Erevan, Bakou. Le 16 janvier dernier, les ministres des affaires étrangères arméniens et azéris se sont rencontrés à Paris. Les deux ministres, Zohrab Mnatsakanyan et Elmar Mammadyarov, étaient accompagnés de diplomates du groupe de Minsk, co-présidé par la France, les États-Unis et la Russie, dont le but est d’encourager une résolution pacifique et négociée du conflit du Karabagh. À l’issue du sommet, les deux ministres ont déclaré qu’il était désormais temps de « préparer les populations à la paix » et ont évoqué l’éventualité d’un futur sommet bilatéral entre leurs chefs d’États. De leur côté, les négociateurs du groupe de Minsk ont tenu à souligner que la mise en place d’une coopération économique pour le développement du Karabagh était une étape importante dans le processus de paix et l’ont appelé de leurs vœux (2).

Bien que les modalités concrètes soient encore à définir, l’analyste Olesya Vartanian considère qu’il pourrait s’agir dans un premier temps de donner accès à l’Arménie au chemin de fer qui relie Bakou à Kars via Tbilissi. Ceci signifierait toutefois une rupture sans précédent dans la politique extérieure de l’Azerbaïdjan, qui a fait de l’isolement de l’Arménie la clef de voûte de sa gestion du conflit depuis 1994 (3).

Ces déclarations s’inscrivent dans une histoire politique très courte, qui commence avec la révolution de velours menée en Arménie par Nikol Pachinian au printemps 2018. Contrairement aux anciens chefs d’État arméniens, Pachinian n’a pas de lien intimes avec le Haut-Karabagh. Ainsi, en septembre dernier, les dirigeants arméniens et azéris ont accepté de mettre en place un téléphone rouge entre leurs deux pays afin de faciliter les processus de désescalade en cas de tension. Puis, en décembre dernier, le président azéri Aliyev a annoncé sur Twitter que l’année 2019 s’annonçait favorable à une reprise du processus de paix. Mais surtout, il a nommé il y a quelques jours deux nouvelles personnalités à des postes stratégiques, marquant une volonté d’ouverture aux négociations. Il s’agit d’Hikmet Hajiyev, connu en privé pour sa modération sur le conflit, qui a été nommé premier conseiller à la politique étrangère, et du jeune Tural Ganjaliyev, originaire du Karabagh et réputé pour être un homme apte au dialogue, qui a été placé à la tête de la communauté des réfugiés azéris du Karabagh (1). Il s’agit sans doute d’une réponse au souhait de Pachinian d’intégrer la république autoproclamée du Karabagh à la table des négociations. Ainsi, ces nominations peuvent expliquer une volonté de contourner la diplomatie officielle des gouvernements, aux rhétoriques jusqu’au-boutistes, en faisant descendre les négociations aux échelles communautaires et locales.

Toutefois, les annonces du sommet ont été accueillies avec scepticisme par une partie des classes politiques et des populations arméniennes et azéris, car le conflit du Karabagh s’inscrit aussi dans une histoire longue, ponctuée de massacres. Pour de nombreux arméniens, le Haut-Karabagh, qu’ils nomment « Astrakh » du nom d’un ancien royaume arménien, est une terre arménienne, injustement donnée à l’Azerbaïdjan par les soviétiques dans les années 1920. Pour les Azéris, dont certains ont dû fuir la région et attendent toujours de rentrer chez eux, le gouvernement de la république autoproclamée d’Astrakh est illégitime et l’armée arménienne occupe illégalement une partie importante de leur territoire. Le conflit des mémoires, alimenté par un vif nationalisme des deux côtés, peut donc être considéré comme un obstacle majeur à la concrétisation des objectifs de paix annoncés.

Perspectives :

  • Un sommet bilatéral entre Nikol Pachinian et Ilham Aliyev pourrait impulser une véritable dynamique au processus de paix. À quelle échéance est-il possible de l’espérer ? Depuis le printemps 2018, les étapes se succèdent à une vitesse sans précédent dans l’histoire du conflit. Nikol Pachinian a annoncé il y a quelques jours qu’il s’apprêtait à rencontrer Aliyev au forum de Davos (4).
  • Comment la Russie va t’elle chercher à se situer face à ce processus dirigé par le groupe de Minsk ? Récemment, des tensions se sont fait sentir entre Moscou et Erevan, qui ont notamment débouché sur une hausse de 10 % du prix du gaz vendu à l’Arménie.

Sources :

  1. Azerbaidjani Nagorno-Karabagh community receives new head – what does this means for conflict negocations ?, Jamnews, 21 décembre 2018.
  2. Groupe de Minsk, Press Statement by the Co-Chairs of the OSCE Minsk Group, 16 janvier 2019.
  3. KUCERA Joshua, Armenia and Azerbaïdjan agree to « prepare populations for peace », Eurasianet, 17 janvier 2019.
  4. NODÉ-LANGLOIS Fabrice, Pour la petite Arménie, le Forum de Davos est un tremplin mondial, Le Figaro, 23 janvier 2019.

Benjamin Mai