Buenos Aires. L’aggravation de la crise économique et financière en Argentine a permis à Roberto Lavagna de s’affirmer dans l’espace public argentin. Elle a poussé Mauricio Macri à annoncer, le 19 avril, un « Plan Alivio », soit un ensemble de mesures visant, sinon à relancer, du moins à préserver le pouvoir d’achat des Argentins, alors que l’inflation a encore grimpé de 4,7 % au mois de mars et qu’elle s’élève à près de 55 % depuis mars 2018 et à 64 % pour les produits alimentaires, d’après les chiffres avancés par l’Institut national de la Statistique (INDEC). Le gel du taux de change du peso, celui temporaire – pour six mois – des prix d’une soixantaine de produits de consommation courante, et la baisse des hausses prévues sur les tarifs de l’eau, de l’électricité et du gaz, sont loin d’avoir rassuré les marchés financiers et divisent au sein du gouvernement, parmi les analystes, comme au sein de l’opinion1. Pour les médias argentins, et alors que le gouvernement s’efforce de justifier des mesures « détestées » par les tenants d’une politique néolibérale mais « nécessaires à l’urgence économique du pays », ces réformes traduisent une vision à court terme à des fins essentiellement électorales2.

De fait, elles interviennent dans un contexte politique où les forces d’opposition à la politique du gouvernement s’affirment et où les stratégies électorales se précisent, alors que Mauricio Macri, tout comme la coalition dirigeante Cambiemos, sont profondément fragilisés par la crise. Trois sondages effectués entre la fin du mois de mars et le début du mois d’avril envisagent désormais la défaite du président sortant face à tout candidat potentiel lors d’un éventuel deuxième tour en décembre3. Ils confirment le déclin du président sortant et l’affirmation de Cristina Fernández de Kirchner dans les intentions de vote, et mettent en avant la capacité de Roberto Lavagna à rassembler largement dans le cas d’un ballotage puisqu’il remporterait l’élection aussi bien face à Mauricio Macri que face à l’ancienne présidente, qui domine les intentions de vote au premier tour.

C’est que Roberto Lavagna, d’abord discret dans l’espace politique, s’est fait de plus en plus présent au cours des derniers mois. S’il n’est pas l’homme politique le plus connu de l’électorat argentin, Lavagna bénéficie d’une évidente sympathie des principaux médias, du respect de personnalités politiques diverses, du soutien de la bourgeoisie industrielle et de la réputation qu’il a acquise comme artisan de la sortie de l’Argentine de la crise de 2001. Âgé de 77 ans et économiste de formation, Roberto Lavagna fait partie de la coalition Alternativa Federal et incarne la tendance modérée de ce courant péroniste dissident du kirchnérisme. Roberto Lavagna s’est affirmé en politique en tant que secrétaire à l’industrie et au commerce étranger entre 1985 et 1987, lors de la présidence de Raúl Alfonsín, en tant qu’ambassadeur de l’Argentine auprès de l’Union européenne entre 2000 et 2002 et surtout comme ministre de l’économie de 2002 à 2005 après la crise de 2001, d’abord sous le mandat provisoire d’Eduardo Duhalde puis, à partir de 2003, sous la présidence du péroniste Néstor Kirchner. Il avait alors contribué à sortir l’Argentine de la crise, en se passant de l’aide du Fond Monétaire International (FMI) pour mieux stimuler la consommation, et en obtenant, en 2005, après de fermes négociations, une restructuration de la dette du pays auprès de ses créanciers4. Ceux-ci avaient fini par accepter, du moins pour une majorité d’entre eux, d’être remboursés à des taux très faibles. Dès 2003, l’économie argentine avait pu retrouver une croissance vigoureuse, en bénéficiant de l’augmentation des prix des denrées et des matières premières exportées et de la hausse de la demande chinoise. Ce capital de légitimité lui avait valu une attention particulière des médias et analystes européens lors de la crise grecque.

Roberto Lavagna n’en est pas à son premier coup d’essai lors d’élections présidentielles. Il était candidat en 2007, à la tête d’une formation politique regroupant notamment péronistes, kirchnéristes, radicaux et autres petits partis provinciaux, avant de perdre les élections derrière Cristina Fernández de Kirchner et Elisa Carrió. Aux élections présidentielles de 2015, il a soutenu la candidature de Sergio Massa, aujourd’hui son principal rival au sein de Alternativa Federal pour ces élections présidentielles5.

Si Lavagna attend encore pour officialiser sa candidature, il a précisé sa stratégie électorale et emménage cette semaine dans un appartement où, comme il vient de l’annoncer, se tiendra son siège de campagne, et où il doit dès cette semaine accueillir de potentiels soutiens, issus de différentes formations politiques, des radicaux désenchantés de Cambiemos à des personnalités de la société civile, en passant par le gouverneur socialiste de la province de Santa Fé Miguel Lifschitz, par Margarita Stolbizer qui dirige le parti Generación para un Encuentro Nacional (GEN) et par des membres d’Alternativa Federal6. Lavagna se présente comme un candidat de la troisième voie incarnant une position intermédiaire entre l’austérité néolibérale de Mauricio Macri et les politiques de l’ancienne présidente Cristina Fernández de Kirchner, généralement qualifiées de “populistes”. Les sympathisants comme les opposants de Roberto Lavagna soulignent sa capacité à rassembler au-delà des appartenances partisanes.

Lavagna lui-même a fait de l’établissement d’un consensus autour de sa personne un élément déterminant de sa candidature : pas de candidature sans consensus préalable aux primaires du mois d’août, dans un contexte où les principaux dirigeants d’Alternativa Federal (Sergio Massa, Roberto Lavagna et Juan Manuel Urtubey, gouverneur de la province de Salta) se divisent sur la manière de définir leur candidat aux présidentielles (8). Si l’incertitude demeure quant à la configuration de ces primaires, nul doute que cette capacité à faire consensus continuera d’être un élément central de la campagne de Lavagna. Celle-ci devrait également reposer sur la défense d’une politique de relance de la demande intérieure et d’une renégociation des termes de l’accord financier établi entre l’Argentine et le FMI. Une date devrait compter dans les semaines à venir puisque Roberto Lavagna a annoncé attendre le 12 mai (date des élections du gouverneur de la province de Córdoba) pour officialiser sa candidature : le gouverneur sortant Juan Schiaretti espère être réélu à l’issue des élections ; Roberto Lavagna compte sur son rôle de médiateur pour définir le candidat d’Alternativa Federal aux présidentielles.

La candidature de M Lavagna se heurte cependant à plusieurs difficultés. Il lui faut d’abord persuader une opposition péroniste fragmentée d’abandonner Cristina Fernández de Kirchner ou d’autres rivaux. Or, d’une part, l’ancienne présidente bénéficie d’un solide socle de votants et tend à s’affirmer dans les intentions de vote selon les derniers sondages. D’autre part, Sergio Massa et Roberto Lavagna n’ont pas résolu leurs divergences sur la conduite à suivre pour la coalition Alternativa Federal. Lavagna doit aussi convaincre les Argentins qu’une réponse progressiste et durable à la crise est possible7. Enfin, âgé de 77 ans, Lavagna doit aussi convaincre la jeunesse argentine, d’autant que sa position formulée contre la légalisation de l’avortement, sauf cas particuliers, pourrait être un repoussoir pour celle-ci comme pour une partie importante de l’électorat8.

Perspectives :

  • Beaucoup d’incertitudes entourent la façon dont se dérouleront les présidentielles argentines, d’autant que les candidats ont jusqu’au 22 juin pour déposer leur candidature et que Roberto Lavagna comme Cristina Fernández de Kirchner attendront le plus tard possible pour l’officialiser. En attendant, Roberto Lavagna a précisé sa stratégie et compte sur l’affirmation de soutiens dans les élections des gouverneurs des provinces qui se tiennent jusqu’au début du mois de juin.
  • Roberto Lavagna bénéficie depuis plusieurs mois d’une importante campagne médiatique de la part part des principaux médias argentins, qui le présentent comme un candidat du consensus solide, en particulier dans le contexte de la crise qui affecte l’Argentine, capable de mettre fin à la polarisation de l’espace politique argentin entre kirchnérisme et macrisme.
  • La candidature de Roberto Lavagna dépend de la capacité des principales personnalités politiques d’Alternativa Federal à se mettre d’accord sur l’organisation de l’opposition péroniste dissidente du kirchnérisme pour ces présidentielles. Les prochaines semaines devraient être décisives relativement à la stratégie électorale d’Alternativa Federal, et donc de Sergio Massa et de Roberto Lavagna, les principaux rivaux au sein de cette coalition.
  • La capacité à formuler une réponse à la crise économique et financière, autre que la politique de l’austérité mise en oeuvre par Mauricio Macri jusqu’à l’annonce de son “Plan Alivio” mercredi 17 avril, sera au centre de la campagne et du débat présidentiels.