Londres. Depuis la crise de 2008, l’évolution des salaires réels – stagnants, en faible augmentation ou en baisse dans la plupart des pays membres (2) – est au centre des inquiétudes des citoyens et dirigeants européens. Ces dernières années, une littérature économique a identifié la concentration de l’emploi dans un nombre de plus en plus restreint d’entreprises comme possible cause de la stagnation des salaires. La concentration de l’emploi – dans les situations dites de monopsones, où il y a beaucoup d’offreurs de travail (des travailleurs potentiels) mais peu de demandeurs – donne aux entreprises une plus grande capacité à fixer les salaires, parce qu’il est alors plus difficile pour les travailleurs de trouver une alternative. Cela s’explique par des raisons géographiques (Sochaux à l’époque où elle était construite autour de l’usine Peugeot par exemple) et plus généralement, de nos jours, par l’existence d’entreprises de plus en plus grandes qui deviennent de facto les principaux recruteurs sur le marché du travail.

Un article publié récemment (4) montre, à partir de données britanniques sur les vingt dernières années, que la concentration de l’emploi réduit effectivement les salaires quand les travailleurs ne sont pas couverts par des accords syndicaux. Ainsi, bien que le niveau moyen de concentration soit resté stable au Royaume-Uni – contrairement aux États-Unis, où il a augmenté – la baisse de popularité des accords salariaux collectifs sur cette période a rendu les salaires plus sensibles à la pression entraînée par la concentration.

Cette littérature économique, pour la deuxième fois appliquée à un pays de l’Union Européenne (après le Portugal (3) en 2016), donne de nouveaux éléments aux pays de l’Union dans la conception de leurs politiques de concurrence : un pouvoir de marché trop important peut entraîner un rapport de force défavorable pour les travailleurs dans les négociations salariales, et les accords salariaux collectifs sont dans ce contexte un garde-fou précieux.

Perspectives :

  • Le développement de ce nouveau pan de la littérature pose la question des solutions à mettre en place : décourager la concentration de l’emploi en contrôlant le placement des entreprises ? Subventionner la mobilité des travailleurs, au risque de désertifier certains territoires ? Mieux protéger les travailleurs (à travers le salaire minimum, la protection de l’emploi, le renforcement du rôle des syndicats) ?

Sources :

  1. BENMELECH Efraim, BERGMAN Nittai et KIM Hyunseob, Strong employers and weak employees : How does employer concentration affect wages ?, NBER Working Paper, 2018.
  2. European Trade Union Institute, Benchmarking Working Europe 2018, AMECO.
  3. FÉLIX Sonia et PORTUGAL Pedro, Labor Market Imperfections and the Firms’ Wage Setting Policy, IZA (Institute of Labor Economics), 2016.
  4. TENREYRO Silvana, ABEL William, THWAITES Gregory, « Monopsony in the UK”, CEPR Discussion Paper, 2018.

Léopold Gosset