Berne. La convention signée par l’association patronale Swissmessengerlogistic SML et le syndicat Syndicom offre des garanties aux coursiers à vélo : un salaire minimal annuel de 45000 à 48000 francs suisses, des suppléments pour le travail le dimanche et les heures supplémentaires, une semaine de travail de 42,5 heures, la planification des services, des arrêts maladie et un congé paternité (3).

Si la CCT sera valable pour une durée indéterminée, ses dispositions ne seront pas contraignantes (1). La convention ne bénéficiera donc qu’aux employés d’entreprises affiliées à l’association patronale SML, soit seulement 600 personnes. Si le Conseil fédéral ou le Conseil d’État la déclarait de force obligatoire, la CCT pourrait cependant s’appliquer à l’ensemble des employés et employeurs de la branche. En attendant, le président de l’association professionnelle SML, Hans Ulrich Köhli, encourage les autres entreprises du secteur à adhérer à la convention. À moyen terme, le nombre de salariés concernés par la CCT pourrait être porté à 1000, et à 2000 sur le plus long terme (2).

Toutefois, même si la CCT était déclarée de force obligatoire, les travailleurs de plateformes resteraient exclus du champ d’application de la convention. En effet, ils ont le statut d’autoentrepreneur et la requalification de leur contrat en un contrat de travail par le juge n’est pas une évidence. Par conséquent, si le nombre de travailleurs de plateformes numériques augmente de façon importante en Suisse, un nombre significatif de coursiers restera sans protection.

La CCT intervient à un moment où les leaders mondiaux de la livraison de plats n’ont pas encore véritablement conquis le marché suisse : la plateforme UberEats n’est arrivée en Suisse qu’en novembre 2018 ; la plateforme Deliveroo ne s’est pas encore implantée ; seules des plateformes comme Smood et Eat, qui ne sont pas des multinationales, sont solidement implantées. Il s’agit donc de préserver le salariat pour que l’auto-entreprenariat ne devienne pas la norme. Si l’association patronale SML a été encline à accorder des avantages aux coursiers d’entreprises affiliées, cela s’explique essentiellement par la concurrence des plateformes en ligne.

La CCT est vue par les signataires comme un moyen de responsabiliser les plateformes numériques et de lutter contre le dumping social qu’elles pratiquent (4). En effet, les plateformes en ligne recrutent des coursiers à vélo en tant qu’autoentrepreneurs bien qu’en pratique, ils n’aient pas de véritable autonomie. Cela leur permet d’économiser les charges salariales et de proposer des prestations à moindre coût mais signifie une plus grande précarité pour les coursiers à vélo. Sur le long terme, cela peut aussi conduire à la fin du salariat : les entreprises payant des charges salariales ne peuvent plus faire face à la concurrence des plateformes numériques. La CCT montre ainsi que le travail a un coût et que l’auto-entreprenariat et la précarité qui va avec, ne vont pas de soi dans le domaine de la livraison de repas. Cela permet de rompre avec la logique du moins-disant, qui consiste pour une entreprise à réduire le coût de la main-d’œuvre et la qualité du service pour se mettre au diapason avec ses concurrents. Les entreprises affiliées à l’association patronale SML se sont engagées à ne pas diminuer la masse salariale par poste à plein temps (2).

La convention est une première en Europe, où peu de mesures sont prises pour protéger les coursiers à vélo et pour leur accorder des avantages similaires à ceux des salariés. La CCT vise seulement à renforcer les avantages des salariés ; le secteur de la livraison de repas à domicile n’est pas encore régulé : les plateformes numériques sont libres de recruter des coursiers en tant qu’autoentrepreneurs. La CCT montre néanmoins que les coursiers à vélo représentent une catégorie professionnelle à part entière et qu’il est possible de leur accorder de meilleures garanties. Ainsi, la CTT peut inciter les législateurs dans les pays européens à réguler les plateformes numériques ou en tout cas fournir un argument supplémentaire à ceux qui militent en faveur d’une telle régulation.

Perspectives :

  • La CCT offrira de meilleures garanties aux coursiers à vélo employés par une entreprise affiliée à l’association patronale SML.
  • Si la CCT est déclarée de force obligatoire, elle bénéficiera alors à tous les coursiers à vélo salariés.
  • Il reste nécessaire de réguler le secteur de la livraison de repas à domicile en Suisse et en Europe, afin que tous les coursiers à vélo aient des garanties minimales. La CTT conclue en Suisse peut servir d’argument pour ceux qui militent en faveur d’une telle régulation.

Sources :

  1. Les coursiers à vélo suisses auront leur CCT, et un salaire minimal de 20 francs, Le temps, 05/02/2019.
  2. Dès mai, les coursiers à vélo auront une convention collective de travail, RTS, 05/02/2019.
  3. CCT pour les coursiers à vélo en Suisse, Tribune de Genève, 05/02/2019.
  4. Première convention collective de travail en Europe pour les coursiers à vélo, Syndicom, 05/02/2019.

Ingrid Kis