud.

L’Organisation Mondiale du Commerce est actuellement en session à Genève. Nous espérons que le Japon abandonnera son but de représailles avec les mesures prises contre la Corée du Sud. Il y a deux compagnies majeures en Corée : Samsung et SK, qui sont responsables de 75 % des semi-conducteurs ( DRAM, Dynamic Random-Access Memory ) dans le monde. Si le Japon met en place ses mesures restrictives envers la Corée du Sud, bien sûr que ces compagnies seront négativement affectées. Elles n’auront pas d’autres choix que de réduire leur production, et moins de production signifie des prix en hausse. Cela affectera la France aussi, comme vous achetez beaucoup de nos produits. Et pas seulement la France, mais le Royaume-Uni et d’autres pays. Mis à part réduire la production, n’y-a-t-il pas d’autres alternatives ? Bien sûr, nous tentons de minimiser les effets des mesures japonaises, et de maintenir une stabilité, étant le deuxième marché mondial de semi-conducteurs.

Quelle place l’histoire occupe-t-elle dans ce contentieux selon vous ?

Comme vous le savez, en 1910, nous avons perdu notre souveraineté au profit du Japon, et ce pendant 35 ans. Pendant l’occupation, les coréens ont beaucoup souffert, et des problèmes persistent encore sur cette période. Les plus connus d’entre eux touchent aux « femmes de réconfort » et au travail forcé. Le problème est que le Japon n’a pas tout reconnu sur ces problématiques.

Quelles relations entretenez-vous avec vos autres pays voisins ?

Bien sûr, la tradition diplomatique de la Corée du Sud fait que nous attachons une grande importance à nos voisins régionaux, à travers des relations au plan politique et économique. Le président Moon Jae-in, promulgue particulièrement avec les pays du Sud-Est, soit 10 membres de l’ASEAN, ce qu’on appelle la New Southern Policy.

Nous investissons plus pour renforcer notre relation avec ces dix membres. En novembre prochain par exemple, nous allons avoir un sommet spécial à Busan. Dans le cadre de ces nouvelles politiques, nous diversifierons les mesures d’investissements partenariales pour qu’il y ait plus d’échanges entre la Corée et l’ASEAN. Ce sera également un échange culturel.

Quelles sont les sources de doctrines coréennes ?

Nous avons beaucoup d’instituts de recherches gouvernementales ou privées. Le Korean Development Institute (KDI), établie dans les années 1960, devait contribuer au développement économique de la Corée du sud. Maintenant, le KDI invite beaucoup d’officiels et de chercheurs des pays en voie de développement pour donner des cours. Il y a également des instituts de recherche comme le SERI de la compagnie Samsung. Les grandes marques ont leur propre institut de recherche pour le secteur de l’échange et de l’investissement. Les ministères en ont également pour les affaires étrangères.

Les think tanks se positionnent sous les ministères respectifs, où les enseignants ont de l’influence, toutefois différemment des instituts étatiques. Nous avons également des groupes publics et un système de conseil consultatif. Habituellement, les ministères ont leurs propres conseillers non-permanentsavec lesquels ils entretiennent un dialogue régulier, très spécifique à la Corée du Sud. Les membres des think tanks appartiennent très souvent à ces structures. C’est là une manière récurrente de travailler avec les think tanks pour établir de nouvelles politiques. Nous écoutons ces membres, et une fois que les politiques sont établies, nous organisons en coopération avec eux des rencontres publiques à travers des forums et séminaires. En France, les think tanks sont en lien avec l’IRIS, l’IFRI, la FRS. C’est une part importante de la diplomatie.

Le système va ainsi dans les deux sens : nous rentrons en contact avec eux lors de la phase de conception des politiques, et une fois produites, nous regardons leur fonctionnement à travers ces mêmes think tanks.