Le Caire. Dimanche 10 mars, au cours d’une allocution télévisée, le raïs égyptien Al-Sissi s’est montré très critique à l’égard des risques posés, selon lui, par les manifestations actuelles dans « des États de [la] région », allant jusqu’à dire que les individus mécontents de la situation économique « gâchent » leur pays, « le conduisent à sa perte » (5). Bien que le président n’ait pas cité explicitement ces États, il n’y a aucune ambiguïté : cette déclaration visaient tant l’Algérie que le Soudan, tous deux en proie à la contestation populaire. En effet, à la frontière sud du pays des pharaons, les protestations de la population contre le président soudanais El-Bachir, débutées au mois de décembre, se poursuivent, alors même qu’un nouveau gouvernement a été nommé. Et alors que Le Caire est déjà extrêmement préoccupé par le désordre libyen, faisant de ce dossier une priorité de son action à la tête de l’Union africaine (1), les importantes manifestations en Algérie sont vues d’un très mauvais oeil.

D’autant qu’à l’Est, l’Égypte est également menacée par l’instabilité, la guerre contre Wilayat Sinaï, la branche de l’État islamique, faisant toujours rage dans la péninsule égyptienne, et ceci depuis maintenant plus de cinq ans. Le 11 mars dernier, l’armée a annoncé la mort de trois soldats et de quarante-six jihadistes dans le Nord Sinaï (4). De telles annonces sont monnaie courante, sans qu’il soit possible d’en vérifier la véracité, tant la presse est muselée, les journalistes étant notamment passibles de lourdes amendes s’ils ne donnent pas des bilans conformes aux chiffres officiels après un attentat. Quoi qu’il en soit, il est peu probable que la situation dans le Sinaï s’améliore dans le futur proche, d’autant que les jihadistes de l’État islamique, bientôt complètement privés de leur emprise en Syrie, pourraient être tentés d’investir la péninsule.

C’est donc dans ce qu’il perçoit comme l’intérêt direct pour la sécurité de la région que le maréchal Al-Sissi a reçu au Caire, fin janvier, le président Al-Bachir, lui signifiant ainsi le soutien de l’Égypte dans cette période troublée. Quelques jours plus tôt, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Shoukry, avait déclaré que son pays était confiant “dans le fait que le Soudan va surmonter la situation actuelle” (3). Plus récemment, Le Caire s’est déclaré prêt à fournir au Soudan de l’électricité via le poste de Toshkan, en vertu d’un accord signé en avril 2018.

Mais davantage que le chaos, c’est sans nul doute une possible issue démocratique aux manifestations pacifiques algériennes et une transition en douceur qui inquiètent au plus haut point le pouvoir égyptien. Un tel dénouement donnerait en effet selon Al-Sissi un mauvais exemple aux citoyens égyptiens, qu’il espère avoir convaincu de la seule alternative qu’il représenterait face au chaos. Rarement un pouvoir ne s’est montré aussi fébrile face à de possibles vagues de mécontentement populaire, au point de limiter, à la fin de l’année 2018, la vente de gilets jaunes, de peur de voir émerger un mouvement similaire (2). Plus tôt, en mai dernier, des véhicules blindés avaient investi la place Tahrir et la station de métro Sadate avait été fermée après l’annonce d’une augmentation significative des prix tickets de métro, de peur de la naissance de vagues de contestation. Toutes ces craintes ne sont cependant pas totalement infondées : il y a 8 ans, les Printemps arabes nous avaient montré à quel point une petite étincelle pouvait embraser l’ensemble de la région.

Perspectives :

  • Les manifestants algériens pourraient donner des idées à une population égyptienne à bout de souffle aux niveaux économique et social, notamment en raison des mesures d’austérité préconisées par le FMI. Un mouvement de contestation populaire semble toutefois peu probable avec une presse muselée et la grande majorité des activistes jetés en prison.

Sources :

  1. JEANDEL Marilou, 2019, année africaine pour l’Égypte ?, La Lettre du Lundi, 20 janvier 2019.
  2. KHOUJA Salma, L’Égypte limite la vente de gilets jaunes pour éviter un mouvement similaire, HuffPost Maghreb, 11 décembre 2018.
  3. Soudan : après le Qatar, El-Béchir en Egypte, Le 360, 27 janvier 2019.
  4. Égypte : 46 djihadistes présumés tués dans des affrontements, Le Figaro, 11 mars 2019.
  5. Sissi met en garde contre les mouvements de contestation dans la région, L’Orient Le Jour, 10 mars 2019.

Marilou Jeandel