Budapest. L’instance dirigeante du Parti Populaire Européen (PPE) a voté en faveur de la suspension jusqu’à nouvel ordre du parti de Viktor Orban, le Fidesz, par 190 votes pour et 3 votes contre. Il s’agit apparemment d’une décision unanime mais elle cache en réalité des fractures profondes. Le parti hongrois n’a plus le droit de vote au sein du PPE, ne peut plus influer sur sa ligne, et ne peut plus proposer des candidats aux postes dirigeants. En outre le PPE met le Fidesz face à un ultimatum concernant les attaques injustes contre les institutions de Bruxelles, et exige qu’il garantisse l’existence de la « Central European University » fondée par Georges Soros. Le parti est donc placé dans un état de sursis, qui pourrait se prolonger, et qui évite de trancher le noeud gordien (2).
Il s’agit d’abord d’une victoire tactique pour le candidat du PPE à la présidence de la commission Manfred Weber et la dirigeante de la CDU Annegret Kramp-Karrenbauer. Les partis chrétiens démocrates européens (belges, portugais et suédois notamment) qui avaient déposé la motion se sont ralliés bon gré mal gré à la solution de la fraction allemande, la plus puissante au sein du parti. En pleine campagne électorale, les dirigeants de l’Union n’ont pas intérêt à perdre des votes à droite. Les commentateurs allemands s’inquiètent cependant de la dérive d’une démocratie chrétienne qui renoncerait à ses valeurs pour conserver le pouvoir. D’ailleurs la CDU n’est pas nécessairement la gagnante de marché de dupes, car il est probable que le Fidesz se cherche déjà de nouveaux alliés au niveau européen (4).
Viktor Orban a déclaré accepter la décision et le Fidesz reste pour le moment membre du PPE, contrairement à ce qu’annonçait Gergely Gulyas, ministre et cadre dirigeant du parti. Après avoir à plusieurs reprises injuriés ses partenaires européens, le ton du premier ministre hongrois s’est fait relativement conciliant. Le chancelier autrichien Sebastian Kurz a lui aussi approuvé la suspension, qui lui permet de maintenir sa propre ambiguïté au sein de la droite européenne.
Les eurodéputés slovènes du SDS de l’ancien premier ministre Janez Janša avaient annoncé le matin du 20 mars qu’ils quitteraient le parti en cas d’exclusion d’Orban (5). La décision pragmatique adoptée à Bruxelles a permis d’éviter, ou de reporter, l’éclatement probable de la plus grande formation au Parlement Européen. Les Républicains français ont quant à eux présenté un front commun et ont soutenu unanimement la suspension.
En Roumanie, la droite était partie divisée sur la question de l’attitude à tenir vis-à-vis du Fidesz. Tandis que le Parti National-Libéral (PNL, principale force d’opposition, duquel est issu le président Klaus Iohannis) et le Parti pour un Mouvement Populaire (PMP, parti fondé par l’ancien président Traian Basescu) soutenaient la ligne de Manfred Weber en faveur d’un durcissement du rapport au Fidesz, le parti de la puissante minorité magyare de Roumanie, l’UDMR (soutien sans participation à la coalition gouvernementale PSD-ALDE), affichait quant à lui un soutien sans faille au cousin hongrois, “au nom de l’unité du PPE”. Finalement la solution de la suspension semble satisfaire tout le monde. Ludovic Orban, président du PNL, en a profité pour rappeler que l’ALDE et le PSE, contrairement au PPE, n’a toujours pas sanctionné l’ALDE Roumanie et le PSD roumain pour la politique illibérale de leur coalition gouvernementale (3). La coalition au pouvoir a en effet supprimé l’indépendance de la magistrature et décriminalisé la corruption. Viorica Dancila, première ministre social-démocrate a d’ailleurs déclaré le 18 mars dernier devant ses collègues du Parti socialiste européen : “En Roumanie la corruption n’existe pas. Le pot-de-vin n’est rien de plus qu’une méthode pour exprimer sa gratitude”.
En cas de divorce consommé, les députés du parti de gouvernement hongrois pourraient être accueillis dans l’une des trois formations eurosceptiques actuelles. Le groupe des conservateurs et réformistes européens (CRE) constitué du PiS et des Tories britanniques, l’ELDD (groupe de Nigel Farage et du mouvement 5 étoiles) ou encore le groupe Europe des nations et des libertés (qui rassemble le RN, la ligue du Nord, le FPÖ autrichien et le parti pour la liberté néerlandais). Si les forces restent en l’état, Orban devrait donc choisir entre Salvini et Kaczyński. Vue de Pologne, la décision semble d’ailleurs un pis-aller avant que le Fidesz ne rejoigne le groupe du PiS et des Tories au Parlement Européen.
Le président du PPE, le français Joseph Daul, a tenu à affirmer la fermeté du parti, alors que celui-ci a pourtant choisi une mesure plus clémente qu’attendu. Guy Verhofstadt n’y croit pas et parle d’une « combine politique qui fait honte à l’Europe ». Emmanuel Macron, bien qu’il ne soit pas immédiatement concerné par des affaires apparemment internes au PPE, a cependant déclaré : « Je suis plutôt pour la clarté et je n’ai pas trouvé que c’était très clair […] j’ai compris que rien ne changeait ».
Perspectives :
- Une commission dirigée par l’ancien président du Conseil européen Herman Van Rompuy sera chargée d’examiner le respect par le Fidesz des principes et lignes rouges fixées par le PPE. La suspension elle-même est à durée indéfinie.
Sources :
- BIELECKI Jędrzej, Nadchodzi zmierzch starej Unii Europejskiej, Rzeczpospolita, 20/03/2019.
- DE LA BAUME Maïa, BAYER Lili, Hungary’s Orbán clings on to Europe’s power center, Politico EU, 20/03/2019.
- Romania socialists to attend PES congress as pressure mounts over Kovesi case, Euractiv, 21/02/2019.
- RESTLE Georg, Kompromiss mit Fidesz : Macht statt Werte, Tagesschau, 20/03/2019.
- SORGI Giorgio, L’ex premier sloveno chiede al Ppe di non votare su Orbán. La lettera in esclusiva, Il Foglio, 19/03/2019.
Pierre Mennerat et Théophile Rospars