Luxembourg. La Cour de justice de l’Union européenne s’est saisie de la réforme autrichienne des congés payés suite à un renvoi préjudiciel que la Cour suprême d’Autriche a effectué en vertu du paragraphe 3 de l’article 267 TFUE. La question posée était la suivante : « L’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 492/2011 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal (dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 2, point 1, et paragraphe 3, ainsi que de l’article 2, paragraphe 1, de l’UrlG), en vertu de laquelle un travailleur qui totalise 25 années de service, mais qui ne les a pas accomplies auprès du même employeur autrichien, bénéficie uniquement d’un congé annuel de 5 semaines, tandis qu’un travailleur qui a effectué 25 années de service auprès du même employeur autrichien a droit à six semaines de congé par an ? » Le 23 mars, la la CJUE 1 a répondu que non.

À titre liminaire, il convient de rappeler que le paragraphe 1 de l’article 45 TFUE garantit la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, que le paragraphe 2 du même article interdit toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail, et que l’article 7, paragraphe 1, du règlement 492/2011 concrétise l’article 45 TFUE.

À la question posée par la Cour suprême d’Autriche, la CJUE a répondu par la négative. Selon elle, une discrimination directe ou indirecte – c’est-à-dire une disposition qui est en apparence neutre mais a pour effet de désavantager un groupe de personnes, pour des motifs prohibés – des employés ressortissants d’un autre État membre – ne pouvait être retenue. D’abord, la disposition s’applique à tous les travailleurs, peu importe leur nationalité, et ne peut donc fonder une discrimination directe. Ensuite, il n’est pas établi que la disposition avantage particulièrement les travailleurs autrichiens, raison pour laquelle la CJUE nie l’existence d’une discrimination indirecte. S’agissant de la liberté de circulation des travailleurs, celle-ci implique seulement que les conditions soient les mêmes pour les travailleurs autrichiens que pour les travailleurs étrangers et non de bénéficier d’un régime et d’une législation aussi avantageux que dans son pays d’origine.

Cette interprétation est critiquable. Comme l’avait à juste titre relevé la Commission européenne dans ses conclusions, il est généralement moins aisé pour un étranger d’accomplir au moins vingt années de carrière auprès du même employeur. En effet, un travailleur s’établit plus souvent à l’étranger en milieu de carrière, et sa période d’activité effectuée à l’étranger ne pourra être prise en compte que dans la limite de cinq années. Le point de départ pour le calcul du nombre d’années d’ancienneté ne sera pas le même : si un autrichien ne souhaite pas s’établir dans un autre pays et entend travailler pour le même employeur, le nombre d’années d’ancienneté sera calculé dès le début de la vie active. Ces éléments auraient dû suffire pour conclure que les conditions sont plus faciles à remplir pour les travailleurs autrichiens, et donc à l’existence d’une discrimination indirecte devant être objectivement justifiée.

La décision pourrait avoir une portée plus large. Récemment, le tribunal fédéral du travail allemand a posé une question préjudicielle assez similaire à celle de la Cour suprême d’Autriche : celle de savoir si le fait de prévoir dans une convention collective qu’au moment de la réembauche, une partie ou la totalité des périodes d’activité accomplies auprès du même employeur dans le secteur public peut être prise en compte pour déterminer le niveau de rémunération, alors que l’expérience acquise auprès d’un autre employeur ne peut être prise en compte que dans la limite de trois années 2, constitue une discrimination indirecte 3. Au vu de la décision rendue le 13 mars 2019, il est probable que la CJUE répondra par la négative.

Dans les deux cas, les dispositions soumises à l’examen de la CJUE sont anciennes et n’ont pas été nécessairement élaborées dans l’idée de discriminer les travailleurs étrangers. Cependant, le contexte politique évolue, particulièrement en Autriche et dans d’autres États membres, comme la Hongrie, la Pologne et la France : de plus en plus de mesures sont adoptées en opposant différentes catégories de personnes, souvent pour des motifs prohibés. Si la CJUE est amenée à examiner la conformité au droit européen de dispositions récemment adoptées, il faudrait qu’elle admette moins restrictivement l’existence d’une discrimination indirecte ne pouvant être objectivement justifiée.

Perspectives :

  • La décision du 13 mars 2019 légitime une disposition qui, en réalité, avantage les Autrichiens : dès lors qu’ils ne s’établissent pas dans un autre État – c’est le cas de la plupart d’entre eux -, ils pourront plus facilement remplir la condition des vingt-cinq ans d’ancienneté.
  • La CJUE pourrait reprendre cette décision pour affirmer qu’une disposition similaire en droit allemand et concernant cette fois-ci le niveau de rémunération des employés de secteur public ne va pas à l’encontre du principe de non-discrimination.
  • On peut craindre que dans certains États membres, des lois soient adoptées qui désavantageront réellement les travailleurs étrangers mais ne seront pas jugées contraires au droit de l’UE.