Berlin. Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK) était une quasi inconnue sur la scène européenne il y a encore cinq mois. Secrétaire générale de l’Union Chrétienne-démocrate (CDU), elle s’est hissée à la tête du parti avec le soutien de la présidente sortante, Angela Merkel. Elue au second tour, elle a cependant ressenti la nécessité d’opérer un rééquilibrage avec l’aile droite du parti, qui s’est sentie malmenée pendant les années Merkel. Le candidat malheureux de libéraux-conservateurs, Friedrich Merz, a été ménagé par la gagnante.
Mme Kramp-Karrenbauer, connue pour son opposition frontale au mariage homosexuel, représente une tendance sociale, mais conservatrice et catholique au sein de la CDU. À l’occasion d’une traditionnelle parodie de procès festif organisée pour Mardi gras, elle a tourné en dérision l’installation de toilettes pour les transgenres à Berlin. La blague a déclenché un petit scandale à gauche (1). Elle a cependant reçu un plein soutien de l’AfD, qui n’a pas manqué de déplorer ce qu’ils considèrent comme une atteinte à la liberté d’expression. Par ailleurs, AKK a été prise à parti par l’aile droite de la CDU, regroupée au sein de la « Werteunion » (Union des valeurs). Ce groupement a posé un ultimatum et exigé un changement clair de politique par rapport à Angela Merkel si AKK devait arriver au pouvoir, sans préciser cependant quels domaines nécessitaient cette transformation (5).
Quelques jours plus tard, c’est bien la présidente de la CDU, et non Angela Merkel, qui a pris le soin de répondre à la tribune d’Emmanuel Macron sur l’Europe, réponse que nous analysions dans ces colonnes la semaine dernière (2). Le ton cassant employé dans la lettre, le refus opposé à l’essentiel des propositions de réforme institutionnelle, économique et sociale de l’UE, ont provoqué un refroidissement quasi-immédiat dans la relation franco-allemande déjà mise à mal ces derniers mois.
L’inscription de l’abandon de Strasbourg comme siège du Parlement Européen et du partage du siège français au conseil de sécurité de l’ONU comme préalables à toute avancée européenne ont été prises comme un affront par le gouvernement français, d’autant plus que la chef de la CDU ne dispose d’aucun mandat électif. AKK passait jusqu’ici pour une européenne convaincue. Francophone, sarroise, elle avait construit l’image d’une femme politique audacieuse et sans détour, qui contrastait avec le profil fuyant de Mme Merkel. En empilant des fins de non-recevoir et des demi-mesures sur la scène européenne, elle a sans doute rassuré une aile droite favorable à un statu quo européen, mais elle renonce à être l’interlocutrice courageuse qu’on espérait. Comme l’a affirmé Sigmar Gabriel, ancien ministre des affaires étrangères « Quoi que propose Emmanuel Macron, l’Allemagne le laisse dépérir […] Nous avons manqué une immense chance, peut être la dernière que nous ayons ».
Le SPD, très inquiet, appelle à des élections anticipées en cas de passage de bâton anticipé à la Chancellerie. Les rumeurs, sans cesse relancées, d’un remplacement imminent à la tête du gouvernement, interpellent les partenaires de coalition sociaux-démocrates. Un débat interne assez violent a agité le parti de gauche modérée sur la conduite à suivre en cas de succession accélérée. Dans les deux camps, des élections anticipées pourraient causer des dommages électoraux conséquents. Angela Merkel est passée maître dans l’art de maintenir au centre sa coalition et, alors que le SPD reprend des positions socialement à gauche, l’avènement d’AKK sonnerait la faillite du gouvernement allemand construit à grand peine il y a un an seulement. Sigmar Gabriel, désormais retiré de la vie politique, affirme : « Je ne pense pas qu’Angela Merkel est assez bête pour laisser Annegret Kramp-Karrenbauer en plan pendant deux ans, comme un caniche (sic) ».
De plus en plus d’Allemands veulent voir Mme Merkel finir son mandat. À l’inverse, le pourcentage des sondés qui voient en AKK une chancelière crédible a sensiblement chuté depuis son arrivée à la tête de la CDU en décembre 2018. Aujourd’hui, 51 % des Allemands pensent qu’elle ne ferait pas une bonne chef de gouvernement, tandis que 34 % affirment l’inverse. Il y a quatre mois, 41 % seulement s’opposaient à son arrivée, et 38 % y étaient favorables, le reste n’ayant pas d’opinion. C’est donc cette catégorie des « sans-opinion » qui a maintenant en partie une opinion négative de la présidente de la CDU.
Perspectives :
- La succession d’Angela Merkel ne devrait pas se dérouler à très court terme. L’année calendaire comporte déjà quatre élections clés pour l’Allemagne (Européennes, et parlementaires régionales dans trois Länder de l’Est). Des législatives générales sont peu probables avant la fin 2019 (3).
Sources :
- „Stockacher Narrengericht“ : CDU-Chefin löst mit Fastnachtsrede Empörung aus, Deutschlandfunk, 03/03/2019.
- AKK refroidit l’enthousiasme européen de Macron, La Lettre du Lundi, 11/03/2019.
- MENG, Richard, Wie im Käfig, Frankfurter Rundschau, 15/03/2019.
- Nicht als Kanzlerin geeignet ? AKKs Beliebtheitswerte brechen ein, Münchner Merkur, 15/03/2019.
- Zweifel an AKK als Kanzlerin, ZDF, 15/03/2019.
Pierre Mennerat