Alger. Mardi 2 avril, 18h00. Le message est clair, violent, et sans double lecture possible. « Monsieur le Général de Corps d’Armée s’est interrogé sur les moyens qui ont permis à cette poignée de personnes d’amasser des richesses immenses par des voies illégales […] en toute impunité […]. Nous confirmons que toute décision prise en dehors du cadre constitutionnel est considérée comme nulle et non avenue. […] Je suis avec le peuple et à ses côtés pour le meilleur et pour le pire […]. Il faut appliquer immédiatement la solution constitutionnelle proposée, à savoir la mise en application des articles 7, 8 et 102 »  1.

À l’issue d’une réunion avec les plus hauts gradés de l’institution militaire, le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah vient de déclarer la guerre au clan présidentiel. À 19h40, la dépêche de l’agence d’État APS tombe : « Le président Bouteflika notifie au Conseil constitutionnel sa décision de mettre fin à son mandat »  2. C’en est fini. Après 20 ans de règne, Abdelaziz Bouteflika n’est plus. Après 51 jours de protestation, six vendredis de mobilisation de millions d’Algériens, et le tout sans un seul coup de feu tiré, le président qui se voyait mourir au pouvoir est tombé.

Alors que le natif d’Oujda s’était juré de murer l’armée dans ses prérogatives constitutionnelles, pour que le scénario de 1992 ne se répète pas, celle-ci confirme qu’elle possède encore tout son pouvoir d’influence sur la politique algérienne. Ironiquement, c’est même un gradé mis au placard, récupéré par la bonne volonté du président Bouteflika, qui lui assène le coup de grâce. Cet épisode du 2 avril met un terme aux rumeurs et analyses, qui voyaient en la proposition de Gaïd Salah d’appliquer l’article 102 (sur l’état d’empêchement du président en cas de maladie grave), une manipulation destinée à exfiltrer le président, lui offrant une porte de sortie honorable. Mais non, « sans gloire », le roi déchu est « bouffé » par un général »  3.

Il y aurait bien eu une guerre interne entre l’armée et les Bouteflika. Jusqu’au bout, Saïd Bouteflika aura tenté de maintenir son aura sur le pouvoir. Les révélations de l’ancien président Liamine Zeroual pourraient le confirmer  4 : le frère du Président aura tout essayé (5e mandat, prolongation du 4e, conférence nationale inclusive), jusqu’à vouloir faire intervenir le général « Toufik » et ses réseaux des services secrets pour organiser une transition contrôlée. Selon El Khabar, il semblerait finalement que ce soit l’utilisation du cachet du secrétariat général sur la lettre d’Abdelaziz Bouteflika du 1er avril, dans laquelle il annonce sa démission « avant le 28 avril, date de fin de son mandat électif », qui ait précipité la décision d’Ahmed Gaïd Salah de reprendre la main  5.

Cette reprise en main par Gaïd Salah s’est d’abord faite vis-à-vis des oligarques proches du pouvoir. La semaine dernière, douze hommes d’affaires proches de la Présidence ont été frappé d’une interdiction de sortie du territoire national. Ils font tous l’objet d’une enquête préliminaire sur des délits et crimes de corruption et de fuite de capitaux  6. Qui plus est, l’ancien tout puissant patron du FCE, Ali Haddad, a été arrêté à la frontière tunisienne et transféré dans la prison d’El Harrach, chose impensable il y a encore deux mois. Ensuite, ce coup de force a touché les services de sécurité. Vendredi 5 avril, le général-major Athmane Tartag, directeur des services de sécurité, a été démis de ses fonctions. Selon un communiqué de l’armée, « la structure, dirigée depuis 2015 par M. Tartag, est dorénavant sous la tutelle du MDN »  7. Une information confirmée quelques heures plus tard avec l’éviction du général Bendaoud, directeur des services extérieurs  8.

Exit les oligarques et la Présidence. Il reste le « clan » du peuple. Or, les deux « finalistes » n’ont pas la même vision de la transition qui s’engage. Les millions d’Algériens qui sortent dans les rues depuis le 22 février voudraient qu’« ils partent tous » et les remplacer par des hommes sortis de leurs rangs, chose impossible. Gaïd Salah veut lui s’appuyer sur la Constitution, et passer par l’intérim du président du Conseil de la Nation.

Mais jusqu’où le chef d’état-major sera prêt à aller dans le contrôle de la transition ? Ira-t-il encore plus loin que de pousser Abdelaziz Bouteflika à la démission et de refuser le rôle de Liamine Zeroual ? Autre question, le comportement des réseaux de l’ex-DRS. Si le général Toufik a fait une erreur en s’exposant trop rapidement, les services secrets jouent sur les deux tableaux, la Présidence et l’armée. Les militaires et l’ex-DRS sont à couteaux tirés, alors que les services secrets ont des comptes personnels à régler avec Gaïd Salah. Entre les deux camps, la classe politique essaye de calmer le jeu et d’organiser une sortie de crise en bonne et due forme, consciente des risques d’un nouvel affrontement des clans. « Il y a encore des bombes à retardement que l’ancien régime et ses alliés extra-constitutionnels se sont ingéniés à multiplier et qu’il s’agit maintenant de désamorcer les unes après les autres », avertissait Ali Benflis  9.

Le peuple se prépare déjà pour vendredi prochain, slogans affutés. La bataille pour Alger ne fait que commencer.