Sestri Levante. L’Italie a annoncé le 26 janvier avoir mis à l’eau une nouvelle Frégate multi-missions (FREMM), baptisée Spartaco Schergat, dans le contexte d’un programme en coopération avec la France lancé en 2005. C’est la neuvième frégate de ce type qui est lancée côté italien, sur les dix qui ont été commandées depuis le lancement, tandis que de son côté, la France possèdera huit frégates à terme.

Avec l’ambition de remplacer plusieurs bâtiments de surface vieillissants dans le cadre d’un partenariat bilatéral pour mutualiser une partie des coûts, un programme conjoint a été lancé en 2005 par la France et l’Italie sous la férule de l’OCCAR européen (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement). C’est Naval Group qui est en charge de produire les frégates françaises, et un consortium italien entre Leonardo et Fincantieri doit produire les frégates italiennes.

La perspective de réduction des coûts a poussé la France et l’Italie à participer à ce qui s’annonçait comme le plus grand programme naval de coopération européenne (4). La réduction des coûts pourrait être favorisée par une série de facteurs : la fabrication en série d’un grand nombre de frégates de même type (27 frégates au total), réduisant le coût unitaire de 30 % ; une forte productivité ; le maintien en condition opérationnelle optimisé, par l’homogénéisation de la flotte ; et une automatisation très poussée.

Concrètement, la coopération franco-italienne devait permettre de dégager des “synergies” pour la définition des navires, le développement et les achats des équipements en commun (2). La première FREMM française, l’Aquitaine, a été livrée en 2012, pour un coût unitaire compris entre 800 millions et 1 milliard d’euros (3).

Les frégates réalisées dans le programme sont conçues pour être très automatisées. Concrètement, alors que les frégates anti-sous-marines de la génération précédente étaient conçues pour un équipage de 250 hommes, les nouvelles frégates prévoient d’accueillir 120 marins. De plus, les frégates ont été conçues pour pouvoir remplir une grand diversité de missions. D’un point de vue stratégique, cette vision a du sens : on se dirige sans doute vers une logique moins axée sur la force ou le tonnage, mais plus sur la maîtrise d’espaces très étendus (nécessité de lutter contre la pêche illégale, l’immigration clandestine, les trafics), tout en gardant les grandes missions de dissuasion, de projection de puissance et de présence et maîtrise des mers.

On fait donc face à des frégates moins nombreuses, qui fonctionnent avec un équipage réduit, pour assurer une grande diversité de missions ; le tout conçu dans un partenariat franco-italien pour mutualiser une partie des coûts.

Le programme FREMM préfigure-t-il une future industrie de la défense européenne ? L’avion du futur sera franco-allemand, le char du futur sera germano-français ; on peut imaginer que les bâtiments de surface du futur seront franco-italiens. D’ailleurs, Florence Parly a annoncé au salon Euronaval en octobre dernier que le programme des nouveaux ravitailleurs (FLOTLOG) seront construits dans un autrepartenariat franco-italien (5).

Pour autant, le programme des FREMM n’est pas aussi européen qu’il ne paraît : les frégates sont construites dans leur pays d’appartenance. Toutes les frégates ne sont pas identiques : par exemple, les frégates italiennes sont conçues pour un équipage de 145 marins, avec un canon à l’arrière. L’ambition originelle de maximiser les économies d’échelle en construisant une grosse série de 27 bâtiments a été réduite (seuls 20 bâtiments sortiront des chantiers). En outre, la coopération ne s’est pas étendue à l’entretien des matériels en service.

Selon un rapport d’information parlementaire français sur la conduite des programmes d’armement en coopération, réalisé en juillet 2013, « moins de 10 % du coût des études a été mutualisé, ce qui représente une économie apparente de 50 millions d’euros pour chacun des partenaires ». En d’autres termes, une somme dérisoire eu égard à l’importance du programme (1).

En fin de compte, l’exemple des FREMM est sans doute un exemple de production de programmes nationaux doublée d’une coopération pour certains équipements ciblés, plus qu’un exemple d’un vrai programme naval européen.

En conséquence, les questions concernent la concurrence et les exportations ne sont pas résolues : en octobre 2018, la France et l’Italie ont donné leur accord à une alliance entre Naval Group et Fincantieri, pour créer une société commune (projet Poseidon) et construire un champion européen dans la construction navale. Il était prévu de partager des centres et des moyens d’essais, des experts, des projets de recherche, et de préparer des offres conjointes sur le marché de l’export.

Mais cette alliance s’effectuera finalement sans prises de participation croisées. Le constat d’aujourd’hui est que la France et l’Italie se mènent une guerre sans répit dans les exportations. Du côté français, alors que Naval Group réalisait 10 % de son chiffre d’affaires à l’export il y a une dizaine d’années, son objectif est désormais de 30 % aujourd’hui, et de 50 % à moyen terme. Les FREMM ne sont pas ses seuls outils d’exportation, mais elles le sont tout de même : une frégate a été vendue à l’Égypte et une autre au Maroc. L’italie courtise également l’Égypte de son côté : elle lui a proposé d’acquérir une frégate – de production entièrement italienne. La France et l’Italie s’affrontent aussi au Brésil, qui a prévu de remplacer quatre corvettes.

Il semblerait donc que les considérations nationales priment encore dans cette coopération franco-italienne annoncée un temps comme novatrice. Pourtant, face à la toute-puissance des industriels américains et face à l’essor des groupes chinois qui exportent à bas prix, ou encore à la remontée en puissance des chantiers navals russes, la concurrence entre États membres de l’Union apparaît de plus en plus nocive aux intérêts européens. Reste désormais à savoir si le projet Poseidon et l’alliance entre Naval Group et Fincantieri continueront à prendre forme, dans un contexte diplomatique tendu entre la France et l’Italie, mais aussi dans un monde où un champion naval européen apparaît de plus en plus inévitable.

Sources :

  1. CABIROL Michel, Frégates FREMM : le mirage de la coopération franco-italienne, La Tribune, 27 aout 2018.
  2. CHAUMEIL Grégoire, Interview Vincent Martinot Lagarde, directeur des programmes Fremm DCNS, Marine Nationale, 6 juin 2011.
  3. HENROTIN Joseph, Frégates de taille intermédiaire : quelles conséquences pour la Marine nationale ?, Défense & Sécurité Internationale n°127, janvier – février 2017, p.102.
  4. MALDERA Nicolas, L’immense gâchis des frégates françaises, IFRAP, 13 février 2017.
  5. Florence Parly fait l’éloge de la coopération franco-italienne, Mer et Marine, 23 octobre 2018.

Cyrille Amand