Berlin. La présence de deux femmes, Annegret Kramp-Karrenbauer (CDU) et Andrea Nahles (SPD), à la tête des partis de gouvernement est depuis novembre dernier un signe manifeste de l’effort de renouvellement engagé par ces derniers pour dépoussiérer leur image. Le réflexe semble salutaire alors que les Verts et l’AfD remettent sérieusement en question la domination de la CDU et du SPD, en investissant avec force des thèmes qui relevaient jusqu’ici de leur domaine d’expertise. Des élections régionales auront lieu à l’automne prochain dans trois Länder de l’Est (Brandebourg, Saxe et Thuringe), dans lesquels les membres de la grande coalition au pouvoir ont tout à perdre face aux écologistes et aux populistes.
Les dirigeants sociaux-démocrates se réunissaient ainsi dimanche dernier à la « Willy-Brandt-Haus » de Berlin, leur siège fédéral. Le SPD a définitivement répudié la politique social-libérale du parti initiée par le chancelier Gerhard Schröder (1998-2005), symbolisée par les lois Hartz I-IV, du nom du ministre du travail de l’époque (1). Le SPD veut faire oublier une réforme qu’elle considère comme la principale source du désaveu des électeurs. Mais il s’agit sans doute plus d’une réforme que d’une révolution (5). Une nouvelle feuille de route en matière de politique sociale, longue de 17 pages, a été approuvée à l’unanimité par le conseil directeur du parti. Elle proclame un droit au travail plutôt qu’un revenu de base universel (une mesure prônée par Die Linke).
Avec ce changement de programme, le SPD espère opérer un recentrage sur une thématique familière, la politique du travail, et dans le domaine social, ou une certaine expertise lui est reconnue. Le papier prévoit ainsi le remplacement des allocations « Hartz IV » par une « allocation civique » (Bürgergeld), qui allonge la durée des droits pour les chômeurs les plus âgés et limite les sanctions et les réductions de prestation pour les plus jeunes. En réalité le nombre de chômeurs n’a jamais été aussi bas en Allemagne depuis vingt ans. Ainsi les sociaux-démocrates ont multiplié les annonces s’adressant aux travailleurs précaires (augmentation à 12 euros du salaire minimum), aux retraités (retraite de base sans conditions), aux actifs dans le domaine tertiaire (droit au travail à la maison) ou encore aux familles (introduction d’une allocation familiale minimum). L’unanimité au sein de la direction du parti est surprenante, alors que le ministre des finances social démocrate Olaf Scholz), tenant de l’orthodoxie budgétaire, signalait il y a deux semaines la menace d’un trou dans le budget de 25 milliards d’euros vers 2023 (2).
La même semaine les chrétiens démocrates ont organisé un « atelier de débat » (Werkstattgespräch) sur la politique des migrants (2). Sous l’égide d’Annegret Kramp-Karrenbauer, mais sans Angela Merkel. Un lapsus amusant a cependant émaillé l’allocution d’ouverture de la soirée. AKK se réjouit de parler ce soir là « pas seulement entre sociaux-démocrates, mais aussi avec nos amis de la CSU », avant de se rattraper « Je voulais bien sûr dire chrétiens-démocrates ». Si la politique menée depuis la crise des migrants de 2015 n’a pas été sérieusement remise en question par les participants, des mesures plus dures ont été évoquées. La présidente du parti n’a pas exclu la fermeture partielle des frontières si une situation de crise similaire venait à se répéter. Kramp-Karrenbauer bénéficiant du confort de n’avoir aucune responsabilité ministérielle, opère ainsi un rapprochement avec les positions de la CSU bavaroise, qui la couvre de louanges (3).
Quel que soit le résultat final de ces débats, le parti apprend à parler sans la chancelière. Ce phénomène d’effacement progressif d’Angela Merkel à la tête du parti est à mettre en relation avec l’accession en septembre 2018 de Ralph Brinkhaus à la tête du groupe parlementaire chrétien-démocrate contre Volker Kauder, qui était le candidat de la chancelière. Cependant cette volonté de chacun des partis de se redonner une identité marquée place une hypothèque sur la grande coalition. Le glissement à gauche du parti social démocrate et le retour apparent à des positions conservatrices de l’Union CDU/CSU affaiblissent surtout Angela Merkel, qui s’efforce depuis 2005 de gouverner le pays au centre.
Perspectives :
- La campagne européenne reste également dans toutes les têtes à cent jours des élections du Parlement de Strasbourg. Markus Söder (CSU), Annegret Kramp Karrenbauer (CDU) et Manfred Weber (candidat du PPE à la présidence de la Commission) ont cosigné une tribune dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung réaffirmant leur attachement au projet européen, conçu pour protéger l’« European Way of life dans un environnement géopolitique incertain » (6).
Sources :
- CASPARI Lisa, Ein neuer Sound soll her, Die Zeit, 10 février 2019.
- Scholz rechnet mit Finanzlücke von 24,7 Milliarden Euro, Die Welt, 04 février 2019.
- „Mutig“ – Dobrindt lobt Kramp-Karrenbauer , Die Welt, 12 février 2019.
- GUNTHER Anja, CDU-« Werkstattgespräch » : Die Abrechnung mit Merkel bleibt aus, Tagesschau, 11 février 2019.
- Sozialstaatsreform : Was will die SPD ?, Tagesschau, 11 février 2019.
- WEBER Manfred, SODER Markus, KRAMP-KARRENBAUER Annegret, Wir stehen gegen die Feinde Europas auf, FAZ, 14 février 2019.
Pierre Mennerat