Berlin. Publiée en Allemagne dans Die Welt, la tribune du président français “Pour une Renaissance européenne” était au départ uniquement disponible pour les abonnés du journal. Mais l’Elysée a diffusé la version allemande sur son site internet pour une meilleure accessibilité.
Dans un premier temps, la réponse de Berlin a été presque lapidaire. Puis le porte-parole du gouvernement est revenu en détail sur le contenu de la lettre. À en croire Steffen Seibert, le gouvernement de coalition entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates soutient un grand nombre de mesures proposées par le président français, dans les domaines de la politique de défense, de l’asile et des migrations, et laisse même une porte ouverte à la modification des traités européens (1).
Les sociaux-démocrates évitent cependant d’entrer dans le vif du sujet, et restent largement évasifs. Le ministre des finances (SPD) Olaf Scholz se montre louvoyant, comme souvent sur la question européenne. « Il est important que les forces pro-européennes présentent leurs propositions avant les élections » a-t-il déclaré, ce qui revient à paraphraser le thème de la lettre de Macron, sans rien dire des thèses avancées par le président français. Katharina Barley, ministre social-démocrate de la Justice, s’est montrée un peu plus explicite, en allant jusqu’à utiliser la première personne du singulier… « Je suis en plein accord avec Paris pour une réforme de l’Europe afin de lui donner la capacité d’agir et pour un Euro stable. » Mme Barley salue également les propositions autour de l’Europe sociale formulées par Emmanuel Macron.
L’opposition se montre plus résolument enthousiaste, mais sur des points différents. Les Verts en profitent pour décocher des critiques à l’égard d’un gouvernement accusé de propager la « lassitude envers l’Europe » (Europamüdigkeit). Annalena Baerbock, coprésidente des Grünen, note que le gouvernement de grande coalition défait régulièrement les projets de réforme européens, de la taxe sur les géants du numérique à la protection des lanceurs d’alerte. Par la voix de Marco Buschmann, « whip » du groupe parlementaire libéral au Bundestag, le FDP (parti libéral-démocrate) exige quant à lui la fin du « mutisme allemand », car « le président français mérite mieux que cela ». Mais ce parti s’oppose encore aux projets de ministre des finances de la zone euro. En somme, chaque parti se saisit à sa guise de l’aspect de la lettre qui l’arrange le plus.
Cependant, un léger sentiment de passivité est aussi présent au sein de la CDU, qui a souvent été au coeur des avancées de l’intégration européenne. « Et si l’Allemagne aussi faisait des propositions ? », exhorte le député chrétien-démocrate au Bundestag Norbert Röttgen, ancien ministre et président de la commission aux affaires étrangères (2).
Seule l’AfD a réagi de manière agressive, en intimant, comme Alexander Gauland, à Emmanuel Macron de s’occuper d’abord des problèmes de la France. « Macron étend le linceul du centralisme sur l’Allemagne » (3), prétend le chef du parti, alors que ses alliés du Rassemblement National brocardent le président français pour son fédéralisme.
Dans la Süddeutsche Zeitung, le journaliste Hendrik Munsberg considère que la tribune de Macron relève de la bonne sorte de populisme, lorsqu’elle évoque par exemple la taxation des géants du numérique. Le président français a, selon lui, au moins le mérite d’agir et de combattre le désaveu des citoyens envers la politique par des gestes forts (5). Dans les mêmes colonnes, Stefan Cornelius reproche cependant au président français de se payer de mots. Il critique le style et la communication d’Emmanuel Macron, qui se présente plus que jamais comme un homme providentiel d’envergure continentale (4). Le puissant appel venu de France serait-il une renaissance du jacobinisme ?
Perspectives :
- Quant au parti de gauche radicale Die Linke, qui a tenté de transplanter sans grand succès le phénomène « gilets jaunes » en Allemagne, il n’a pas daigné réagir pour le moment aux projets européens du président français. Mais le volet social de la tribune (coordination des salaires minimaux au niveau européen) et les accents protectionnistes pourraient être reçus favorablement à la gauche du spectre politique.
Sources :
- Macron-Rede : Bundesregierung befürwortet viele Vorschläge des französischen Präsidenten, Deutschlandfunk, 6 mars 2019.
- EU-Reform : « Wie wäre es jetzt mit Vorschlägen aus Deutschland ?, Die Zeit, 05/03/2019.
- GAULAND Alexander, Krise der EU : Macron legt das Leichentuch des Zentralismus über Europa, Die Welt, 8 mars 2019.
- KORNELIUS Stefan, EU-Reform : Macrons Wünsch-dir-was ist problematisch, Süddeutsche Zeitung, 6 mars 2019.
- MUNDSBERG Heindrik, Internetkonzerne : Macron hat Recht mit seinem Populismus, Süddeutsche Zeitung, 6 mars 2019.
Pierre Mennerat