Aix-la-Chapelle. L’admission de l’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies devient une “priorité de la diplomatie franco-allemande” en vertu de l’article 8 du nouveau traité. En revanche, le partage du siège de la France n’est pas évoqué. Sachant que la réforme du Conseil de sécurité est aujourd’hui pratiquement irréalisable, Paris se contente ici de donner des gages à valeur incantatoire à son allié tout en préservant sa position. Toutefois, un pas supplémentaire est franchi par l’échange de personnel de haut rang (article 5).

Clause d’assistance mutuelle : rien de nouveau ?

Les deux Etats prévoient de se prêter assistance “par tous les moyens dont ils disposent” en cas d’agression armée. En réalité, cette clause n’est que l’affirmation de mécanismes déjà existants : l’article 42.7 du Traité sur l’Union européenne et l’article 5 de la Charte de l’OTAN. Toutefois, il est également possible de l’analyser comme un moyen de sanctuariser l’article 42.7 au même titre que l’article 5, et d’ajouter une clause supplémentaire qui doit démontrer un alignement (bien que non forcément réel) des vues stratégiques.

Maintien l’architecture actuelle de la sécurité collective

La France et l’Allemagne affirment leurs intérêts de sécurité communs dans l’article 4 du nouveau traité. Cependant, ils les placent et les font converger explicitement au sein de l’architecture de sécurité collective de l’OTAN. Le renforcement de la capacité d’action de l’Europe doit aussi renforcer l’Alliance nord-atlantique dans les termes de l’alinéa 2. Ainsi, l’affiliation assumée à l’OTAN peut être perçue comme un bis repetita du traité de l’Elysée, dans lequel Berlin avait insisté pour qu’y soit affirmée l’appartenance à l’Alliance. La divergence stratégique est donc maintenue entre Paris, qui plaide pour une plus grande autonomie et une forme de souveraineté européenne, et Berlin, qui conçoit plutôt une sorte de pilier européen au sein de l’OTAN (1).

Développement d’une culture commune

Les deux Etats prévoient de chercher à établir des positions communes “dans tous les cas où ce sera possible” (Art. 3). Cependant, Emmanuel Macron rappelait dans son discours de la Sorbonne (septembre 2017) que des positions communes ambitieuses ne sauraient être trouvées qu’en développant une culture stratégique commune. C’est précisément ce que prévoit l’alinéa 3 de l’article 4.

Le développement d’une culture stratégique commune n’est pas sans rappeler ici l’Initiative européenne d’intervention (IEI), qui a été lancée le 25 juin 2018 par la signature d’une lettre d’intention par les ministres de la défense de 9 pays européens (3). Précisément, l’IEI vise à favoriser l’émergence d’une culture stratégique européenne commune et à créer les conditions préalables pour de futurs engagements coordonnés sur tout le spectre de crise.

Opérations extérieures : vers un vrai engagement franco-allemand ?

Une “unité commune en vue d’opérations de stabilisation dans des pays tiers” est prévue à l’article 6. Des “déploiements conjoints” sont prévus à l’article 4. On peut y voir le signe d’une Allemagne moins réticente à intervenir militairement à l’étranger. Une interprétation plus ambitieuse pourra peut-être y voir le passage d’une politique d’investissement coopératif à une politique d’engagement plus offensif. En revanche, le respect des “règles nationales respectives” est maintenu dans les agissements conjoints. Autrement dit, une forte asymétrie demeure entre la procédure d’engagement des troupes françaises, extrêmement rapide et sur décision du Président de la République seul, et la plus lente décision d’engager les troupes allemandes qui dépend du Bundestag.

Politique d’exportation d’armement commune

L’article 4 (alinéa 3) prévoit que les deux Etats élaborent une approche commune en matière d’exportation d’armement. Cette question a longtemps été un point de tension majeur (3), en dépit des accords Debré/Schmidt de 1971 et de 1972, précisant qu’“aucun des deux gouvernements n’empêchera l’autre gouvernement d’exporter ou de laisser exporter dans des pays tiers des matériels d’armement issus de développement ou de production menés en coopération.” En 2014, Berlin avait par exemple bloqué la livraison de missiles anti-char MBDA ou de VAB Mark3 de Renault Trucks Defense.

Le traité d’Aix-la-Chapelle réaffirme la validité des accords Debré/Schmidt. Cependant, cette politique commune vise les projets conjoints, et exclut donc implicitement les armements nationaux, aujourd’hui majoritaires.

Un rôle à clarifier pour le Conseil de sécurité franco-allemand

Le traité prévoit à l’article 4 la création d’un Conseil de sécurité franco-allemand, qui se veut organe politique de pilotage de tous les engagements pris par les deux parties. Dans tous les cas, ce Conseil nouvellement institué trouve son inspiration dans la déclaration d’Angela Merkel devant le Parlement européen le 13 novembre. La Chancelière plaidait pour la création d’un Conseil de sécurité européen, que les membres intégreraient par rotation et qui serait en mesure de prendre des décisions rapides. Ce Conseil franco-allemand est-il la préfiguration d’un tel Conseil ?

En conclusion, le traité d’Aix-la-Chapelle confirme dans les intentions le discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron et la déclaration d’Angela Merkel devant le Parlement européen en novembre dernier. Il donne aussi de la substance politique aux projets industriels menés conjointement – l’avion du futur, mené par la France, et le char du futur, mené par l’Allemagne. Néanmoins, la valeur autre que symbolique du traité sera déterminée par la concrétisation des intentions initiales et par l’utilisation réelle des outils créés comme le Conseil de sécurité franco-allemand.

Sources :

  1. BARLUET Alain, Traité d’Aix-la-Chapelle : des petits pas dans le domaine de la défense, Le Figaro, 21 janvier 2019.
  2. Traité entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, textes français et allemand, Ministère des Affaires étrangères/Auswärtiges Amt, 22 janvier 2019.
  3. L’Initiative européenne d’intervention, Ministère des armées français, 9 novembre 2018.

Cyrille Amand