Berlin. L’association WerteUnion (« Union des valeurs ») a annoncé jeudi 21 février compter parmi ses nouveaux adhérents l’ancien chef du renseignement intérieur Hans-Georg Maaßen (1). L’ex-dirigeant de l’Office fédéral de protection de la constitution avait été mis à la retraite d’office en novembre 2018, notamment pour avoir remis en doute la réalité d’agressions anti-migrants lors de manifestations d’extrême-droite à Chemnitz (Saxe) l’été passé. Jusqu’à la semaine passée, il s’était fait discret. Son retour, désormais, a des goûts de revanche. Car la WerteUnion, qui regroupe des membres de l’aile libérale-conservatrice de la CDU/CSU, s’est distinguée au cours des derniers mois par son discours anti-Merkel et anti-immigration.

Le courant est né d’une opposition à la ligne suivie par la Grande coalition, particulièrement lors de la crise migratoire de 2015. Il entend représenter une ligne « chrétienne, libérale et patriote », opposée aux « idéologies de gauche dominante » et à la « théorie du genre », anti-communiste, sécuritaire et pro-vie (6). Sur le plan européen, il reprend l’argumentaire conservateur post-crise (opposition à toute union de transfert, possibilité d’exclure un État de la zone euro). Sa préoccupation principale reste cependant l’immigration. Selon son Manifeste conservateur, publié en 2018, « l’immigration de masse à partir de 2015 était illégale et nuisible. Il faut donc revenir dessus. […] Étant un pays industriel densément peuplé, l’Allemagne n’est pas adaptée pour accueillir des demandeurs d’asile et des réfugiés. […] » L’association réclame la mise en place d’une politique migratoire réglée exclusivement sur les besoins de main d’œuvre, une politique d’assimilation des immigrés et une discussion critique sur la place de l’islam.

La direction fédérale, menée par Annegret Kramp-Karrenbauer, a jusque-là refusé de reconnaître officiellement la WerteUnion. Mais malgré son discours plus proche de ceux de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD, ELDD) que de la ligne centriste de la chancelière – ou peut-être grâce à lui – ses positions apparaissent comme de moins en moins marginales, particulièrement dans les Länder de l’Est. Le controversé professeur de sciences politiques Werner Patzelt, adhérent de la CDU mais employé comme expert par l’AfD à au moins trois reprises depuis 2015, fait aussi partie des nouvelles recrues (3). Dans la perspective des trois élections régionales qui se tiendront à l’automne, les bons scores de l’AfD et de Die Linke (GUE/NGL) inquiètent. Les tenants d’une ligne droitière se prétendent les meilleurs remparts face à l’extrême-droite. Dans le même temps, leur refus de toute coalition avec la gauche radicale au nom des « victimes du régime est-allemand » pourrait préparer l’avènement d’une coalition droite-extrême-droite sur le modèle autrichien, hier encore inconcevable en Allemagne.

Dans un long discours face à la WerteUnion à Cologne samedi 17 février, Maaßen a présenté son point de vue sur la situation politique nationale, et développé une vision critique de l’histoire de l’après-guerre : « Après la fin de la Seconde guerre mondiale, nous, Allemands, avons oublié de nous préoccuper de notre propre sécurité et de notre propre souveraineté » (4). Consacrant l’essentiel de son discours aux questions de sécurité intérieure, d’immigration, mais aussi à ce qu’il conçoit comme une crise de la démocratie, il a aussi évoqué sa ferme opposition de longue date aux décisions de l’exécutif. Son discours est apparu comme totalement compatible avec le texte du Manifeste conservateur.

Pour Maaßen, membre du parti conservateur depuis l’âge de 16 ans, ce retour sur le devant de la scène pourrait bien annoncer le début d’une nouvelle carrière politique. Le départ programmé d’Angela Merkel, l’évolution des mentalités, les nouveaux équilibres électoraux sont propices à l’affirmation de lignes plus radicales dans le camp conservateur. Quoique considéré comme une modérée dans son camp, la nouvelle chef de la CDU s’est déjà dite favorable lundi à la fermeture des frontières « en dernier recours » en cas de nouvelle crise migratoire (2). Maaßen, qui peut justifier d’une longue expérience au sein de l’appareil d’État et d’un véritable ancrage idéologique, est bien placé pour jouer un rôle dans ce processus. Son opposition frontale à la SPD et aux Verts, qu’il rend responsable de sa chute, pourrait toutefois se heurter à la nécessité pratique de coalitions larges.

Perspectives :

  • 26 mai 2019 : élections européennes en Allemagne.
  • Septembre-octobre 2019 : élections régionales en Saxe, Thuringe et Brandebourg, où l’AfD devrait recueillir entre 20 et 25 % des suffrages.
  • Octobre 2021 : élections fédérales.
  • Début 2022 : départ (envisagé) d’Angela Merkel de la chancellerie.

Sources :

  1. Maaßen und Patzelt werden Mitglieder der Werteunion, Die Welt, 21 février 2019.
  2. EXNER Ulrich, FRIGELJ Kristian, Grenzschließung als „Ultima Ratio“ ? Erste Zweifel im eigenen Lager, Welt, 18 février 2019.
  3. GEORGI Oliver, Maaßen tritt der konservativen „WerteUnion“ bei, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 21 février 2019.
  4. MAASSEN Hans-Georg, Deutschland in Zeiten großer Herausforderungen – Warum es so nicht mehr weiter gehen kann, WerteUnion, 16 février 2019.
  5. Konservatives Manifest der WerteUnion Deutschland, WerteUnion, 7 avril 2018.
  6. Wofür wir kämpfen, WerteUnion, consulté le 23 février 2019.

François Hublet