Charm el-Sheikh. Il a été décrit par beaucoup comme « historique » ou comme un sommet sur « l’avenir de la région euro-méditerranéenne ». L’événement très attendu réunissant l’Union européenne (UE) et la Ligue arabe à Charm el-Cheikh, en Égypte, a tenu ses promesses, du moins en partie. Peut-être serait-il plus juste de qualifier ce sommet de « symbolique », investi de grandes espérances ; même s’il s’est révélé dénué de substance, on a pu constater une participation compacte des pays des deux rives de la Méditerranée, désireux de trouver des solutions communes à des problèmes de plus en plus globaux (4).

Comme l’a déclaré la Haute Représentante pour la politique étrangère et de sécurité de l’Ue, Federica Mogherini, le sommet s’est concentré non seulement sur l’immigration clandestine, mais aussi sur des questions stratégiques telles que le partenariat économique, la création d’emplois, notamment pour les plus jeunes, et une politique mieux définie en matière d’investissements étrangers pour créer des emplois et des infrastructures. Cela était également lié aux divers problèmes de sécurité causés par la prolifération des crises politiques et militaires non résolues (de la Libye à la Syrie, en passant par Gaza et le Yémen), à un engagement renouvelé dans la lutte contre le terrorisme islamiste et à la gestion du retour des djihadistes dans les pays européens. Un sommet complexe, donc, en raison de la grande variété des sujets traités (1).

Le président du Conseil européen, Donald Tusk, et l’hôte, le chef de l’État égyptien Abdel Fattah al-Sisi, ont présidé les travaux du sommet. Les deux dirigeants ont axé leurs interventions, comme repris dans la déclaration finale du sommet (1), sur « la nécessité d’une coopération économique plus étroite », en établissant un « partenariat solide fondé sur l’investissement et le développement durable », afin d’étendre « un programme de coopération positif ». L’énergie, en particulier, pourrait jouer un rôle clé dans la tentative de rétablir les relations entre l’Ue et la Ligue arabe. En effet, les énormes ressources offshore du Levant et les tentatives de communautarisation des ressources par l’Égypte, Chypre, la Grèce, Israël au sein du Forum des pays producteurs de gaz de la Méditerranée orientale (Fem) pourraient donner une occasion décisive de redéfinir les relations entre les pays euro-méditerranéens, et constituer un facteur géopolitique et stratégique important pour les deux parties. Pour l’Europe, cela se traduirait par une plus grande diversification des sources d’énergie, au détriment des fournisseurs traditionnels comme l’Algérie et la Russie. Pour les pays arabes, ce serait un moyen de subsistance économique et politique capable d’encourager une moindre dépendance vis-à-vis des monarchies du Golfe, sponsors traditionnels de l’ordre conservateur au Moyen-Orient (2).

L’objectif est de créer une richesse généralisée, une stabilité socio-économique et des emplois. L’UE et la Ligue arabe ont ainsi proposé la création d’un partenariat stratégique fort, mais en partant d’hypothèses différentes. Si la rive européenne voit dans la stabilité la condition nécessaire pour garantir le développement et définir des politiques d’investissements dans la région, les pays arabes ont souligné la nécessité d’établir une collaboration forte avec les Européens, surtout sur les questions de sécurité commune, comme les migrations et le terrorisme. Cette divergence met en évidence des visions et des contextes différents entre les deux rives de la Méditerranée. Une perspective visant à justifier également la violence de nombreux régimes post-printemps arabe (5).

En ce sens, les différentes sensibilités apparaissent clairement sur des sujets comme la protection des droits de l’Homme et des droits civils qui, après l’affaire Khashoggi, est devenue un sujet de plus en plus central dans les sociétés occidentales, notamment en termes de responsabilité et de condamnation de la brutalité, mais qui, au contraire, ne l’est pas dans les sociétés arabes. Il suffit de regarder l’attitude de nombreux pays de la région suite à l’affaire Khashoggi : entre embarras et rhétorique subtile, ils ont su éviter le sujet pour ne pas perdre le précieux soutien politique et économique saoudien. Il est également important de noter que, en thème de protection des droits de l’Homme, l’Égypte a aussi adopté des mesures ouvertement liberticides. Ce n’est pas un hasard si les autorités égyptiennes ont répondu de manière piquante à la moindre plainte européenne. En ce sens, al-Sisi et les autres autocrates de la région échangent leur rôle dans la sécurité régionale contre une non-ingérence européenne dans leurs affaires intérieures. Ce n’est pas un hasard si presque tous les dirigeants européens ont entamé des pourparlers bilatéraux avec leurs homologues arabes en marge du sommet pour définir de nouvelles étapes dans la coopération policière et sécuritaire. Il s’agit de fait d’une normalisation des relations en échange de la stabilité, mais dans une perspective arabe (3).

Dans la déclaration finale du sommet, l’Ue et la Ligue arabe affirment la nécessité de résoudre avec diplomatie les innombrables crises régionales en demandant à tous les acteurs concernés de respecter le droit international. En ce sens, les participants au sommet ont réaffirmé leur attachement à la solution à deux États dans le conflit israélo-palestinien et appuyé la nécessité de préserver l’intégrité territoriale et l’indépendance de la Syrie, de la Libye et du Yémen. Au-delà des formules rituelles, il s’agira de comprendre comment se concrétiseront ces intentions et quels sont les intérêts communs afin de permettre de parler d’un véritable nouveau départ dans les relations entre les rives nord et sud de la Méditerranée.

Perspectives :

  • Les parties ont décrit le sommet comme un succès davantage en raison de son importance historique (c’était la première fois que l’UE et la Ligue arabe se rencontraient sous cette forme) qu’en raison des décisions prises. En effet, le sommet a mis en évidence la distance claire qui existe sur différentes questions et sur la manière de les traiter. Une fois de plus, la réalité n’a pas été à la mesure des attentes.
  • Démontrant une fois de plus l’extrême interdépendance entre les deux rives de la Méditerranée, ce sommet a peut-être eu le mérite de redéfinir de nouveaux rapports de force dans les relations bilatérales et multilatérales.
  • Le véritable gagnant moral du sommet est le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi. Malgré les accusations de brutalité et de violence de la part des organisations internationales, selon qui le système de répression en vogue aujourd’hui serait plus envahissant et plus dangereux que celui appliqué par Moubarak, le président égyptien Abdel Fattah as-Sisi a reçu à Charm el Cheikh une pleine légitimité européenne comme leader et acteur politique influent.

Sources :

  1. Conseil Européen, EU-League of Arab States summit in Sharm El-Sheikh, Egypt, 24-25/02/2019.
  2. DENTICE Giuseppe, Natural gas in the Eastern Mediterranean : a driver of development, in MED Report 2018, Building Trust : the Challenge of Peace and Stability in the Mediterranean, pp. 23-26.
  3. HEARST David, Sisi’s useful idiots : How Europe endorses Egypt’s tyrant leader, Middle East Eye, 21 février 2019.
  4. LEWIS Aidan et MOURAD Mahmoud, Arab League, EU seek synchrony on regional crises in first summit, Reuters, 24 février 2019.
  5. MORAN James, The EU-Arab summit : a chance to reset relations with the Arab world ?, EuroMeSCo spot-on nº9, 22 février 2019.

Giuseppe Dentice