Bruxelles. Le 17 janvier a eu lieu à Bruxelles “Shaping competition policy in the age of digitisation” une journée de conférences organisée par la Commission Européenne sur le futur de la politique de concurrence à l’ère de la digitalisation1. La Commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, a accueilli une salle comble, et une vingtaine d’experts et d’analystes du secteur se sont succédé à la barre pour développer leur point de vue. La Lettre du Lundi a synthétisé leurs inquiétudes et recommandations.

L’économie du numérique est caractérisée par d’importants effets de réseaux qui favorisent l’émergence de monopoles. Porté à toute l’économie du numérique, ce cercle vicieux est la source de la prédominance des GAFAM (Google, Facebook, Amazon, Apple, Microsoft) aujourd’hui. En théorie, ces monopoles découragent l’innovation et posent des problèmes de prix excessifs.

La question des prix excessifs des services proposés par les GAFAM est cependant difficile à évaluer puisque la monnaie utilisée est nos données personnelles. C’est un échange consenti : vie privée contre services. Toutefois, les prix ne sont pas fixés précisément : les règles de confidentialité des services « offerts » ne sont pas explicites. Dès lors, les consommateurs ne se rendent pas compte du prix réel de leurs services et subissent le pouvoir excessif des firmes. Des règles précises encadrant la confidentialité des plateformes numériques viendraient compléter la concurrence renforcée en aidant l’individu à la rationalité limitée à effectuer un choix dans le long terme comme celui de sa vie privée.

Par exemple, aujourd’hui, le Règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) entré en vigueur l’année dernière oblige les sites web à demander leur accord aux internautes avant de collecter des cookies. Mais en pratique, cela se concrétise uniquement par plus de clics pour le public. En effet, personne ne lirait de son plein gré une politique de confidentialité sur laquelle même les juristes se cassent les dents (comme nous l’évoquions d’ailleurs dans une lettre du lundi précédente2).

Jean Tirole, Prix Nobel d’économie en 2014, a lui aussi fait remarquer le coup porté à l’innovation des start-ups par ces monopoles. En théorie, les firmes entrantes sur le marché devraient être en capacité de concurrencer la firme dominante. Or, en pratique on constate une tendance grandissante à la création de start-ups dans l’objectif de les revendre. Cet objectif court-termiste pourrait nuire à l’innovation, notamment disruptive. Pour pallier ce problème, une nouvelle législation permettrait selon lui d’obliger les firmes potentiellement acheteuses à justifier elles même en quoi l’achat d’une autre firme ne porterait pas atteinte à l’innovation. Cela serait utile pour assainir la compétition entre entrants et entreprises présentes sur le marché.

Outre les améliorations incrémentales présentées ci-dessus, l’idée d’un démantèlement pur et simple des GAFAM devient à la mode. Des propositions concrètes ont même fait surface aux États-Unis par le biais de la sénatrice Elizabeth Warren qui a promis de démanteler les firmes qui feraient plus de 25 milliards de dollars de chiffre d’affaire si elle était élue3. Le principal inconvénient d’un tel démantèlement serait la moindre performance des firmes ainsi créées qui perdraient d’importantes sources de données. Mais ces pertes seraient compensées par les gains en confidentialité et en innovation pour les start-ups. Pour l’instant, aucune proposition similaire n’a vu le jour en Europe, peut-être par peur d’être considéré comme protectionnistes par des Américains déjà prompts à la guerre commerciale. Il serait alors salutaire qu’une telle réforme soit portée par des États Unis, pays d’origine des GAFAM.

Perspectives :

  • À court terme, les améliorations de la législation Européenne sont à suivre.
  • À long terme, le débat sur le démantèlement des géants du numérique n’est sûrement pas fini. Suivre notamment la performance d’Elisabeth Warren aux primaires démocrates.

Jean-Charles de La Roncière

Sources
  1. Commission européenne, Shaping competition policy in the age of digitisation, 17 janvier 2019.
  2. RONTEIX Gustave, La CNIL sanctionne Google : l’émergence d’une politique numérique européenne en pointillés, La Lettre du Lundi, 10 février 2019.
  3. WARREN Elizabeth, Here’s how we can break up Big Tech, Medium, 8 mars 2019.