Yokohama. Avec le lancement d’un second destroyer de classe Maya, la Force maritime d’autodéfense japonaise – ou Kaijō Jieitai – confirme sa volonté de demeurer une force navale de premier plan dans un contexte marqué par la réémergence de la Chine et l’accroissement des tensions au sein de l’espace indopacifique. Le déploiement de ce bâtiment lourdement armé jaugeant près de 9 000 tonnes n’est pourtant que la matérialisation la plus récente d’une ambition politique déjà ancienne, le tonnage total de la marine militaire japonaise étant passé de 227 000 tonnes en 1988 à près de 450 000 tonnes aujourd’hui1.

Ce second destroyer de classe Maya, officiellement nommé Haguru, est lourdement armé2 : en plus des systèmes anti-missiles Aegis, ce bâtiment embarque en effet un canon de 127 mm et équipe 96 silos capables de recevoir des missiles surface-air (RIM-66, SM-6), antibalistiques (SM-3, RIM-162), anti-sous-marins (Type 07) et surface-surface (Type 17). Il représente donc un instrument militaire extrêmement polyvalent, susceptible d’engager des cibles variées et de couvrir les manœuvres de bâtiments aux défenses moins importantes, voire d’accompagner le déploiement des nouveaux moyens amphibies du Japon3. En ce sens, il est intéressant de constater que les Izumo (27 000 tonnes), lancés entre 2015 et 2017 et jusqu’ici présentés comme des porte-hélicoptères, seront transformés en porte-aéronefs et recevront une dotation de F35-B.

La Force maritime d’autodéfense japonaise possède des moyens conséquents4 : en plus de deux porte-avions de classe Izumo et de deux porte-aéronefs de classe Hyūga, celle-ci dispose en effet de trois navires amphibies de classe Osumi, de 26 destroyers, de 10 frégates et de six corvettes auxquels s’ajoutent par ailleurs près d’une vingtaine de sous-marins d’attaque de classe Sōryū et Oyashio. Le Japon possède aussi une aéronavale plus que respectable articulée autour d’une quarantaine de F-35B, de plus de soixante avions de patrouille maritime P3 Orion et près d’une centaine d’hélicoptères Mitsubishi H-60 Seahawk. Une force taillée pour une confrontation de haute-intensité5, donc, et susceptible d’engager son adversaire dans l’ensemble des dimensions propres au combat naval, aéronaval et amphibie.

La montée en puissance de l’appareil militaire nippon intervient dans un contexte particulier : Tokyo s’inquiète de la réémergence d’une Chine ayant parfaitement intégré que son avenir se jouerait aussi sur les mers et cherche à contrer l’avènement de Pékin d’une part en se reposant sur le traditionnel allié états-unien et d’autre part en nouant avec d’autres puissances régionales et internationales des partenariats supplémentaires. Entre autres États6, Taïwan, l’Inde, l’Australie et la France pourraient en ce sens constituer des alliés de choix, ces derniers partageant avec le Japon un certain nombre de préoccupations7.

Perspectives :

  • Le nœud gordien de la Constitution de la Paix : Bien équipées et formées, les Forces d’autodéfense japonaises conservent un potentiel important mais limité par la Constitution de la Paix. L’article neuf de ce texte précise ainsi que « le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux, » même si les lois sur la paix et la sécurité (Heiwa Anzen Hōsei) adoptées en 2015 par le gouvernement de Shinzo Abe introduisent le concept d’autodéfense collective, en vertu duquel les forces armées japonaises peuvent désormais intervenir dans un conflit impliquant l’un de leurs alliés, sans attendre au préalable que le Japon soit attaqué directement.
  • Dans l’Indopacifique, une course à l’armement naval  : Le Japon n’est pas la seule nation asiatique à assurer la montée en puissance de sa marine militaire. La Chine s’est elle aussi dotée d’une flotte hauturière conséquente, articulée autour de destroyers bien armés – les Type 052D de 7 500 tonnes arment un canon de 130 mm et surtout, sont équipés de près de 65 silos lance-missiles – mais aussi et surtout de moyens aéronavals et amphibies, en sus d’une sous-marinade respectable. La Corée du Sud, l’Inde et l’Australie ne sont pas en reste, avec des flottes de 180 000, 300 000 et 110 000 tonnes, respectivement. Par comparaison, la marine militaire chinoise représente cependant près de 1 200 000 tonnes de bâtiments divers et variés.
  • Remilitarisation allemande ; remilitarisation japonaise : Alors que la société allemande continue de rejeter la perspective de la remilitarisation, la société japonaise, si elle ne consent pas à la révocation de l’article 9 de la Constitution de la Paix, ne s’oppose pas à la montée en puissance indéniable des forces militaires du pays. La menace chinoise semble ainsi influencer les consciences nippones, tandis que l’opinion publique allemande, peu-sensible aux menaces extérieures, semble unie dans son opposition à une augmentation des dépenses militaires fédérales.
Sources
  1. GROIZELEAU Vincent, Un tour du monde des forces navales, Mer et Marine, 20 février 2017
  2. GADY Frantz-Stefan, Japan Launches Second Maya-Class Guided Missile Destroyer, The Diplomat, 17 juin 2019
  3. NEWSHAM Grant, How Japan got an Amphibious Rapid Deployment Brigade, Asia Times, 27/03/2018
  4. The Japan Maritime Self-Defense Force today, Naval Analyses, 12 janvier 2019
  5. EZRATI Milton, Japan Accelerates Its Defense Build-up, National Interest, 13 janvier 2019
  6. CHAPONIERE Jean-Raphaël, Face à la Chine, le Japon bouge encore en Asie du Sud-Est, Asialyst, 11 janvier 2019
  7. TIERNY Hugo, Japon-Taïwan : quel avenir pour le partenariat stratégique ?, Asialyst, 29 juin 2017