Londres. Au terme d’un Conseil européen spécial, les Vingt-Sept ont décidé le 10 avril de concéder un sursis de six mois aux Britanniques pour organiser une sortie ordonnée du Royaume-Uni. Selon la presse européenne, deux lignes s’opposaient au sein du Conseil. Celle de l’Allemagne, favorable à la concession d’un délai d’un an pour éviter à tout prix un Brexit sans accord, et celle de la France, hostile à un long report. Le compromis a abouti à la date du 31 octobre comme nouvelle date butoir, après celles du 29 mars puis du 12 avril précédemment annoncées. Le choix de la date du 31 octobre aurait une raison bien précise : la Commission devrait être nommée le 1er novembre. De cette façon, il s’agirait d’imposer une « garantie » qu’il n’y aurait pas de Commissaire britannique, dans le cas de sortie définitive.

Toutefois, si le 23-26 mai les Britanniques ne participent pas aux élections européennes – où le Royaume-Uni nomine 73 parlementaires -, et si l’accord de retrait – déjà trois fois rejeté par le Parlement de Westminster – n’est pas adopté, une sortie brutale adviendrait le 1er juin. Tous les scénarios sont donc encore possibles, même s’ils ne sont pas tous réalistes. Du retrait de l’article 50 à l’adoption de l’accord de retrait, en passant par une crise politique annonçant des élections législatives, voire un second référendum si une majorité devait se dégager à la Chambre des Communes, ce que rien ne laisse penser.

Le Conseil européen du 10 avril a, pour la première fois depuis le début de la négociation sur le Brexit, fait ressortir des différends entre Européens et plus particulièrement entre Paris et Berlin. Une fausse note amplement rapportée par la presse britannique, évoquant un dîner plutôt tendu à ce sujet1.

Comme l’analyse Rémi Bourgeot sur le site de l’IRIS2, les raisons de ce différend relèvent à la fois de causes politiques et économiques3. Le rapprochement entre Londres et Berlin après la Seconde Guerre mondiale a été moins mis en évidence, mais est pourtant un facteur déterminant dans le positionnement de la Chancelière, expliquant les réticences de Berlin à adopter une position rigide vis-à-vis du Royaume-Uni. D’autant que les raisons économiques, notamment industrielles puisque l’Allemagne est un partenaire majeur de Londres, incitent le gouvernement allemand à gagner du temps.

La position d’Emmanuel Macron était en revanche plus dure, le président français estimant que le processus à rallonge du Brexit menace ses projets de relance de la construction européenne en matière économique et stratégique. En plus, la sortie du Royaume-Uni garantirait à la France un poids politique plus grand, avec 5 parlementaires en plus et une nouvelle influence au Conseil. Comme le relevait vendredi le Financial Times4, ce désaccord intervient dans un contexte de tensions entre Paris et Berlin sur la réforme de la zone euro, les exportations d’armes et le gazoduc Nord Stream 2.

Comme le dit la conclusion du FT, « l’ironie est qu’après 40 ans de présence dans l’UE marquée par quelques échecs spectaculaires dans ses tentatives de diviser l’alliance franco-allemande sur les grandes décisions politiques, le Royaume-Uni est en train d’y parvenir alors qu’il se dirige vers la sortie ».

Sources
  1. Macron and Merkel serve up a Brexit fudge after dispute over dinner, The Times, 11 avril 2019
  2. BOURGEOT Rémi, Franco-German differences on the management of Brexit : a political as well as an economic issue, IRIS, 12 avril 2019.
  3. BATUT Cyprien, La France joue le rapport de force contre l’Allemagne dans les négociations commerciales avec les Etats-Unis, Le Grand Continent, 13 avril 2019
  4. Brexit pressures expose cracks in Franco-German relationship, Financial Times, 11 avril 2019.