Damas. L’Etat islamique est fini. Son califat est mort. Son influence sur la Syrie s’est résumée ces derniers jours à quelques dizaines de mètres carrés. Les défections sont devenues légions. Il suffit de lire les titres de la presse française pour s’en convaincre. « La fin du califat approche », « C’est la fin du groupe État islamique », « L’État islamique vit ses dernières heures en Syrie ».

C’est ce qu’on voudrait donc faire croire : la fin de l’État islamique. D’un point de vue territorial, cette vision peut se défendre. Engagées depuis septembre pour reprendre le dernier bastion djihadiste de Deir ez-Zor, les Forces démocratiques syriennes ont acculés les forces de Daech dans quelques centaines de mètres carrés à Baghuz. Vendredi dernier, 1er mars 2019, l’assaut final a été lancé. « Après l’évacuation de milliers de civils et de nos camarades qui détenaient des otages à Baghouz, l’opération de nettoyage de la dernière poche d’ISIS a commencé à 18h00 (17h heure de Paris) ce soir » a annoncé le porte-parole des FDS sur Twitter (2). Ils seraient encore quelques centaines de combattants à l’intérieur du réduit, ayant refusé les propositions d’évacuations.

D’un point de vue militaire en revanche, la situation est toute autre. Des cellules dormantes ou des militants cachés se terrent toujours dans la province d’al-Anbar, qui jouxte la Syrie et la Jordanie. Comme l’explique le chercheur Matteo Puxton, « après avoir opéré son retour à l’insurrection en Irak il y a un an, il a fait de même en Syrie dans le second semestre 2018. » Dans la province de Deir ez-Zor, « les attaques sont quasiment quotidiennes, et ne ralentissent pas, bien relayées par une propagande toujours active » (4).

Car si en l’EI a dissous mars 2018 son organisme qui s’occupait de la dimension économique et l’a réorganisé en un « comité des affaires de guerre », ce dernier comité dispose de moyens très importants, hérités de la période territoriale. « L’organisation djihadiste revient donc à sa dimension clandestine qui était celle de l’époque de l’État Islamique d’Irak, avant 2013 ; mais avec une organisation plus aboutie » (4). L’idéologie djihadiste va ainsi perdurer encore quelques temps, renforcée par les jeunes qu’elle a pu atteindre lors de leur scolarisation. Il ne faut pas oublier non plus que le groupe djihadiste Hayat Tahrir al-Cham (1) opère toujours dans la région d’Idlib, où il a exécuté dix partisans de Daech vendredi matin.

Dans ce contexte, la décision de Donald Trump de retirer les troupes américaines de Syrie a considérablement réduit la marge de manœuvre des Occidentaux. Si le revirement de situation, concernant le maintien de 200 soldats américains, permet d’espérer que la Turquie n’attaque pas les FDS pour créer le couloir sécuritaire qu’elle réclame, leur position est de plus en plus fragile face aux forces loyalistes d’el-Assad et à son allié russe. De même, Israël s’inquiète que le départ américain ne profite à l’Iran pour qu’il puisse y renforcer ses positions, notamment via le Hezbollah libanais.

Mais avec cette fin de la campagne contre Daech, se pose surtout la question du retour sur la scène politique du régime syrien. En décembre, les Émirats arabes unis, peu suspects de sympathies envers le régime de Damas, ont réouvert leur ambassade dans la capitale, alors qu’une semaine plus tôt, le président soudanais Omar el-Bachir rendait visite à son homologue syrien. Cependant, si on parle d’un retour de la Syrie dans la Ligue arabe, il n’est toujours pas effectif. Un sommet de la Ligue est prévu à Tunis fin mars. Si l’organisation panarabe a averti qu’il n’y avait pas de “consensus” sur une possible réintégration de la Syrie, elle a toutefois indiqué que cela n’écartait pas “la possibilité d’un changement de la position arabe” (3).

Perspectives :

  • Avec la fin de l’emprise territoriale de Daech, le grand jeu et les tractations vont pouvoir prendre une nouvelle ampleur entre Damas et les FDS, qui occupent un tiers du pays. S’ils sont pour l’instant soutenus par les États-Unis et la France, présents sur place, l’avenir reste sombre, la Turquie attendant le moindre retrait européen pour s’élancer au travers de la frontière.
  • Le retour politique de Damas sur la scène internationale sera corrélé aux réactions égyptiennes et saoudiennes. L’Arabie saoudite a annoncé son intention de rouvrir une ambassade à Damas. Quant au Caire, les contacts sécuritaires se sont accélérés depuis 2016, mais sans rencontre de haut niveau.

Sources :

  1. DUCLOS Michel, État islamique : étrange fin de partie à Baghouz, L’Orient Le Jour, 2 mars 2019.
  2. Syrie : l’assaut final contre l’État islamique a commencé, Le Figaro, 2 mars 2019.
  3. Le retour de la Syrie sur la scène diplomatique, pas à pas, Le Vif Belgique, 28 décembre 2018.
  4. PUXTON Matteo, L’État islamique n’est pas vaincu : il a rebasculé dans l’insurrection, France Soir, 7 février 2019.

Matthieu Caillaud