Bangui. Après 10 jours de négociations au Soudan, un accord de paix a été conclu à Khartoum entre le gouvernement de Bangui et 14 groupes armés (2). Le document a été signé le 6 février dans la capitale de la République centrafricaine. Toutefois, abstraction faite des appels à la transparence, l’accord reste un mystère, notamment en ce qui concerne les concessions spécifiques faites par le Président Touadéra aux groupes armés signataires. C’est pour cette raison qu’au cours des dernières heures une partie de l’opinion publique et du journalisme local s’est fortement prononcée contre l’accord (3). Les deux points focaux, l’amnistie et les armements, ont été traités, mais il faudra examiner la dynamique de long terme pour voir si le texte apportera la stabilité souhaitée au pays. Surtout que le Conseil de sécurité des Nations Unies envisage d’assouplir certains des piliers du régime de l’embargo sur les armes (1).
L’accord Khartoum est le huitième accord d’une longue série. Parmi les précédents, les deux principaux, Brazzaville (2014) et Libreville (2017), avaient conduit à une simple cristallisation des fronts de guerre, avec des régions partiellement stabilisées, dans un pays largement touché par une forte crise humanitaire. Le président de la République Centrafricaine Faustin-Archange Toudéra, en quête de légitimité internationale, a mené les négociations en cherchant à inclure les différents acteurs, comme le souhaitaient les différentes organisations internationales et régionales présentes (surtout l’Onu et l’Ua) (5). Les projets de médiation et de cooptation des groupes paramilitaires sont au centre d’un débat féroce, marqué par les préoccupations concernant l’amnistie accordée aux criminels de guerre. La crainte exprimée par une partie de l’opinion publique locale est de voir leur propre système judiciaire affaibli et incapable de poursuivre les coupables de crimes de guerre, d’accélérer le processus d’effondrement de l’État et d’aggraver la crise humanitaire (3) : on craint qu’ »amnistie » soit synonyme d' »impunité ».
Du point de vue de l’exécutif de Bangui, cette négociation était particulièrement importante en ce qui concerne la sécurité militaire des institutions étatiques fragiles. C’est la raison pour laquelle Touadéra s’est principalement concentré sur les processus de désarmement et sur l’embargo sur les armes, qui pourrait toutefois être assoupli (1). En effet, contrairement à ce qui était prévu avant les négociations de Khartoum, le Conseil de sécurité des Nations Unies pourrait penser à un assouplissement du régime de l’embargo sur les armes.
Les raisons d’un tel changement de perspective sont liées à l’évolution des conditions sur le terrain : en 2018, le commerce des armes s’est uni à l’achat et à la vente d’autres produits (la drogue avant tout). Ces traffics s’orientent principalement dans trois directions : l’est (Soudan et Sud Soudan), le nord (bassin du lac Tchad) et l’ouest (République du Congo) (4). Les phénomènes de contrebande d’armes, notamment de Salw (Small Arms and Light Weapons, armes légères et de petit calibre), ont conduit à définir de nouveaux réseaux qui ne sont plus liés à la dynamique du conflit Seleka/Anti-Balaka. La privatisation de la violence, avec la montée relative des seigneurs de guerre, a entraîné un changement en termes d’armement et de recrutement. Dans ce contexte est née l’idée de repenser l’embargo sur les armes, avancée par les autorités nationales, soutenue par la Russie et, en partie, par la France et l’Union européenne (présente avec une mission de formation spécifique, l’Eutm) (4). Le Conseil de sécurité de l’Onu, qui a toutefois renouvelé pour un an le 31 janvier les sanctions en République centrafricaine, pourrait reculer sur certains points. En effet, l’ouverture de nouveaux camps d’entraînement et les défis posés par la nouvelle dynamique de la guerre pourraient conduire à des concessions temporaires aux Forces Armées Centrafricaines (FACA) (1).
Cependant, il existe un risque que cette militarisation légalisée ne conduise qu’à une diffusion tout aussi marquée du matériel d’armement. En l’absence d’un véritable programme de cooptation des forces paramilitaires dans l’armée nationale, le problème concerne davantage la stabilité des différentes factions présentes dans les forces armées que le niveau technologique disponible, qui s’est cependant amélioré grâce à une coopération militaire avec Moscou et Paris (4). En outre, l’absence d’un cadre de sanctions pour ceux qui violent l’embargo pourrait aggraver la situation.
Perspectives :
- 15 novembre 2019 : fin du mandat de la mission Minusca en République centrafricaine.
- Janvier 2020 : expiration du nouveau régime d’embargo de l’Onu contre la République centrafricaine.
Sources :
- UN sets course towards easing CAR arms embargo, AlJazeera, 31 janvier 2018.
- Central African Republic, 14 armed groups reach peace deal in Khartoum, Arab News, 2 février 2019.
- COUTEAU Frédéric, A la Une : le huitième accord de paix en Centrafrique, Rfi, 7 janvier 2019.
- ESMENJAUD Romain, Letter dated 14th December 2018 from the Panel of Experts on the Central African Republic established pursuant to resolution 2399 (2018) addressed to the President of the Security Council, UN Security Council, 14 décembre 2018.
- UN calls for support to implement Central Africa’s newly minted peace agreement, UN News, 2 février 2019.
Alessandro Rosa