Stockholm. L’affaire ne pouvait pas tomber plus mal. Le 13 février, la ministre des Affaires Étrangères Margot Wallström présente la priorité diplomatique du nouveau gouvernement suédois : promouvoir la démocratie. Le même jour, la presse suédoise révèle que l’ambassadrice de Suède à Pékin, Anna Lindstedt, a tenté de faire pression sur la fille de Gui Minhai, éditeur sino-suédois actuellement détenu en Chine. Pour revenir rapidement sur les faits, Gui Minhai est né en Chine mais a obtenu la nationalité suédoise. Il est notamment l’auteur d’un ouvrage contenant des révélations sur la vie privée d’un certain nombre de personnalités influentes du Parti communiste, dont le président Xi Jinping. En 2015, alors en vacances en Thaïlande, Gui Minhai était enlevé puis amené en Chine, où il était ensuite contraint de s’humilier publiquement à la télévision chinoise. Deux ans plus tard, il a été libéré mais, alors qu’il se rendait à Pékin en janvier 2018 avec des représentants de l’ambassade de Suède, il a été à nouveau arrêté et est depuis détenu.

La fille du prisonnier, Angela Gui, aurait été invitée à la mi janvier 2019 par l’ambassadrice de Suède à Pékin au cours d’une réunion informelle avec des hommes d’affaire proche du Parti Communiste Chinois, rencontre non autorisée par le ministère des Affaires Étrangères suédois. Au cours de l’entretien, Anna Lindstedt se serait montré menaçante envers Angela Gui, en lui conseillant de garder le silence pour essayer une nouvelle approche afin que son père soit d’abord condamné puis libéré après certain nombre d’années. En échange, Lindstedt garantissait l’octroi d’un visa pour la Chine à Angela Gui. Les médias suédois se sont emparés de l’affaire et accusent désormais la Suède de se montrer trop silencieuse et soumise face à l’emprisonnement d’un de ces ressortissants (3).

Une dégradation des relations qui n’est pas si récente. Déjà en septembre 2018, la Lettre du Lundi écrivait de l’évacuation d’un groupe de trois touristes chinois d’un hôtel de Stockholm (2). Le fait divers avait déclenché une campagne de protestation contre le royaume scandinave dans les médias chinois. Le ministère des Affaires Étrangères chinois avait été jusqu’à recommander aux ressortissants du pays de ne pas se rendre en Suède car il ne pouvait garantir leur sécurité. Beaucoup ont vu dans ces déclarations disproportionnées une réponse aux critiques de la diplomatie suédoise sur le traitement réservé aux prisonniers ouïghours ainsi qu’à l’emprisonnement de Gui Minhai (4).

Les relations entre la Chine et la Suède connaissent une certaine dégradation depuis des années. Le rachat de Volvo par le groupe chinois Geely en 2010 est apparu aux yeux de nombre d’observateurs scandinaves comme une stratégie chinoise visant à utiliser un pays à la population modeste comme la Suède comme un cheval de Troie pour intégrer le marché européen. En septembre 2018, le deuxième forum Chine-Suède s’est tenu à Stockholm pour promouvoir les échanges entre les deux pays mais aussi mettre en place une des fameuses « nouvelles routes de la soie » voulue par le gouvernement chinois. En l’occurrence, celle-ci reliera Insjön au Dalarna à Guangzhou dans l’Est de la Chine, via Göteborg et Hambourg (5). Une initiative critiquée en Suède en raison de la dépendance de plus en plus grande que le pays entretient vis à vis de la Chine. Au mois de janvier, l’Agence de sécurité de la Défense suédoise (FOI) s’est déclarée favorable à l’exclusion du géant chinois des télécommunications Huawei du marché public de la couverture 5G sur le territoire suédois. Une décision déjà prise par le Canada et la Norvège. La FOI a aussi rappelé le risque que la grande station radar de Kiruna, dans la zone arctique suédoise, actuellement gérée dans le cadre d’une coopération civile avec la Chine, tombe dans l’escarcelle militaire. Selon l’agence, la Chine pourrait utiliser cette station à des fins de renseignement militaire au cas où les satellites chinois en seraient empêchés (1). Pour certains éditorialistes, « la Suède se réveille face au défi chinois ». Des assertions qui sont bien entendu balayées d’un revers de main par l’ambassadeur de Suède en Chine, qui parle de « déclarations irresponsables ».

Sources :

  1. ELMER Keegan, Chinese embassy in Sweden hits out at ‘totally irresponsible’ security threat claims, South China Morning Post, 19 janvier 2019.
  2. GAUCHET Thomas, Crise diplomatique entre la Suède et la Chine, La Lettre du Lundi, 7 octobre 2018.
  3. HANSSON Wolfgang, Glöm inte den verkliga skandalen, Aftonbladet, 14 février 2019.
  4. LOCKIE Alex, China and Sweden enter bizarre feud after tourists throw themselves on ground claiming ‘brutal’ murder attempt, Business Insider, 18 septembre 2018.
  5. WONG Ola, Så avgörs vår skogs framtid av Kina : ”Liten bricka”, Svenska Dagbladet, 9 février 2019.

Thomas Gauchet