Tbilissi. Des manifestations agitent la capitale géorgienne depuis plus d’une quinzaine de jours. Le 20 juin, une manifestation spontanée a éclatée en réponse à la visite de Sergueï Gavrilov à Tbilissi, membre du Parti communiste russe et député de la Douma. Monsieur Gavrilov avait été invité par parti au pouvoir, Rêve géorgien, à s’exprimer depuis le perchoir géorgien à l’occasion de l’Assemblée interparlementaire des pays orthodoxes. L’image d’un député russe ayant publiquement soutenu la guerre de 2008 contre la Géorgie, s’adressant aux députés géorgiens en russe depuis le siège du Président du Parlement a été mal digéré. Indignées, des milliers de personnes se sont rassemblées devant le parlement demandant son départ immédiat. Monsieur Gavrilov a d’abord été chassé du Parlement par des députés de l’opposition, puis de son hôtel, avant d’être escorté par les services de sécurité jusqu’à l’aéroport. La réponse des forces de l’ordre a été particulièrement violente : utilisation de lanceurs de balles de défense et de gaz lacrymogènes afin de disperser les manifestants1. Le lendemain de la #Gavrilovnight (plus d’une centaine de blessés) Irakli Kobakhidzele, le Président du Parlement, a démissionné.

Le Rêve géorgien, le parti au pouvoir depuis 2012, a tenté de maintenir l’équilibre entre la poursuite des politiques pro-occidentales des ses prédécesseurs, rapprochant la Géorgie des institutions et de l’économie européenne (dans le cadre de la poursuite de la mise en oeuvre du Partenariat Oriental, entres autres), tout en rétablissant progressivement les relations économiques et politiques avec la Russie. Ce rapprochement a notamment été symbolisé par la levée de l’embargo russe sur le vin et les produits agricoles géorgiens imposé par Moscou dès 2006 en réaction aux aspirations atlantistes, et européennes dans une moindre mesure, de Tbilissi. Les communications routières et les douanes avaient été rouvertes, et la circulation des flux, notamment de touristes russes, avait repris entre les deux voisins caucasiens. Les relations diplomatiques sont pourtant restées suspendues suite à la guerre russo-géorgienne de 2008. La Russie occupe encore 20 % du territoire internationalement reconnu de la Géorgie, et des troupes russes reste stationnées dans la région contestée de l’Ossétie du Sud, à 30km de Tbilissi2. Cet équilibre délicat entre les différentes influences étrangères entretenu par le gouvernement géorgien a récemment penché en faveur de la Russie : le Rêve géorgien a fermé les yeux sur la montée des forces anti-libérales et xénophobes avec un aspect profondément religieux orthodoxe, nourri par les intérêts russes et son discours “d’amitié orthodoxe” entre les deux peuples3.

L’invitation du Rêve géorgien de Sergueï Gavrilov à l’occasion de l’Assemblée interparlementaire des pays orthodoxes est ainsi perçue par une partie de la population géorgienne comme un nouveau signe de la complaisance du parti au pouvoir à l’égard des intérêts russes en Géorgie.

Monsieur Ivanishvili a cependant accepté l’une des demandes des manifestants : passer d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours à un scrutin proportionnel plurinominal pour les élections législatives, une réforme sans précédent pour la démocratie géorgienne. Les élections législatives de 2020 seraient donc entièrement fondées sur un système proportionnel4, permettant à l’opposition de réduire la domination du Rêve géorgien au sein du parlement.

Moins de 24 heures après le renvoi du député de la Douma Sergueï Gavrilov, Vladimir Poutine dégaine à nouveau son jeu de sanction internationales : il signe un décret interdisant aux compagnies aériennes russes de voler vers la Géorgie à partir du 8 juillet et incite les touristes russes à quitter immédiatement ce pays. Selon l’avocat et expert du Caucase Ted Jonas, l’expulsion de Gavrilov a embarrassé Poutine : ‘it was a public failure of just the kind of soft power play at which he normally excels ; embarrassed him even more that the failed initiative rested on one of his pet programs – using Orthodox Christianity to suppress Georgia’s pro-Western tendencies ; and embarrassed him because Georgians made a public statement to the world that they cannot stand him and have not forgiven Russia for its illegal occupation of 20 % of their country’s territory.’5

L’enjeu est en effet de taille pour la Russie qui cherche à maintenir son influence sur la politique géorgienne pour limiter ses aspirations européennes et atlantistes. Moscou est notamment préoccupée par le projet du port d’Ankalia sur les côtes de la Mer Noire. Ce projet de port est hautement stratégique : il renforcerait d’abord l’indépendance économique de la Géorgie, encore majoritairement dépendante de ses échanges avec la Russie. Il constituerait ensuite un atout majeur pour la sécurité européenne en tant que point d’entrée du corridor terrestre à travers le Caucase entre l’Europe et la Chine, et potentielle base navale pour des sous-marins américains en Mer Noire.

Perspectives :

  • Au 15ème jour des manifestations, la demande de démission de Guiorgui Gakharia, ministre de l’Intérieur et le responsable principal de la dispersion violente, n’est toujours pas satisfaite.
  • L’interdiction des vols directs avec la Russie heurtera de façon très probable l’économie géorgienne dépendante du tourisme, mais lui donnera une chance de s’émanciper de la dépendance russe.
  • Il reste à voir comment se traduira le rejet de la politique accommodant partiellement les intérêts russe dans la nouvelle politique étrangère Géorgienne.

Pour approfondir :

  • Sous la direction de Radvanyi, Jean, Les États postsoviétiques, identités en construction, transformations, politiques, trajectoires économiques, Armand Colin, Paris, 2011
  • Thomas de Waal, What Is Behind Georgia’s ‘Anti-Russia’ Protests, The Moscow Times, 25 juin 2019
Sources
  1. BOGVERADZE Mariam, 20 ივნისის დარბევა რუსთაველის გამზირზე – ფოტორეპორტაჟი (photos : Raid du 20 juin sur l’avenue Rustaveli), netgazeti.ge, 21 juin 2019
  2. CHKHIVADZE Ani, Why Georgia Brings Out Putin’s Insecurities, The New Republic, 25 juin 2019
  3. CHKHIVADZE Ani, Why Georgia Brings Out Putin’s Insecurities, The New Republic, 25 juin 2019
  4. 020-ში ჩატარდება პროპორციული არჩევნები ნულოვანი ბარიერით – ივანიშვილი, (Ivanishvili : Des élections proportionnelles avec une barrière zéro auront lieu en 2020), netgazeti.ge, 24 juin 2019
  5. JONAS Ted, Russian Soft Power Fails, Pointing the Way to a New Georgian Consensus, civil.ge 24 juin 2019.