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La liberté contre la démocratie

Les menaces qui troublent le repos des démocraties ne viennent pas seulement dans le sillage des républiques autoritaires : Peter Thiel, libertarien convaincu, membre du conseil d’administration de Facebook, prêche la fin de l’État.

Archives et discours Peter Thiel

Le 13 avril 2009, dans la revue libertarienne en ligne Cato Unbound, Peter Thiel – fondateur de PayPal et membre du conseil d’administration de Facebook – développe une synthèse de ses idées libertariennes, cette philosophie politique radicale fondée sur la liberté et la défiance vis-à-vis de toute intervention de l’État dans la vie sociale. Après être revenu sur son parcours intellectuel et avoir dépeint une modernité jugée menaçante, il croque les grandes lignes d’un plan censé défendre la liberté, « cette liberté qui rend le monde sûr pour le capitalisme ».

De telles idées, placées dans des mains aussi puissantes (Forbes estime, au 16 février 2019, sa fortune à quelque 2,5 milliards de dollars), doivent poser de réelles questions. En prendre conscience et mesurer l’ampleur, tant de la radicalité des propos que du ton décomplexé, devient alors une nécessité pour une meilleure compréhension des rapports de force politiques contemporains.

Au demeurant, si, contrairement aux États-Unis où il existe même un influent Libertarian Party, il est fort rare d’entendre en France de telles idées, publiquement du moins, la question n’en est pas pour autant si lointaine : en 2017, une conférence internationale était organisée par le Seasteading Institute en Polynésie Française, se proposant « d’aborder des sujets variés liés aux technologies, à la législation et aux processus qui faciliteront la création des premières îles flottantes en Polynésie Française », et à laquelle participait notamment Edouard Fritch, Président de la Polynésie Française. Il ne s’agit pas seulement de rhétorique : une société, Blue Frontiers, fondée par le Seastanding Institute, travaille activement à un tel projet en Polynésie Française, bien que celui-ci ait déjà connu quelques revers.


L’éducation d’un libertarien, 2009, Peter Thiel

Je reste attaché aux convictions de mon adolescence : l’authentique liberté de l’Homme est la condition nécessaire du bien suprême. Je m’érige contre les impôts confiscatoires, le totalitarisme du collectif, et l’idéologie de l’inévitabilité de la mort de chaque individu. Pour toutes ces raisons, je continue de me considérer « libertarien ».

En juillet 2004, Peter Thiel organisa avec René Girard, professeur à l’Université de Stanford, un séminaire consacré au thème « Politique et Apocalypse ». Comme le déclare l’investisseur milliardaire, « Des choses cachées depuis la fondation du monde de Girard a eu une extraordinaire influence sur ma vie ».

Dans Des choses cachées depuis la fondation du monde, Girard expose comment l’hybris de Lucifer dissout l’ordre cosmique reposant sur l’autorité du Père. Chacun devient à la fois un dieu pour lui-même et un rival pour les autres. Une spirale d’envie, de conflit et de violence concentrée sur des boucs émissaires se déchaîne. L’eschatologie de Girard résonne avec la critique que Platon donne de la démocratie dans sa République, selon laquelle la Liberté et l’Égalité ouvrent la voie à la Tyrannie. La solution de Platon est une société faite de limites et gouvernée par le despotisme éclairé des rois philosophes et leur caste des Gardiens. Celle de Girard est similaire : la propension à la violence liée à la rivalité mimétique peut être limitée en élevant un ou plusieurs Sujet(s) très au-dessus des autres sujets : un médiateur externe, qui ne peut être envié mais seulement vénéré, étouffe la rivalité mimétique et restaure l’ordre.

Mais je dois confesser que, durant les deux dernières décennies, j’ai radicalement changé mon opinion sur la manière de parvenir à ces objectifs. Plus important encore, je ne crois plus désormais que la liberté et la démocratie sont compatibles. En retraçant le développement de ma pensée, j’espère pouvoir cerner certains défis auxquels sont confrontés aujourd’hui tous les libéraux classiques.

Thiel est un ultra-libertaire, partisan du transhumanisme et opposé à l’égalitarisme. Selon lui, la seule chose qui met les hommes sur un pied d’égalité est que nous mourrons tous. Il a donc investi dans la recherche sur la « parabiose » (nom savant conféré à la transfusion de sang de jeunes personnes dans des organismes plus âgés), la Fondation Methuselah et d’autres projets comparables visant à « inverser le vieillissement ». Thiel prend tout autant au sérieux et attend avec impatience l’arrivée de la « singularité », une interface neurologique et informatique qui téléchargerait l’esprit et lui garantirait « l’immortalité numérique ».

Dans le paradigme platonico-girardien, pendant l’interrègne entre la démocratie décadente et la restauration d’une néo-monarchie despotique et éclairée, la rivalité mimétique entre ceux qui sont égaux formellement mais non substantiellement s’intensifie.

Quand j’étais étudiant de philosophie de premier cycle à Stanford à la fin des années 1980, j’ai été naturellement attiré par des débats où des concessions mutuelles sont possibles et j’avais la volonté d’instaurer la liberté par des moyens politiques. J’ai lancé un journal étudiant pour défier la doxa en vigueur sur le campus ; nous avons eu quelques victoires limitées, notamment en défaisant les codes de la parole institués par l’université. Mais, globalement, nous n’avons pas obtenu tant de réussites que cela au regard des efforts déployés. Tout cela ressemblait à la guerre des tranchées sur le front de l’ouest durant la Première Guerre mondiale : il y a eu beaucoup de massacres, mais nous n’avons pas déplacé le centre du débat. Avec du recul, nous prêchions principalement des convertis – même si cela a eu l’important bénéfice collatéral de convaincre les convertis de continuer à pratiquer pour le reste de leurs vies.

En tant que jeune avocat et trader à Manhattan dans les années 1990, j’ai commencé à comprendre pourquoi tant de personnes étaient désillusionnées après l’université. Le monde paraît trop grand. Plutôt que de combattre l’implacable indifférence de l’univers, nombre de mes pairs les plus sains d’esprit ont battu en retraite pour s’occuper de leurs petits jardins. Plus on a un quotient intellectuel (« QI ») élevé, plus on est pessimiste à propos de la politique du libre marché – le capitalisme n’est tout simplement pas populaire auprès du commun des mortels. Parmi les plus intelligents des conservateurs, ce pessimisme s’est souvent traduit par une héroïque consommation d’alcool ; les libertariens les plus intelligents, en revanche, se sont bien moins préoccupés du droit positif et se sont échappés non seulement dans l’alcool mais aussi au-delà.

A travers cet essai, Peter Thiel expose sans ambage une stratégie politique offensive, dans un monde perçu comme le théâtre d’une véritable guerre idéologique. Dans ce plan, les innovations technologiques – numériques, notamment les réseaux sociaux, transhumanistes, spatiales et maritimes – y deviennent les armes d’un projet politique où la démocratie n’a plus sa place.

A cet égard, l’inscription éditoriale de l’essai est éloquente, puisque l’investisseur répond à un autre essai, publié dans la même revue, de Patri Friedman, où le petit-fils de l’économiste Milton Friedman expose notamment les travaux du Seastanding Institute, fondé par les deux hommes. Cet institut développe l’ambition de « réimaginer la civilisation » en expérimentant de nouvelles formes de gouvernances libérales dans des villes flottantes construites dans ce but. Des cités orwelliennes et démesurées qui participent pour les deux fondateurs d’un projet politique bien réel.

Si l’on se transporte jusqu’en 2009, les perspectives pour une politique libertarienne apparaissent en effet bien sombres. La première pièce à conviction est une crise financière causée par un endettement et un effet de levier trop important, facilités par un gouvernement qui s’assurait contre toutes sortes d’aléas moraux – et nous savons que la réponse à la crise implique encore plus de dettes et d’effets de levier, et encore plus de gouvernement. Ceux qui ont plaidé pour le libre marché ont crié à la tempête. Les événements de ces derniers mois ont enterré les derniers espoirs des libertariens qui entendaient agir sur le plan politique. Pour ceux d’entre nous qui étaient libertariens en 2009, notre éducation s’est parachevée quand nous avons compris que l’éducation du corps politique était devenue vaine et illusoire.

Peter Thiel prend très au sérieux la prospective et s’intéresse en particulier à  la possibilité de l’effondrement de l’État providence et de la fin de la démocratie. Cette perspective est anticipée avec enthousiasme par David Dale Davidson et Lord William Rees-Mogg dans The sovereign individual : how to survive and thrive during the collapse of the welfare state, un autre ouvrage dont Thiel admet qu’il l’a fortement influencé. A noter que Lord William Rees-Mogg est le père de Jacob Rees-Mogg, député conservateur, président du European Research Group et l’un des chefs de file des Brexiteers.

Ce qui me rend d’ailleurs plus pessimiste encore, c’est que la tendance va dans le mauvais sens depuis longtemps. Pour en revenir à la finance, la dernière dépression économique aux États-Unis qui n’a pas déclenché une intervention massive du gouvernement était la crise de 1920-1921. Elle fut très aiguë mais courte, et elle entraîna la sorte de « destruction créatrice » schumpétérienne2 qui peut aboutir à un véritable boom.

Le concept de « destruction créatrice » a été popularisé par l’économiste Joseph Schumpeter dans Capitalisme, Socialisme et Démocratie en 1942. Selon lui, le développement capitaliste normal repose sur une succession d’innovations qui créent de nouveaux secteurs et voient concomitamment les secteurs devenus obsolète disparaître.

La décennie qui a suivi – les folles années 1920 – fut si forte que les historiens ont oublié que c’est une dépression économique qui l’a inaugurée. Les années 1920 furent la dernière décennie dans l’histoire américaine où l’on pouvait être parfaitement optimiste à propos de la politique. Depuis 1920, l’augmentation considérable des bénéficiaires de l’aide sociale et l’extension du droit de vote aux femmes – deux coups notoirement durs pour les libertariens – ont fait de la notion de « démocratie capitaliste » un oxymore. Face à ces réalités, n’importe qui désespérerait s’il limitait son horizon au monde de la politique. Je ne désespère pas car je ne crois plus désormais que la politique contienne tous les futurs possibles de notre monde. Aujourd’hui, la grande tâche des libertariens est de trouver un moyen d’échapper à la politique sous toutes ses formes, que ce soient les catastrophes totalitaires ou fondamentalistes ou le demos irréfléchi qui guide la soi-disante « démocratie sociale ».

La question centrale devient alors une question de moyen : comment trouver une issue, non pas en suivant la voie politique, mais en allant au-delà ? Parce qu’il n’y plus d’endroits réellement libres dans notre monde, je soupçonne que le mode d’évasion implique quelques moyens nouveaux et jusqu’ici inexplorés, qui nous conduiront vers des contrées inconnues ; et pour cette raison, j’ai focalisé mes efforts sur les nouvelles technologies qui pourraient créer de nouveaux espaces pour la liberté. Permettez-moi d’évoquer rapidement trois de ces frontières technologiques.

(1) Cyberespace. En tant qu’entrepreneur et qu’investisseur, j’ai focalisé mes efforts sur Internet. A la fin des années 1990, l’idée qui a dirigé PayPal était la création d’une nouvelle devise mondiale, libre de toute dilution et de tout contrôle gouvernemental – la fin de la souveraineté monétaire, en quelque sorte. Dans les années 2000, des entreprises comme Facebook ont créé des espaces pour de nouveaux modes de dissidence et de nouvelles voies pour former des communautés qui ne soit pas bornées par les États-nations historiques. En créant une nouvelle entreprise numérique, un entrepreneur peut créer un nouveau monde. L’espoir que porte Internet est que ces nouveaux mondes vont influencer et forcer des évolutions des ordres sociaux et politiques existants. La limite d’Internet est que ces nouveaux mondes sont virtuels et que toutes les évasions pourraient s’avérer plus imaginaires que réelles. La question en suspens, qui ne sera pas résolue avant des années, est de savoir laquelle de ces hypothèses concernant Internet sera vérifiée.

Zuckerberg et les autres hackeurs, codeurs et start-uppeurs de Stanford développaient Facebook lorsque Thiel a importé sa connaissance du pouvoir (et du danger) de la mimésis depuis les pages de Girard jusqu’à la Silicon Valley. Dans la « communauté en ligne » de Facebook, tous les participants sont mis sur un pied d’égalité et standardisés sur une plate-forme d’utilisateurs commune, de sorte qu’ils deviennent instantanément comparables les uns aux autres, modèles et rivaux dans la consommation ostentatoire. Cette situation accélère le commerce en ligne facilité par Paypal (la première start-up de Thiel) et la concurrence pour les likes. Ayant compris que Facebook était une machine capable de générer et d’amplifier le désir mimétique jusqu’à l’avidité la plus absolue, Thiel a fourni 500 millions de dollars comme capital de départ.

Thiel a ainsi capitalisé sur le don prométhéen de Girard en amorçant le financement du réseau Facebook, qui est immédiatement devenu la machine accélératrice et amplificatrice de la révolution des médias sociaux. Une machine alimentée par le désir et dégageant un flux d’envie toxique alimenté par le mécanisme du bouc émissaire ; une machine de « pouvoir / savoir » qui confère la puissance d’accumuler plus de savoir sur les utilisateurs (big data), convertible en encore plus de puissance. L’autre grande aventure entrepreneuriale de Thiel a été Palantir, une importante société de data mining dont le principal client est la CIA. Les auditions au Congrès des Etats-Unis et au Parlement européen sur le rôle de Facebook et de Cambridge Analytica dans l’élection de Trump et le succès du Brexit révèlent simplement comment des puissances intrinsèques au moteur mimétique de Facebook peuvent devenir des armes politiques.

(2) L’espace extra-atmosphérique. Parce que les vastes étendues spatiales représentent un potentiel de conquêtes illimité3, l’espace ouvre également des possibilités infinies pour échapper à la politique mondiale.

Peter Thiel utilise le terme de frontier  : cette notion, explicitée dans le fameux essai de Frederick Jackson Turner, The Significance of the Frontier in American History (1893), joue un rôle central dans la représentation nationale américaine. La frontier, au départ celle toujours plus à l’Ouest de la conquête des terres américaines, est cette limite imaginaire, toujours à l’horizon, qui défie en permanence, et qui forge en retour, le destin américain. Sa charge symbolique est régulièrement remobilisée, que ce soit durant les années 1970 à propos de la conquête spatiale, ou plus récemment dans le domaine du cyberespace.

Mais cette frontière (frontier) finale a encore une barrière à l’entrée4 : les technologies des fusées ont connu seulement des avancées modestes depuis les années 1960, et l’espace demeure toujours presque impossible à atteindre. Nous devons redoubler d’efforts pour commercialiser l’espace, mais nous devons aussi être réalistes quant au temps que cela prendra. Le futur libertarien des classiques de la science-fiction, à la Heinlein, n’arrivera pas avant la seconde moitié du XXIe siècle.

L’expression « barrière à l’entrée » est une référence économique : il s’agit des obstacles qui limitent l’entrée d’un agent économique sur un marché donné. Par exemple, l’entrée sur le marché du transport ferroviaire d’une entreprise nécessite de très lourds investissements initiaux, rendant la pénétration de ce marché difficile.

(3) Seasteading. Entre le cyberespace et l’espace, il y a la possibilité de coloniser les océans. A mon avis, la question de savoir si les gens y vivront (réponse : il y en aura toujours assez) est secondaire par rapport à la question de savoir si les technologies qui le permettront seront prochainement disponibles. Depuis ma position de surplomb, il me semble que les technologies nécessaires sont aujourd’hui plus tâtonnantes que celles d’Internet, mais beaucoup plus réalistes que le voyage spatial. Nous avons peut-être atteint le stade où cela est économiquement faisable, ou nous atteindrons bientôt. C’est un risque acceptable, et c’est pour cette raison que je soutiens avec enthousiasme cette initiative5.

Conscient du caractère explosif des forces qu’il a aidé à libérer et de la fission sociale qu’elles pourraient produire, Thiel a investi dans des silos ICBM désaffectés après la guerre froide pour les rénover et les transformer en « bunkers pour milliardaire ». A titre de refuge personnel, il possède un ranch de plus de 3000 hectares en Nouvelle-Zélande. Toujours dans le Pacifique Sud, en Polynésie française, Thiel et les sea-steaders (parmi lesquels se trouve Patri Friedman, le petit-fils de Milton) sont en train d’édifier une communauté ultra-libertaire et fondée sur les idées de Hayek, Friedman et Nozick1, sans Etat, sans gouvernement, sans impôts : une utopie néolibérale du Marché Libre.

Friedrich Hayek, David Friedman (le fils de Milton) et Robert Nozick sont les principaux fondateurs du libertarisme, avec notamment les ouvrages (par ordre de citation) Droit, législation et liberté (1973), Vers une société sans État (1973) et Anarchie, État et utopie (1974). Cf. Caré Sébastien, « Racines théoriques du libertarianisme américain », Cités, 2011/2 (n° 46), p. 133-139. DOI : 10.3917/cite.046.0133.

Le futur de la technologie n’est pas pré-déterminé, et nous devons résister à la tentation d’un utopisme technologique, à l’idée que la technologie a une destinée ou une volonté propre, qu’elle nous garantira un futur plus libre, et que donc nous pouvons ignorer le terrible axe politique du mal qui pèse sur notre monde.

Mais quelle est la finale que Thiel envisage ? Pour le savoir, nous ne pouvons que spéculer et extrapoler à partir des influences intellectuelles de Thiel et de sa vision ultra-libertaire du monde. Pour un élève néolibéral de Girard et Platon, peut-être s’agit-il d’une restauration néo-monarchiste qui réussira par la création, entre une nouvelle élite et les masses, d’un insurmontable écart matériel et symbolique. Cet écart serait maintenu par une caste militaire autoritaire de Gardiens, qui, équipés des dernières nouveautés technologiques militaires et sécuritaires, garderaient en ordre les masses comme des chiens de berger.

Une meilleure métaphore est que nous sommes engagés dans une course mortelle entre la politique et la technologie. Le futur sera bien meilleur, ou bien pire mais cette question du futur reste en effet extrêmement ouverte. Nous ne savons à quel point cette course est serrée, mais je soupçonne qu’elle peut être très serré, et même jusqu’à la fin. Contrairement au monde de la politique, les choix individuels peuvent encore être primordiaux dans le monde de la technologie. Le sort de notre monde pourrait dépendre des efforts d’une seule personne qui construit ou propage les rouages de la liberté, cette liberté qui rend le monde sûr pour le capitalisme.

Thiel a été membre de l’équipe de transition de Trump. Il se peut qu’il considère Trump comme un pion à sacrifier lors de la finale, sorte de cirque apocalyptique dans lequel il joue au « Grand Dictateur » mais n’est en vérité que le « grand distracteur » ! Dans ce scénario, Trump sera finalement désigné comme bouc émissaire et sacrifié parce qu’il échouera à « rendre sa grandeur à l’Amérique » pour ces masses dont la situation continue de s’éroder, tout en ayant accéléré les réductions d’impôts et le transfert des richesses au profit des super-riches. Pour l’instant, Trump est un pion utile dans la finale historique de la révolution néolibérale. La violence sacrificielle (symbolique et légale) qui sera infligée à Trump consacrera les fondements d’une nouvelle monarchie et consolidera le business as usual du néolibéralisme comme « nouvelle norme  ».

Pendant l’interrègne (en fait, la situation actuelle : nous savons déjà que Trump est un roi raté), le business as usual d’un néolibéralisme en apparence moins extrême apparaît sous un meilleur jour : les vassaux de moindre rang du Canada, de la France et de l’Irlande (Trudeau, Macron, Varadkar) et consorts paraissent établir des modèles de politique raisonnable, libérale, progressive et civilisée, en contraste avec Trump. Cela masque qu’ils sont faits de la même étoffe néolibérale.

De même, les convulsions du Brexit et la crise (stasis) que traverse Westminster, la « Mère des Parlements », sont des signes avant-coureurs de la fin de la Démocratie. Dans le même temps, les modèles sociaux-démocrates rhénans et scandinaves se trouvent répudiés et remplacés par des accords de libre-échange de troisième génération, qui font des firmes transnationales des « citoyens » à même de s’affranchir des impôts et des réglementations. La finale permet de passer de l’accaparement de la loi à celui de l’Etat : la Société est mise échec et mat ; le Marché l’emporte !

Pour ces raisons, nous devons tous souhaiter à Patri Friedman le meilleur dans son extraordinaire expérience.

Crédits
Kieran Keohane est professeur de sociologie à l’Université de Cork (Irlande).

Source de l'illustration : Une oeuvre d'art, construite pour l'occasion, est brûlée chaque année à la fin du festival Burning Man, durant lequel une véritable ville, affranchie de la contemporanéité, émerge dans le désert du Nevada. Patri Friedman y participe régulièrement. By Peretz Partensky from San Francisco, USA - Temple on Fire, CC BY 2.0, Wikimedia Commons.
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