Pékin. Quel poids peuvent avoir les concepts confucéens dans la pensée politique chinoise ? Selon les paradigmes dominants en diplomatie cités par le philosophe chinois Zhao Tingyang, les politiques internationales ne seraient que des extensions des politiques nationales. Les cadres créés par le droit de l’individu, la souveraineté d’un État-nation poseraient de facto « une logique de division du monde » 1 rendant impossible un « choix commun » des peuples. En développant le concept de Tianxia, « tout sous un même ciel », Zhao Tingyang cherche à fonder un tel choix commun, qui signifierait placer la coexistence avant l’existence et supprimer la notion d’étranger, et donc in fine d’ennemi. Tianxia éradiquerait donc, de par son sens existentiel, les conflits. « La rationalité individuelle (…) ne conduit pas au bénéfice universel », analyse Jean-Paul Tchang, traducteur en français du livre de Zhao Tingyang 2. Tianxia créerait, naturellement, une « force centripète » où chacun aurait envie de participer et de s’intégrer parce qu’il a la possibilité de le faire et aurait reconsidéré sa vision existentielle individualiste dans le but d’accéder à un monde meilleur. L’émergence d’outils technologiques et de communication, qui acquièrent une puissance supranationale, pourrait représenter « les prémisses possibles de conditions matérielles permettant l’élaboration d’un système Tianxia futur recueillant l’assentiment de tous ». Les investissements chinois dans les technologies de communication, et son intérêt pour l’innovation européenne illustrent les analyses de Zhao Tingyang.
Ce concept peut apporter des éclairages afin de saisir la relation de la Chine à son propre peuple et au monde et l’évolution à venir de ces rapports. Un concept qui revient d’ailleurs, comme le constate Ji Zhe, docteur en sociologie de l’EHESS, lors des périodes de l’histoire chinoise de « désenchantement moderne » 3. S’il est repris aujourd’hui par les intellectuels, l’appropriation réelle de Tianxia dans la politique chinoise demeure floue. Le chemin parcouru par le projet OBOR (One Belt, One Road) devenu BRI (Belt and Road Initiative) peut cependant révéler une avancée dans ce sens. Alors qu’une soixantaine de pays était concernée au départ selon le gouvernement chinois, le monde entier fait aujourd’hui potentiellement partie de cette initiative. En parallèle de cette évolution géographique, l’aspect sectoriel semble s’élargir à l’infini. Au départ, les infrastructures de transports étaient centrales. Désormais, tous types de secteurs sont théoriquement inclus, et également des projets immatériels comme la coopération policière, la recherche… 4 Néanmoins sur le terrain, les infrastructures de transport demeurent à l’heure actuelle la majorité des concrétisations de la BRI. De projet de développement commercial multilatéral au service des intérêts chinois, la BRI se structure progressivement comme une nouvelle forme de mondialisation. Un modèle qui se voudrait post-démocratie libérale, post-État-nation, post-américain. Un Tianxia, qui pourrait séduire nombre de partenaires en développement, aspirant à ne plus dépendre de l’occident et à trouver une place internationale ?
Ce concept soulève nombreuses questions, tant politiques que philosophiques. Un « choix commun » mondial peut-il exister au sein d’un modèle où l’individu est une unité politique de second ordre ? Un système inclusif, sans conflits dominé par une entité – le PCC ? – aux seules conditions du maintien de la vertu de cette dernière est-il possible si l’expression individuelle n’existe plus au bénéfice d’une stabilité de groupe, et ne peut plus ainsi s’ériger contre de potentielles dérives ? L’épanouissement personnel se fonde sur un équilibre entre intérêt individuel et coopération par besoin d’appartenir à un groupe social, le premier pouvant entrer en contradiction avec celui d’un autre individu, rendant le concept de monde sans conflits complexe. Comment adopter un modèle Tianxia sans cette notion d’épanouissement personnel ? Comment faire un choix commun bénéfique à tous, mais en renonçant à cette notion ? La réémergence du Tianxia pousse également à nous interroger, comme l’indique Ji Zhe, sur la temporalité de sa réactivation et sur la manière dont il sera instauré. À travers l’exécution de la politique étrangère chinoise actuelle, le Tianxia ne serait-il pas un outil de puissance nationaliste ?
Sources
- TINGYANG Zhao, Tianxia, tout sous un même ciel, Les éditions du Cerf, 2018.
- TCHANG Jean-Paul, Le “Tianxia” selon Zhao Tingyang, Monde Chinois – nouvelle Asie, n°49, 2017.
- ZHE Ji, Tianxia, retour en force d’un concept oublié – Portrait des nouveaux penseurs confucianistes, La vie des idées, 3 décembre 2008.
- PAUN Carmen et GURZU Anca, Romanian ruling party hits back at Socialists for freezing relations, Politico EU, 11/04/2019