Sana’a. Le dimanche 12 mai, l’ONU a confirmé dans un communiqué que les rebelles houthistes avaient libéré les trois ports de Hodeïda, Salif et Ras Issa, comme il était convenu dans les accords de paix signés en décembre 20181. Ce retrait représente un événement important dans la sortie du conflit yéménite puisque ces ports qui bordent la mer Rouge, et principalement celui de Hodeïda, représentent des points de passage stratégiques pour l’acheminement de l’aide humanitaire dans le pays – aide nécessaire pour éviter une famine catastrophique. A l’heure actuelle, on estime que 80 % des Yéménites, soit 24 millions de personnes, ont besoin d’une aide humanitaire, selon les chiffres des Nations Unies2.

Cependant, malgré ce constat provenant des équipes de l’ONU présentes sur place, de nombreux acteurs ont exprimé leur méfiance vis-à-vis des Houthis, à commencer par le gouvernement yéménite. Ce dernier accuse notamment les rebelles d’avoir remplacé des combattants par d’autres Houthis déguisés en garde-côtes. Le ministre yéménite de l’Information, Mouamar al-Iryani, s’est exprimé sur Twitter en disant « Ce que les miliciens houthis ont fait, c’est la répétition d’une pièce de théâtre sur le transfert du contrôle du port à des forces »3. L’envoyé des Nations Unies au Yémen, Martin Griffiths, a décrit de son côté le processus comme un « navire fragile »4 notamment pour le retard avec lequel le retrait a été effectué, cinq mois après l’accord.

Outre l’ambiguïté que représente le retrait des rebelles houthistes des ports de la région de Hodeïda, plusieurs éléments montrent que la sortie du conflit yéménite ne peut être imminente. Premièrement, depuis la signature de l’accord de paix en Suède en décembre, les combats ont fait rage dans d’autres parties du Yémen et l’escalade de la violence entre voisins régionaux n’a pas cessée. Mardi 12 mai, les Houthis ont revendiqué une attaque de drones dans l’ouest du pays contre deux stations de pompage, provoquant un incendie et l’interruption de la construction d’un grand oléoduc du géant pétrolier Aramco5. Ryad suspecte Téhéran d’être derrière ces attaques, rappelant que la résolution du conflit dépend également d’un apaisement des relations entre l’Arabie saoudite, qui présente en partie ses bombardements comme une manière de repousser l’influence iranienne, et l’Iran, qui apporte un soutien aux Houthis dont la nature et l’ampleur, probablement  limitée, est extrêmement difficile à évaluer. A ces deux puissances régionales s’ajoute l’implication d’acteurs internationaux comme la France qui a été récemment accusée par le média Disclose d’avoir livré des armes à Ryad ayant été servies contre des civils au Yémen6.

Multiscalaire, le conflit yéménite semble donc difficilement résorbable. Même si on parvenait à plus de stabilité dans le pays grâce au départ des rebelles houthistes des trois ports de la région de Hodeïda, le bilan de la guerre au Yémen reste désastreux. Un rapport du PNUD, publié il y a moins d’un mois et intitulé « Assessing the Impact of War on Development in Yemen », prévoit que si ce conflit prend fin en 2019, les pertes de production économique s’élèveront à environ 88,8 milliards de dollars, soit une réduction de 2 000 dollars (parité du pouvoir d’achat) du PIB par habitant. D’ici 2030, l’étude estime que 71 pour cent de la population vivra dans l’extrême pauvreté, 84 pour cent souffrira de malnutrition et que les pertes de production économique s’élèveront à environ 657 milliards de dollars, soit plus du double de la baisse du PIB par habitant, qui s’élèvera à 4 600 dollars (parité du pouvoir d’achat). Les décès indirects, causés par le manque d’accès à la nourriture, aux soins de santé et aux services d’infrastructure, seront cinq fois plus nombreux que les décès directs. « Les conséquences à long terme d’un conflit sont vastes et le placent parmi les conflits les plus destructeurs depuis la fin de la guerre froide », affirme le rapport ; et une nouvelle détérioration de la situation « aggravera considérablement les souffrances humaines prolongées, retardera le développement humain au Yémen et pourrait aggraver la stabilité régionale »7.

Perspectives :

  • L’accord de paix de décembre 2018 reste la meilleure chance de parvenir à la paix au Yémen selon les experts. Mais le manque de confiance entre les parties rend son exécution très difficile.
  • Si le retrait des rebelles houthistes réussit, l’ONU devrait jouer un rôle de premier plan dans la gestion des trois ports de la mer Rouge et elle devrait également intensifier ses efforts pour prévenir la contrebande d’armes par mer.
  • La résolution du conflit yéménite dépend également des choix stratégiques des puissances régionales que sont l’Arabie Saoudite et l’Iran mais aussi des puissances internationales qui vendent des armes à l’Arabie saoudite