Paris. Alors que la France s’était dotée en 1983, sur le modèle des principales puissances navales internationales, de six sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de classe Rubis, elle prépare désormais le lancement d’une nouvelle génération de submersibles1, les Suffren, aux caractéristiques plus adaptées aux enjeux contemporaines de la lutte sous-marine et navale. Au-delà de la seule modernisation d’une part conséquente de la force océanique stratégique (FOST) française, cette révolution pose la question des éventuelles coopérations européennes et internationales dans le domaine, la France proposant déjà à l’Australie une variante à propulsion conventionnelle, le Shortfin Barracuda2.

La force océanique stratégique française repose aujourd’hui sur deux systèmes principaux : d’une part, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ou SNLE, chargés dans la perspective d’un conflit d’envergure impliquant la France de délivrer le feu nucléaire, les sous-marins de classe Le Triomphant emportant à cette fin des M51 et d’autre part les SNA de classe Rubis, responsables de la protection des bâtiments de surface – et notamment d’une groupe aéronaval (GAN) rassemblé autour du porte-avions Charles de Gaulle – mais aussi de l’écoute des dispositifs adverses et au besoin de la lutte sous-marine et navale. Capables de couvrir un spectre opérationnel particulièrement étendu, les SNA emportent de fait un armement hétéroclite, des torpilles F17 aux missiles SM-39 Exocet et sont par ailleurs aptes à épauler le Commandement des Opérations Spéciales (COS) dans certains de ses missions les plus sensibles3.

Pour la France, la mise à l’eau d’une nouvelle génération de SNA représente un réel bond en avant capacitaire, souligné par l’accroissement du tonnage en plongée des systèmes étudiés, de 2700 tonnes pour les Rubis aux 5300 tonnes des Suffren, traduisant une meilleure autonomie à la mer et une meilleure dotation en armes et en munitions. En effet et contrairement aux SNA Rubis, les SNA Suffren armeront des missiles de croisière et des missiles antiaériens et seront donc en mesure d’engager des cibles terrestres et aériennes et donc de couvrir un spectre opérationnel encore élargi4. Ainsi, si le nombre de SNA mis à disposition de la FOST n’évoluera pas, celle-ci sortira néanmoins considérablement renforcée de ce saut générationnel, à la fois du point de vue technologique et du point de vue stratégique.

En déployant une nouvelle génération de sous-marins nucléaires d’attaque, la France maintient sa position au cœur d’un club très fermé et devient la deuxième puissance européenne à consentir un effort aussi conséquent après le Royaume-Uni et ses SNA de classe Astute. Les autres marines européennes ne partagent pas les ambitions nucléaires franco-britanniques et équipent plus volontiers des sous-marins d’attaque à propulsion conventionnelle, lorsqu’elles disposent de sous-marinades. La propulsion nucléaire offre pourtant des avantages conséquents5 qui feraient défaut aux autres marines militaires du continent dans le cadre d’un conflit de haute intensité.

Perspectives :

  • Montée en puissance de la sous-marinade française : la France affiche depuis quelques années des ambitions navales louables qui devraient permettre de maintenir le rang de la Marine Nationale à l’international. En plus des SNA Suffren qui succéderont donc aux Rubis, cette dernière prépare par ailleurs le renouvellement de ces sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de classe Triomphant, pour une admission au service actif des SNLE 3G à l’horizon 2030, dans le meilleur des cas.
  • Dans le domaine naval, une Europe qui manque d’ambition : les ambitions sous-marines européennes sont très limitées. En dehors de la France et du Royaume-Uni, plusieurs sous-marinades respectables cohabitent pourtant dans les eaux du continent. Celles-ci sont néanmoins plus adaptées à des opérations de courte durée dans les seules eaux régionales et se concentrent sur le seul engagement naval, négligeant les capacités de frappe mer-sol des sous-marinades française et britannique.
  • En Chine, l’essor d’une sous-marinade moderne et ambitieuse6 : de plus en plus désireuse non-seulement de contrôler ses approches maritimes mais encore d’assurer la viabilité de ses voies d’approvisionnement, la Chine se dote d’une marine conséquente sans oublier sa sous-marinade et les différentes dimensions de la lutte sous-marine, de l’engagement entre submersibles à la frappe au sol depuis la mer en passant par la neutralisation des bâtiments de surface adverses.
Sources
  1. GUILLEMOLES Alain, Le premier sous-marin nucléaire Barracuda est sur le point de toucher l’eau, La Croix, 3 décembre 2018
  2. GADY Franz-Stefan, Concept Design for Australia’s $36 Billion Submarine Fleet to Be Finalized by Year’s End, The Diplomat, 7 novembre 2018
  3. BAILLEUL Clément, Les opérations spéciales depuis la mer – Déployer des plongeurs de combat, Antenne ISD – Sorbonne, 8 février 2019
  4. GROIZELEAU Vincent, Le premier SNA du type Barracuda va bientôt voir le jour, Mer et Marine, 20 janvier 2016
  5. SPRING Baker et SPENCER Jack, The Advantages of Expanding the Nuclear Navy, The Heritage Foundation, 5 novembre 2017
  6. AXE David, The U.S. Navy Should Watch Out : China’s Submarine Force Is On the Rise, The National Interest, 6 mai 2019