Berlin. Le 19 mars, l’Evangelisches Werk für Diakonie und Entwicklung (EWDE), une œuvre sociale de l’Église protestante, a déposé une plainte pour non-conformité à la Constitution de deux jugements du Tribunal fédéral du travail et de la CJUE. En particulier, l’EWDE a déposé une plainte contre deux décisions : l’une rendue le 17 avril 2018 par la CJUE, selon laquelle une Église ou une autre organisation religieuse ne peut rejeter une candidature à un emploi que si, par la nature des activités concernées ou par leurs conditions d’exercice, la religion constitue une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de cette Église ou de cette organisation, une telle allégation devant pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif 1 ; l’autre rendue le 25 octobre 2018 par le Tribunal fédéral du travail, reprenant pour l’essentiel les conditions posées par la première 2.

Il faut d’abord remarquer que la plainte de non-conformité ne serait que partiellement recevable. En effet, selon l’article 90 alinéa 1 du BVerfGG (Bundesverfassungsgerichtsgesetz, la loi gouvernant le fonctionnement de la Cour constitutionnelle allemande), il existe pour toute personne morale – indépendamment du lieu du siège – la possibilité de saisir le juge constitutionnel si elle estime qu’un acte émanant de l’un des trois pouvoirs – législatif, juridique, exécutif – a méconnu l’un de ses droits fondamentaux. Toutefois, l’acte doit émaner d’un pouvoir national, sauf quelques rares exceptions n’entrant pas en jeu ici 3. Or, la plainte a également pour objet une décision de la CJUE et ne serait donc pas recevable sur ce point.

L’enjeu de la plainte déposée par l’EWDE est important : les organisations religieuses chrétiennes emploient plus d’1,3 million de personnes en Allemagne. Celles-ci ne sont pas soumises au droit commun du travail ; elles peuvent donc se fonder sur la religion pour faire valoir des exigences particulières à l’égard de leurs salariés. La plainte intervient dans un contexte de remise en cause progressive du droit du travail spécifique aux Église. Cette tendance ne se dessine pas uniquement en matière d’embauche : le licenciement d’un chef de clinique s’étant remarié a été considéré comme discriminatoire par la CJUE, solution reprise par le Tribunal fédéral du travail 4.

Pour défendre le droit de refuser un candidat en raison de son absence de confession, l’EWDE se place principalement sur le terrain de l’article 137 alinéa 3 WRV lu en combinaison avec l’article 140 GG 5. Ces articles permettent aux organisations religieuses de s’administrer librement, donc de choisir leurs employés selon leurs propres critères. L’EWDE invoque aussi le paragraphe 1 de l’article 17 du TFUE, selon lequel l’Union européenne respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres. Cependant, comme cela a été relevé plus haut, la plainte de non-conformité n’est pas recevable s’agissant de l’arrêt de la CJUE. Bien qu’il s’agisse aussi de contester la solution de la décision du BAG, qui se fonde en partie sur le droit de l’UE, il ne faut pas oublier que le juge national est lié à la jurisprudence de la CJUE et que dans sa décision Solange II du 22 octobre 1986, la Cour constitutionnelle fédérale a affirmé qu’elle n’examine en principe plus la conformité des arrêts de la CJUE aux droits fondamentaux garantis par la Constitution allemande.

Si la Cour constitutionnelle fédérale décide que la plainte n’est pas fondée, cela remettra davantage encore en cause le droit du travail spécifique aux Églises allemandes. Dans ce cas, l’EWDE pourrait saisir la Cour européenne des droits de l’Homme. Cependant, celle-ci fait généralement une interprétation extensive du principe de non-discrimination contenu à l’article 14 de la CEDH, qui l’emporterait probablement sur la liberté de religion contenu à l’article 9.

Perspectives :

  • Sous l’influence de la jurisprudence de la CJUE, le droit du travail spécifique aux Églises allemandes se voit peu à peu remis en cause.
  • L’EWDE souhaite que soit réaffirmée la liberté de faire de la religion un critère de sélection. Elle s’élève plus largement contre l’ingérence des juges du Tribunal fédéral et de la CJUE.
  • Juge national, la Cour constitutionnelle fédérale allemande est tenue de se conformer à la jurisprudence de la CJUE. Il est donc assez probable que la plainte pour non-conformité à la Constitution déposée par l’EWDE soit rejetée.
  • Resterait alors pour l’EWDE la possibilité de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme.
Sources
  1. CJUE, 17 avril 2018, C-414/16.
  2. Tribunal fédéral du travail, Décision du 25 octobre 2018 – 8 AZR 501/14, 25 octobre 2018.
  3. GERRIT Manssen, Staatsrecht II, p. 257, Beck, 2014.
  4. Tribunal fédéral du travail, Décision du 20 février 2019 – 2 AZR 746/14, 20 février 2019.
  5. EWDE, Communiqué de presse, 19 mars 2019.