Washington. Un article publié par le journal en ligne The Intercept a déclenché une vaste polémique sur les réseaux sociaux. D’après l’enquête menée par ce journal, Heshmat Alavi, un « journaliste freelance » très actif sur Twitter, et dont les articles ont été publiés par divers médias conservateurs américains (en particulier Forbes), serait en réalité un personnage inventé de toutes pièces par l’Organisation des Moudjahiddines du Peuple Iranien (OMPI) afin de diffuser ce qui s’apparente à de la propagande1

Pour rappel, l’OMPI est un groupe politique iranien à l’histoire tourmentée et à la réputation sulfureuse2. Il s’agit à l’origine d’un mouvement d’opposition à la monarchie iranienne, créé dans les années 70 sur une base idéologique islamo-marxiste. Il participe activement à la révolution iranienne, avant de s’opposer à la mise en place de la République Islamique et d’être violemment réprimée par les nouvelles autorités de celle-ci. L’OMPI s’exile alors en Irak, et s’allie à Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran (1980-1988). Depuis lors, l’organisation est extrêmement impopulaire en Iran, bien qu’elle se vante de disposer de réseaux et de soutien importants sur le territoire iranien. Désormais essentiellement influente en Europe et aux États-Unis auprès d’une partie de la diaspora, l’OMPI cherche à se faire reconnaître comme une alternative démocratique à la République Islamique et mène à ce titre d’intenses activités de lobbying auprès des institutions politiques. Le groupe est récemment revenu au cœur de l’actualité lorsque son meeting annuel, organisé à Villepinte en juillet 2018, a fait l’objet d’une tentative d’attentat, attribuée aux services de renseignements iraniens par la France et les États-Unis. L’Organisation est en effet la bête noire des autorités de la République Islamique.

Quant au « journaliste » incriminé, il se défend en accusant le journaliste de The Intercept, Murtaza Hussain, d’être, en substance, à la solde du régime iranien3. Il l’accuse en particulier d’être lié au National Iranian-American Council (NIAC), une organisation visant à promouvoir à Washington les intérêts de la communauté irano-américaine, et qui prône également l’apaisement entre la République Islamique et les États-Unis, et défend à ce titre l’accord sur le nucléaire, tout en se disant favorable à un mouvement démocratique en Iran. Le NIAC avait précédemment fait l’objet d’attaques similaires : en 2009, il avait été reproché à Trita Parsi, le fondateur de l’organisation, de mener des activités de lobbying au profit du régime iranien et d’entretenir des liens avec Mohammad Javad Zarif, actuel ministre des affaires étrangères et alors ambassadeur de la République Islamique d’Iran auprès des Nations Unies4. Ces accusations émanaient d’un autre journaliste irano-américain, Hassan Daioleslam, qui selon les rumeurs circulant à l’époque aurait lui aussi été un agent de l’OMPI et aurait été proche des cercles néo-conservateurs.

L’affaire Alavi s’est rapidement étendue à des critiques contre les rédactions et cercles conservateurs de Washington, accusés de diffuser tout contenu, fût-il d’origine douteuse, qui soit favorable à un « changement de régime », voire à une intervention militaire contre l’Iran. Forbes aurait ainsi publié pas moins de 61 articles signés Heshmat Alavi entre 2017 et 2018. Par ailleurs, des personnalités comme John Bolton, conseiller à la sécurité nationale, et Rudy Giuliani, ancien maire de New York et avocat de Donald Trump, ont publiquement affiché leur soutien à l’OMPI, pourtant considérée comme une organisation terroriste par le Département d’État jusqu’en 2012. D’après l’article de The Intercept, un article signé Heshmat Alavi aurait même trouvé son chemin jusqu’à la Maison Blanche, qui l’aurait transmis à la presse pour justifier sa décision de se retirer de l’accord de Vienne l’année dernière.

Cette polémique jette donc la lumière sur une véritable bataille d’opinion qui se joue au sein de la diaspora iranienne, dans un contexte de soupçons concernant des campagnes de désinformation pilotées par Téhéran5. Cette bataille se joue essentiellement sur les réseaux sociaux, et poursuit un double objectif : influencer d’une part les décideurs politiques américains, pariant sur l’hypothèse que l’avenir politique de l’Iran se joue en grande partie à Washington, et mobiliser d’autre part les réseaux de la diaspora afin de promouvoir les positionnements de ceux-ci sur le dossier iranien. Le NIAC était ainsi consulté par l’administration Obama sur le dossier iranien, et se faisait l’écho auprès de la communauté irano-américaine de la politique d’apaisement et de négociation menée par celle-ci. Dans ces stratégies d’influence doublement déterritorialisées, numériques et coupées du pays, la diaspora sert ainsi d’interface et de relai, alors que les États-Unis et l’Iran n’entretiennent plus de relations diplomatiques et que les informations fiables provenant du pays sont difficiles d’accès.

Les deux organisations rivales, soutenant chacune des politiques opposées face à l’Iran et liées à des réseaux politiques concurrents, sont cependant séparées par une différence de taille, puisque le NIAC ne revendique pas le pouvoir à Téhéran et que l’OMPI semble bien avoir mené ce qu’il convient d’appeler des « activités inauthentiques coordonnées ».

Perspectives :

  • Bien que la proximité affichée entre l’OMPI et les « faucons » de l’entourage de Donald Trump fasse partie intégrante de la stratégie de « pression maximale » sur l’Iran, l’affaire Heshmat Alavi pourrait pousser ces derniers à prendre leurs distances, alors que l’escalade dans le Golfe semble leur échapper.
Sources
  1. HUSSAIN Murtaza, An iranian activist wrote dozens of articles for right-wing outlets. But is he a real person ?, The Intercept, 9 juin 2019.
  2. MERAT Arron, Terrorists, cultists – or champions of Iranian democracy ? The wild wild story of the MEK, The Guardian, 9 novembre 2018
  3. ALAVI Heshmat, Who is Murtaza Hussain of The Intercept ?, The Herald Report, 10 juin 2019
  4. LAKE Eli, Iran advocacy group said to skirt lobby rules, The Washington Times, 13 novembre 2009
  5. STUBBS Jack, BING Christopher, Special report : How Iran spreads disinformation around the world, Reuters, 30 novembre 2018