Bruxelles/Washington. Depuis mardi 26 mars, le landerneau financier retient son souffle. Pour la première fois depuis septembre 2007, la courbe des rendements de la dette américaine s’est inversée  1.

Pour rappel, cette courbe compare l’évolution du rendement (taux d’intérêt) de produits financiers de qualité égale mais de maturité différente. Or depuis mardi, le rendement du bons du trésor américain à 3 mois est supérieur à celui des bons à 10 ans. Les investisseurs évaluent donc les risques de la dette américaine à 3 mois et à 10 ans de la même façon. Une interprétation de cette incongruité est qu’ils anticipent une récession à court terme : la dernière fois que cela est arrivé, c’était en 2007, à l’aube de la crise des subprimes.

Toutes les précédentes récessions aux États-Unis, dont celle de 2001, ont été précédées par une inversion de la courbe de rendement des bons du trésor. Il est donc tout naturel que les esprits s’échauffent.

Cependant, il y a aussi des raisons pour ne pas paniquer. L’inversion des courbes n’est pas une cause per se mais seulement un indicateur dont il faut comprendre la véritable signification. Tandis que le rendement des bons du Trésor à 10 ans est effectivement déterminé par les mécanismes d’offre et demande, ce n’est pas le cas des bons du Trésor à 3 mois. Celui-ci est fortement influencé par le prix de son substitut le plus proche : le placement auprès de la Fed, dont le rendement est ce que l’on appelle le taux directeur (et est l’arme monétaire numéro 1 des Banques centrales).

Il y a une corrélation presque parfaite entre le taux directeur de la Fed et le rendement des bons du Trésor à 3 mois. Depuis 2015, la Fed a augmenté de façon régulière son principal taux directeur après plus 6 ans d’immobilité : c’est la première cause de l’augmentation du rendement des bons à 3 ans. Pourquoi cette politique ? La Fed a cherché à rendre le crédit plus difficile afin d’éviter une inflation trop forte mais aussi regagner une marge de manoeuvre en cas d’une future récession.

L’inversion de la courbe de rendement américaine est peut être donc le signe que la Fed est allée trop loin dans cette politique. Les investisseurs demandent moins de bons du trésor à 3 mois car ils anticipent non pas une récession à court terme mais que la FED va baisser, récession ou non, son principal taux directeur très prochainement : pourquoi acheter maintenant un bien dont le prix va baisser à court terme ?

La politique monétaire mondiale est en effet à un tournant : alors que 2019 devait être l’année du retour à l’ordre et de l’arrêt de l’injection de liquidité, c’est à l’exact opposé que l’on assiste. Le 7 mars dernier  2, la BCE a annoncé qu’elle garderait son principal taux directeur à 0 et s’engagerait dans une nouvelle campagne d’injection de liquidité à partir de septembre. L’hésitation de la Fed à continuer l’augmentation de son principal taux directeur en début d’année va dans le même sens. Les principales banques centrales mondiales suivent déjà la tendance  3.

L’inversion de la courbe de rendement américain ne veut donc peut être pas dire ce que l’on croit. Récession ou non, une leçon à retenir est que les régularités statistiques ne sont jamais garanties.

Perspectives :

  • L’inversion de la courbe des rendements est en général annonciatrice d’une récession aux États-Unis dans les 6 mois à un an.
  • Ce n’est pas une loi d’airain : le contexte monétaire a profondément changé depuis 2007 et la précédente inversion. Cela signifie que les anciennes régularités statistiques n’ont peut être plus de validité aujourd’hui.
  • Une chose est sûre : il est très probable que la Fed abaisse son principal taux directeur dans un futur proche.

Sources :

Cyprien Batut

Sources
  1. SIN Noah, Flattened yield curve reason to be nervous, but US economy solid – Fed’s Evans, Reuters, 25 mars 2019.
  2. BCE, Monetary policy decisions, European Central Bank, communiqué de presse du 7 mars 2019.
  3. BLACKSTONE Brian, A Central Banking Domino Effect Is in Motion, The Wall Street Journal, 21 mars 2019.