Bruxelles. Lors de l’ouverture, hier mardi le 2 juillet, de la neuvième législature du Parlement européen, les députés du Brexit Party ont tourné le dos à l’hémicycle pendant qu’y retentissait l’hymne européen. Par ce geste, ils ont bien plus capté l’attention que les T-shirts jaune vif de leurs opposants LibDem demandant « la fin du Brexit » ou que les multiples affichettes disposées sur les pupitres en faveur de la libération immédiate de Carola Rackete.1

A l’heure des réseaux sociaux, ce n’est pas le premier exemple de geste politique réussissant à retenir les regards en venant perturber l’écoute solennelle d’un hymne. Depuis 2016, plusieurs athlètes américains ont pris l’habitude de s’agenouiller pendant l’hymne américain pour protester contre les violences policières puis, plus largement, pour signifier leur hostilité envers l’administration Trump.2 En Australie, au début du mois de juin, plusieurs joueurs de rugby ont de même refusé de chanter l’hymne national lors de l’ouverture du « State of Origin », l’un des événements sportifs et médiatiques les plus populaires dans le pays. Au nom du respect des premières nations, ils mettent particulièrement en cause le passage célébrant la « jeunesse » des Australiens.3

Partageant avec ces deux précédents une forme d’action bien adaptée à la configuration médiatique actuelle, le geste des eurodéputés pro-Brexit en diffère cependant singulièrement par au moins trois aspects. Alors que l’impact des protestations sportives vient d’abord de la surprise causée par l’irruption du politique dans la sphère du divertissement, le Brexit Party agit dans un cadre extrêmement institutionnel et policé.

Par ailleurs, Farage et ses homologues portent à l’échelle internationale des stratégies développées comme moyens de résistance et de contestation à l’échelle infranationale. Ce déplacement suppose un raisonnement circulaire. Pour les partisans du Brexit, l’existence de symboles européens est à la fois la preuve que l’Union européenne est devenue un « super-État » se substituant à tous les Etats membres, mais aussi le moyen qui a permis cette transformation.

Parce qu’il repose sur une hypothèse contestable, la cause et la finalité de la protestation des Brexiteers sont in fine obscures. Interrogé par plusieurs chaînes d’informations, Nigel Farage a expliqué qu’il s’agissait de protester. A Euronews il a déclaré : « Le Président nous a dit qu’il était poli de se lever lors des hymnes des autres nations. Il a vendu la mèche, non ? Il a désigné [l’Union européenne] comme une nation » , avant d’ajouter « Je ne respecte pas les hymnes étrangers qui nous ont été imposés ».4

Or, la mise au point d’Antonio Tajani (PPE) mettait au contraire en évidence le fait que l’hymne européen n’avait pas le même statut que les hymnes nationaux. Constatant que les eurodéputés pro-Brexit n’avaient pas l’intention de se lever, le Président sortant du Parlement européen a en effet déclaré, l’air pincé : « Se lever est une question de respect. Ce n’est pas… Ca ne veut pas dire que vous partagez l’[idée d’]Union européenne. Même lorsqu’on écoute l’hymne d’un autre pays, on se lève ».5

Plus généralement, étudier l’histoire des symboles de l’Union européenne conduit plus souvent à souligner les faiblesses de cette institution plutôt que ces forces.

Pour son drapeau comme pour son hymne, la C.E.E. a en effet choisi de suivre le Conseil de l’Europe, première institution régionale à adopter le drapeau bleu à étoiles en 1955 et à conférer à un extrait de Beethoven le statut d’hymne de l’Europe à partir de 1971. C’est d’ailleurs sans doute d’abord au Conseil de l’Europe, impliqué dans l’organisation de programmes scolaires et culturels depuis le siècle dernier, que l’hymne européen doit d’avoir été diffusé un peu au-delà des seules cérémonies officielles et internationales, contrairement aux équivalents développés par l’ASEAN ou l’Union africaine. De même, contrairement aux pro-Brexit, on peut considérer que l’abandon dans le traité de Lisbonne de l’article de 2004 relatifs aux symboles de l’Union consacre plus un échec qu’une manoeuvre politicienne destinée à dissimuler l’adoption de symboles « super-nationaux ».

Dans l’espace médiatique actuel, de telles précisions ont peu de chance de s’imposer alors que les images des eurodéputés tournent depuis 24 heures, extraites de leurs contextes, et qu’elles ne sont déjà plus le premier sujet d’intérêt à Bruxelles. Elles ont cependant l’intérêt de montrer qu’aujourd’hui, même la plus réglementée et corsetée des arènes politiques peut se prêter à des débats de sourds.

Perspectives :

  • 15-18 juillet : Prochaine session plénaire du Parlement européen. Possible élection de la nouvelle Présidente de la Commission Européenne, Ursula Von der Leyen.
  • 31 octobre : date prévue pour le Brexit.