Tunis. Douze nourrissons sont morts aux alentours du 10 mars dans un grand centre de maternité publique de la Rabta à Tunis, l’hôpital Wassila Bourguiba. Suite à cet évènement dramatique, le premier ministre Youssef Chahed a demandé au ministre de la santé Chérif de se présenter face au conseil de sécurité nationale. La démission d’Abderraouf Chérif le samedi suivant a plongé le gouvernement tunisien dans la crise.

Ces 12 nourrissons étaient des prématurés, morts des suites d’un « choc septique »1 . Ils avaient contracté une infection nosocomiale lors de leur hospitalisation, durant laquelle a été prescrite une alimentation parentérale administrée à l’aide d’une sonde gastrique intraveineuse dans le corps des nouveau-nés. Chaque composant de cette prescription est a priori sain et la date de péremption n’a pas été dépassée : il s’agit d’une matière première utilisée dans tous les services de réanimation néonatale. Néanmoins, il est possible qu’un germe ait contaminé la parentérale lors de la préparation de la solution ou bien durant la période de conservation, ce qui serait significatif d’importants problèmes sanitaires.

Ce drame relance les critiques concernant la gestion des locaux hospitaliers. Le premier ministre Youssef Chahed a ainsi mis en place une enquête sanitaire et judiciaire. Cette situation est aussi un moyen de raviver les rumeurs sur la campagne présidentielle, car le chef du gouvernement est jugé sur sa capacité à à surmonter une crise majeure. L’opinion publique s’est très vite alarmée : le 20 mars s’est tenue une manifestation qui appelait les gouvernants à sauver les services publics notamment celui de la santé. La société civile accuse l’État de laisser à l’abandon les hôpitaux, que le personnel hospitalier juge hors normes et défaillants2 .

En effet, les médecins ont tout de suite réagi à l’événement de la Rabta en expliquant qu’ils travaillent deux fois plus dans le secteur public pour combler les défaillances de l’État. Le secteur privé s’est développé au détriment du secteur public, utilisé par une majorité de Tunisiens qui n’ont pas les moyens d’être pris en charge dans les cliniques privées. La société civile remet en cause la part du budget que l’État accorde à la santé publique. Bien qu’il soit à la hausse de 9,6 % en 2019 par rapport à 20183 , il demeure inadapté aux besoins du secteur. En terme général, la réduction du budget de l’État a des conséquences sur les dispositifs médicaux. Une rallonge budgétaire à hauteur de 150 millions de dinars sur l’ensemble du budget de l’État a été proposée pour freiner la pénurie de médicaments dans les hôpitaux.

Mais le manque d’implication de l’État est perçu comme une lente agonie des services de santé publique, ce qui pousse les trois quarts des médecins tunisiens à se tourner vers la France et l’Europe. Ils ne trouvent pas en Tunisie d’environnement pour la recherche scientifique. La « fuite » des médecins, pour la plupart jeunes, est devenu un fléau puisque les chiffres ont quadruplé depuis 2014. Bien qu’en Tunisie les études en médecine soient reconnues, l’étranger semble être un tremplin d’opportunités face à la détérioration des hôpitaux. Ils sont à la recherche de meilleures conditions de travail et également un salaire plus élevé. Certains avouent être payés 3500 euros en Allemagne, alors que le salaire d’un médecin moyen est de 700 euros en Tunisie. Désormais ils se tournent également vers les pays du Golfe. Autrefois c’était Ben Ali qui se réjouissait du secteur de la santé publique et faisait la promotion sa gestion des hôpitaux à ses voisins européens.

Perspectives :

  • Une commission d’enquête a été lancée. Elle est composée de médecins et de pharmaciens et chargée de faire toute la lumière sur l’affaire, et d’essayer de trouver des solutions palliant aux défaillances du système de santé tunisien.
  • Nul doute que le sujet sera au coeur de la campagne des présidentielles, qui sont prévues pour le 10 novembre prochain. Les réponses apportées par le premier ministre Chahed seront primordiales pour sa campagne, alors qu’il domine encore les sondages d’opinion en matière d’intentions de vote4 .

Sources :

  1. BEN NSIR Meriem Ben Nsir, Le budget du ministère de la Santé sous le feu des critiques de la société civile, L’économiste maghrébin¸4 décembre 2018.
  2. Tunisie : Youssef Chahed en tête des intentions de vote à l’élection présidentielle de 2019, Maghreb Emergent & Xinhua, 20 mars 2019.
  3. RAMSIS, Tunisie – Ils sont en train d’achever le secteur de la santé (peut être), sans le savoir !, Tunisie Numérique, 12 mars 2019.
  4. Tunisie : ouverture d’enquêtes après le décès de 11 bébés dans une maternité, RFI, 10 mars 2013.

Dina Saâda