México. Un peu plus de cent jours se sont écoulés depuis que le président mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a pris ses fonctions et, dans ce court laps de temps, on peut compter des dizaines de décisions annoncées, ainsi que des débats animés provoqués par un président qui, chaque matin en conférence de presse, annonce des mesures pour réaliser la profonde transformation promise. Un jour, il annonce que la construction d’un nouvel aéroport est suspendue ; un autre, des coupes budgétaires ou l’annulation des anciens programmes pour la mise en place de son propre projet de politique sociale qui, selon lui, sera sans intermédiaires entre le pouvoir publique et les bénéficiaires ; encore un autre, il fait des nominations ou des déclarations controversées, ou avance le « respect de la souveraineté » pour justifier sa position face à la crise au Venezuela. Ces décisions suscitent de vives réactions de la classe politique ainsi que des analystes et éditorialistes, soit en raison de la visibilité du président, soit en raison de leurs implications.

Dans ce désir (hyper)actif de changement, deux traits intimement liés risquent cependant d’amorcer un scénario dangereux pour le Mexique. D’une part, en raison de l’avantage écrasant que son parti a obtenu aux élections, AMLO est le président le plus puissant de la jeune démocratie mexicaine ; d’autre part, l’opposition est, pour sa part, pulvérisée et disjointe 1. L’ancien David pourrait aujourd’hui se muer en Goliath.

En effet, l’équation autour du rapport entre le président et l’opposition a deux variables essentielles à considérer comme point de départ. D’un côté, la victoire d’AMLO aux urnes, et de l’alliance partisane qui l’a nominé (MORENA-PT-PES), ne repose pas simplement sur le 53.19 % de voix des Mexicains qui l’ont élu, mais aussi sur la conquête de 70 des 128 sièges au Sénat et de 218 des 300 sièges de députés 2, ainsi que 6 des 9 postes de gouverneurs dans le États fédérés où les citoyens ont été appelés aux urnes en 2018 (y compris à Mexico). D’ailleurs, environ 80 % de la population approuve le travail que le président a fait jusqu’à présent 3. En d’autres termes, la coalition partisane du président a la force politique et le soutien populaire nécessaires pour faire passer les réformes qu’ils considèrent comme indispensables pour accomplir leur projet de gouvernement.

De l’autre côté, l’opposition partisane, incarnée notamment par le PAN et le PRI, a connu une défaite historique aux urnes et elle ne semble pas être en voie de recomposition, au moins sur le court terme. Le PAN affronte ainsi une longue crise interne qui a mené certaines de ses personnages les plus emblématiques à quitter le parti politique dans lequel ils ont grandi (l’ancien Président Felipe Calderón parmi eux) 4. Le PRI, qui a été le parti hégémonique pendant plus de 70 ans, connaît quant à lui une crise de crédibilité au point où une des vertus de son candidat présidentiel a été celle de ne pas être militant du parti 5. Les autres partis politiques sont tellement minimes qu’ils sont soit en voie d’extinction, soit en recherche d’un accord avec l’alliance au pouvoir. Les alternatives non partisanes, en revanche, manquent d’organisation et de liens. Il y a peu de chance que leur situation évolue sur ce point, d’autant que leur seul point de rencontre semble être leur animosité envers le président. De là, il leur sera très difficile de consolider un projet alternatif. Ainsi, ceux qui devraient constituer une vision alternative du projet politique et équilibrer la portée du pouvoir d’AMLO suffisent à peine pour réagir à certains des mesures prises par le président.

Le risque d’une telle configuration – un président très fort et une opposition très faible – pourrait être que la force du mandat du président écrase l’opposition au nom de la transformation, annulant ainsi la possibilité des contrepoids nécessaires qui limitent le pouvoir, monopolisant et appauvrissant les sujets et le ton du débat et, finalement, perdant les motivations pour améliorer la qualité de l’offre politique. La coalition au pouvoir pourrait ainsi devenir une sorte de bulldozer qui empêche une discussion des enjeux d’intérêt publique qui soit féconde et, en tout cas, souhaitable dans une démocratie. Le principe de poids et contrepoids nécessaires pour garantir l’équilibre de la représentation politique pourraient s’affaiblir sur le long terme.

Bien qu’il soit trop tôt pour avancer que cette présidence sera sans contrepoids, il convient d’observer de près comment la configuration décrite conditionne le développement du mandat du président López Obrador. En particulier, compte tenu que l’accumulation du pouvoir dans le mains d’un président charismatique est une formule que l’Amérique latine connaît bien et qui s’est révélée comme un des traits des démocraties démunies 6. Le mois prochain auront lieu des discussions de grandes portées telles que la possibilité d’inclure dans la Constitution la figure de révocation du mandat présidentiel, la contre-réforme du système éducatif ou la décriminalisation de la consommation du cannabis, entre autres. À cet égard, le rapport président-opposition pourrait devenir capital, non seulement pour de tels enjeux mais aussi pour tracer le tissu institutionnel qui restera après AMLO.

Perspectives :

  • Le président López Obrador doit apprendre à gouverner en profitant de l’ampleur et de la force de son mandat, tout en dominant la tentation de s’en prendre à ceux qui mettent son projet de transformation en question. Pour cela, il devra apprendre à se mettre en relation avec ceux qui, au cas par cas, réagissent à ses décisions et à ses positions.
  • Si le président promeut également de sains mécanismes de gestion des différences au sein du Mouvement qu’il dirige, il est probable que MORENA s’orientera davantage vers la forme d’un parti politique que vers celle d’une movement polymorphe.
  • L’opposition (partisane ou non) ne réussira que si elle cesse d’orienter son combat vers la figure d’AMLO, et commence à construire un projet dans lequel ceux qui ne sont pas représentés aujourd’hui se sentent représentés. Une sorte de “nouvelle opposition” peut émerger, avec de nouveaux acteurs et de nouvelles lieux d’opposition, en plus de l’arène électorale. Cela pourrait, par contre, prendre plusieurs années.
Sources
  1. AMLO will be the most powerful Mexican president in decades, The Economist, 1 décembre 2018.
  2. Instituto Nacional Electoral (INE), Élections 2018.
  3. MORENO Alejandro, Popularidad de AMLO, en su nivel más alto por plan vs. Huachicoleo, El Financiero, 7 février 2019.
  4. ROSAS, Tania, FIGUEROA, Héctor, Felipe Calderón renuncia al PAN, Excélsior, 11 Novembre 2018.
  5. CORONA, Sonia, José Antonio Meade, el candidatomás preparado del partido más golpeado, El País, 1 Juillet 2018.
  6. MERKEL, Wolfgang, (2004) Embedded and defective democracies, Democratization, 11:5, 33-58.