Rome. Dimanche dernier, Luigi Di Maio, le vice-président du Conseil italien, a accusé la France d’appauvrir l’Afrique et d’être ainsi responsable des migrations vers l’Europe (2) : « Si aujourd’hui il y a des gens qui partent, c’est parce que certains pays européens, la France en tête, n’ont jamais cessé de coloniser des dizaines de pays africains ». La principale cause de la pauvreté africaine serait en effet, selon l’homme politique des 5 Etoiles, le Franc CFA et l’absence de souveraineté monétaire des pays africains : « Il y a des dizaines de pays africains où la France imprime une monnaie, le franc des colonies, et avec cette monnaie elle finance la dette publique française ».
L’attaque est violente et a entraîné la convocation de l’ambassadrice d’Italie par le gouvernement Français. Mais la critique est-elle pour autant valide ?
Pour rappel, le Franc CFA est la monnaie des huit États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEOMA) : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo ; et des six États membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), à savoir le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad. Ces deux zones monétaires (car il s’agit en réalité de deux monnaies différentes) sont effectivement issues de l’ancien empire colonial français et de fait les liens entre les banques centrales de ces deux zones et la Banque de France sont encore très forts.
En effet, les Francs CFA ouest-africain et de l’Afrique centrale ont une valeur arrimée à celle de l’euro (et auparavant à celle du Franc depuis l’indépendance). Ceci signifie que les pays africains concernés ne peuvent faire changer la valeur de leur monnaie librement (pas de dévaluations compétitives par exemple) mais aussi que la Banque de France a de facto un contrôle sur la quantité de liquidité en circulation dans ces pays. Ce manque d’indépendance a pu être mal vécu en Afrique : la dévaluation de 1994 a par exemple laissé des cicatrices profondes (4). Assez naturellement, le Franc CFA, qui empêche le recours à l’arme monétaire et donc impose une limite à la dépense publique des états de la zone, a été accusée d’être l’une des sources du sous-développement africain (3), notamment par Massimo Amato l’économiste Italien cité par le mouvement 5 étoiles (1). Cette affirmation mérite une étude sérieuse, et il est possible que le Franc CFA ait effectivement ralentit la croissance africaine, mais cela ne voudra toujours pas dire que le Franc CFA a une incidence sur les vagues migratoires,
Car l’arrimage à l’Euro a aussi des avantages : stabilité de la monnaie et des prix ainsi que des échanges plus faciles avec l’Europe (grâce à de moindres coûts de transaction), mais aussi et surtout avec les autres pays de la zone. C’est important car les crises monétaires sont l’un des fléaux des pays en développement et elles ont justement des conséquences terribles, notamment sur les migrations.
Prenons l’exemple de la crise du peso mexicain de 1994–1995 : elle débuta par une soudaine dévaluation du peso entraînant un retrait massif des capitaux étrangers et un effondrement incontrôlé du cours de la monnaie (réduisant ainsi considérablement le pouvoir d’achat des Mexicains). Le Mexique mettra des années à s’en remettre (le PIB par habitant n’a retrouvé son niveau de 1994 qu’en 1999, avec un retard accru dans les régions frontalières avec les États-Unis, qui ont été plus touchées) et entre 1995 et 2005 le nombre de migrants clandestins venant du Mexique aux Etats-Unis avait plus que doublé.
Au delà de l’anecdote mexicaine et sans se prononcer sur les relations entre FCFA et développement des pays africains, il paraît tout de même difficile de faire le lien avec les migrations vers l’Europe depuis les années 2010.
En effet, d’après les chiffres du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, la très grande majorité des réfugiés et demandeurs d’asile en Italie ne viennent pas des pays de la zone Franc CFA. En 2017, plus de réfugiés et demandeurs d’asile venaient du Nigeria et de l’Érythrée (82503) que de l’ensemble de la zone FCFA (72632).
Cette attaque contre la France tient donc plus de la communication que de la lutte pour les peuples africains.
Perspectives :
- La majorité des réfugiés et demandeurs d’asile en Italie ne viennent pas de la zone monétaire du Franc CFA.
- La stabilité monétaire offerte par l’arrimage à l’Euro permet peut être au contraire d’atténuer les flux migratoires.
Sources :
- CUZZOCREA Annalisa, Moneta coloniale, parla Massimo Amato, l’economista citato dai 5Stelle : « Le mie tesi sono state travisate », La Repubblica, 23 Janvier 2019.
- L’ambassadrice d’Italie convoquée par Paris après des propos de Luigi Di Maio, Le Monde, 21 Janvier 2019.
- NUBUKPO Kako, ZE BELINGA Martial, TINEL Bruno, MOUSSA DEMBELE Demba, Sortir l’Afrique de la servitude monétaire, La dispute, 2018.
- PAURON Michael, Dévaluation du franc CFA : le spectre de 1994, Jeuneafrique, 9 Novembre 2016.
Cyprien Batut