Bruxelles. Dans sa lettre « Pour une renaissance européenne », le président français Emmanuel Macron a abordé l’un des thèmes les plus en vue à travers les pays de l’Union Européenne : la défense. Dans un unique paragraphe classé dans la catégorie « Protéger notre continent », Emmanuel Macron a fait part de propositions ambitieuses, s’appuyant sur des solutions déjà avancées en Allemagne comme en France. Il s’agit donc d’être certes ambitieux, mais bien réaliste.

Depuis son arrivée au pouvoir, Macron a fait de la défense l’un de ses principaux chevaux de bataille pour faire avancer l’intégration européenne. Et après des décennies de marasme, les progrès ont effectivement été au rendez-vous. Coup sur coup, l’Europe a vu naître :

  • Un Fond Européen de la Défense, financé par le budget européen à hauteur de 13 milliards d’euros pour la constitution de projets industriels communs.
  • L’activation pleine et entière de la Coopération Structurée Permanente, rassemblant les pays européens volontaires dans des initiatives de coopération multilatérales en matière militaire.
  • L’Initiative Européenne d’Intervention, incluant un nombre encore restreint de pays et visant à développer une culture stratégique européenne.
  • Le traité d’Aix la Chapelle ayant exprimé la volonté d’une position franco-allemande commune à l’ONU et d’une coopération de défense approfondie.

Dès lors, que propose le président français pour aller plus loin ? En tout premier lieu, il mentionne un « traité de défense et de sécurité ». Il s’agirait de renforcer l’interprétation de l’article 42.7 du traité de Lisbonne selon lequel « Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir » (1). Si la tentation de copier le fameux article 5 de l’OTAN est réelle, les termes de l’article sont encore flous et son caractère automatique non précisé. C’est précisément ce manque que cherche à combler Emmanuel Macron. Il s’agirait dès lors de bâtir un traité clair, opérationnel et militairement crédible entre pays européens pour leur protection mutuelle. Le défi est grand, car beaucoup de pays européens font plus confiance aux États-Unis qu’à leur partenaires européens pour se protéger. De plus, certains pays membre de l’UE comme la Finlande ou la Suède ne font pas partie de l’OTAN (2). Ce sont ces obstacles de taille que devra résoudre la diplomatie française si elle veut obtenir un tel traité.

Le président en a d’ailleurs bien confiance : il prend soin de mentionner que cette initiative se ferait « en lien avec l’OTAN ». Surtout, il semblerait que les différentes initiatives de défense prisent depuis le début du quinquennat marquent les prémisses d’un partage des tâches entre initiatives européennes et OTAN.

À cette dernière reviendraient les parties directement opérationnelles, puisqu’elle dispose déjà d’un Quartier général, de plans opérationnels et d’une force de réaction rapide composée essentiellement de forces européennes. L’UE s’occuperait elle de la stratégie européenne en matière de sécurité et de défense, via la Politique de Sécurité et de Défense commune (PSDC), et l’Initiative Européenne d’Intervention (IEI).

La lettre propose également la création d’un véritable « Conseil de Sécurité européen associant le Royaume-Uni pour préparer nos décisions collectives ». Il s’agit d’une mesure forte politiquement, qui reprend ici une idée issue des accords de Meseberg signé en juin 2018 et reprise par la chancelière devant le Parlement Européen en novembre. Si les contours sont encore flous, il s’agirait de réunir un nombre restreint de pays européen, crédibles en matière de défense mais aussi représentatifs de la diversité stratégique européenne. Toutefois, la mesure suscite une certaine hostilité, car on l’accuse de se superposer à des dispositifs préexistants (IEI, OTAN, Conseil de l’Union Européenne).

La volonté d’y inclure le Royaume-Uni n’est pas surprenante. D’une part, le Royaume-Uni considère toujours la sécurité du continent comme prioritaire et reste lié aux Européens par différents traités. Déjà partie prenante dans l’Initiative d’Intervention Européenne et membre de l’OTAN, Londres est aussi fortement liée à la France par le traité de Lancaster House, qui mit en place une force expéditionnaire et un état-major commun (4). Puissances nucléaires bénéficiant de plus d’une culture stratégique similaire, les deux pays souhaitent ainsi maintenir cette étroite coopération, Brexit ou non.

Enfin, la lettre du président français plaide pour une « augmentation des dépenses militaires ». Cette volonté s’inscrit dans l’engagement pris par les pays européens, dans le cadre de l’OTAN, de porter à 2 % la part de leur PIB consacré à la défense d’ici 2024. Actuellement, malgré une véritable remontée en puissance des budgets de défense, la relance reste en vérité très timide au point que seuls sept pays respectent cet engagement (États-Unis, Royaume-Uni, Grèce, Estonie, Lituanie, Lettonie, Pologne et Roumanie). L’Allemagne, principale cible de Donald Trump sur ce point, fait figure de mauvaise élève. Alors qu’elle s’était engagé en 2014 à atteindre les 2 % du PIB, ce furent finalement l’objectif de 1,5 % qui fut décidé… puis remis en cause par une récente note du ministère allemand des Finance malgré un accord de coalition clair à ce sujet.

Si les propositions sont ambitieuses, elles sont soutenues tant par l’Allemagne que la France comme le montre la récente tribune d’Annegret Kramp-Karrenbauer dans les colonnes du Welt am Sonntag (3). Il reste donc à préciser le contour de ces projets encore flous dans leurs détails opérationnels. Car si les avancées récentes (CSP…) sont réelles, il faudra suivre leur mise en œuvre afin d’en saisir la véritable efficacité ou pertinence dans l’architecture de défense européenne. Il en va de même pour ces nouveaux projets.

Sources :

  1. AMAND Cyrille, La collaboration renforcée franco-allemande dans le secteur de la défense, La Lettre du Lundi, 27 janvier 2019.
  2. DE LAITRE Benoit, Europe de la Défense / OTAN : la dissuasion, obstacle ou moteur ?, La Lettre du Lundi, 17 février 2019.
  3. KRAMP-KARRENBAUER Annegret, „Europa jetzt richtig machen“, Welt Am Sonntag, 9 mars 2019.
  4. MARCHAND Vera, Lettre à un ami anglais, La Lettre du Lundi, 11 novembre 2018.

Erwan Leroy