Paris. Les Amis de la terre France, Oxfam France et le réseau Action Climat France publiaient il y a quelques jours le rapport Cachez ces fossiles que l’on ne saurait voir- trois institutions financières publiques à l’épreuve de l’Accord de Paris1. L’étude se concentre sur l’Agence Française de Développement (AFD), la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et Bpifrance Assurance Export, l’agence française de crédit à l’exportation. Malgré les engagements de ces institutions à rendre leurs activités compatibles avec l’Accord de Paris de 20152, le rapport révèle en réalité des pratiques inverses.

BpiFrance arrive en tête des institutions les plus en retard en matière de désinvestissement dans les actifs polluants. En effet, ce qui devrait être une interface exemplaire de la France avec des partenaires étrangers a subventionné 2 milliards d’euros de projets d’énergies fossiles dans le monde entre 2015 et 2018. À titre de comparaison, ces financements représentaient l’équivalent des fonds versés par l’AFD pour l’adaptation au changement climatique entre 2015 et 2017. Au niveau européen, le rapport souligne que même si la Banque Européenne d’Investissement se présente aujourd’hui comme la « Banque pour le Climat » elle n’a vraisemblablement pas adapté ses pratiques de façon à en mériter le titre. En effet, entre 2015 et 2018, la BEI aurait consacré « 21 % de ses prêts dans le secteur de l’énergie aux fossiles, soit 7,9 milliards d’euros dont 6 milliards dans le développement de nouvelles infrastructures gazières en Europe »3. Des montants déjà décriés et mis à jour par les Verts et les Progressistes du Parlement européen lors de la précédente mandature.

Enfin, l’étude dénonce le recours de plus en plus courant des institutions à l’intermédiation financière, une pratique consistant à investir via des fonds ou des prêts à des banques commerciales. 30 % des investissements la BEI ont été effectués via des intermédiaires financiers entre 2015 et 2018, soit 92,8 milliards d’euros. Le problème : ces montages limitent la transparence de ces investissements et ne permettent pas de garantir que les investissements publics sont utilisés pour des projets de développement durable. Au contraire, le rapport prend l’exemple de Proparco, un intermédiaire de la BEI et filiale de l’Agence Française de Développement, finançant FirstBank Nigeria, une banque nigériane dont les prêts étaient alloués à 37 % (2 milliards d’euros) à des projets d’énergies fossiles.

A l’échelle mondiale, pour chaque dollar investi dans les énergies renouvelables, 2,5 dollars sont investis dans les énergies fossiles et ces dernières continuent à être deux fois plus subventionnées que les énergies renouvelables4. Quatre ans après la COP21, il est difficilement justifiable que les institutions financières publiques analysées ne soient pas irréprochables, enfreignant ainsi à la fois l’Accord de Paris et la Convention sur la Diversité Biologique (CBD). Alors que les COP de ces deux conventions se tiendront en fin d’année et début 2020, l’Union européenne accumule les difficultés à affirmer son leadership climatique. Encore divisée sur l’objectif de neutralité carbone, après le ralliement tardif d’Angela Merkel à cet engagement après les élections européennes, l’Union n’aura que plus de difficultés à promouvoir des objectifs plus ambitieux lors du premier Sommet Climat en septembre si elle n’est pas elle-même exemplaire.

A l’heure où les solutions pour le financement de la transition énergétique sont débattues, l’investissement de sommes aussi importantes dans les énergies fossiles apparaît comme un non-sens politique et climatique.

Perspectives  :

  • Dans son discours devant le Parlement européen, la nouvelle présidente de la Commission Européenne Ursula Von Der Leyen a promis un « Green Deal » et une « Banque Climat » dont les contours restent encore flous.
  • Rendre exemplaires les investissements de la BEI semble un préalable indispensable à l’efficacité de la création d’une Banque Climat.
  • Ursula Von Der Leyen ayant promis des actions climatiques importantes dans les cent premiers jours de sa mandature, on peut espérer une action en ce sens sous peu. Elle s’opposerait cependant à la ligne tenue par son groupe politique (PPE), s’étant toujours opposé à renoncer notamment aux investissements européens dans les infrastructures gazières.
Sources
  1. Lors du One Planet Summit en 2017, la BEI a adopté l’objectif d’aligner son portefeuille avec l’Accord de Paris. La BEI juge même que d’ici 2020, lorsque la mise en œuvre de sa nouvelle stratégie sur le climat sera achevée, ses activités seront 100 % compatibles avec l’Accord de Paris
  2. Cachez ces fossiles que l’on ne saurait voir, Réseau action climat, 11 juillet 2019
  3. Bankwatch, Smoke and mirrors, janvier 2018
  4. Cachez ces fossiles que l’on ne saurait voir, Réseau action climat, 11 juillet 2019