Berlin. Le Bundesamt für Verfassungsschutz, le service de renseignement qui observe la scène d’extrême droite allemande, a connu des mois mouvementés. Depuis le renvoi de son ancien directeur Hans-Georg Maaßen après de nombreuses péripéties (3) , son nouveau chef, le juriste Thomas Haldenwang, a annoncé que le parti Alternative für Deutschland (AfD) ferait l’objet d’une évaluation approfondie (2). L’organisation de jeunesse du parti « Junge Alternative » et l’aile national-conservatrice autour du baron régional de l’AfD en Thuringe Bjorn Höcke, concentrent depuis quelques mois les efforts des enquêteurs. C’est que cette dernière mouvance, qui ne cache pas ses sympathies pour les idées néo-nazies, représente depuis plusieurs années un facteur de division au sein de l’extrême-droite allemande. En 2015 la « résolution d’Erfurt » avait été publiée pour critiquer le rejet supposé par l’AfD des “mouvements citoyens et patriotes” comme Pegida et la stratégie de dédiabolisation en général, tout en demandant une “vraie confrontation avec les vieux partis” et une “vraie libération de la parole”. Elle portait les signatures de 23 membres du parti, dont Bjorn Höcke, André Poggenburg et Alexander Gauland, l’actuel co-président du parti.
Depuis, la tendance sobrement appelée « der Flügel » (l’aile) rassemble autour de Höcke les éléments les plus radicaux du parti, qui brocardent régulièrement la communication de l’AfD trop politiquement correcte à leur goût. Selon des estimations du parti lui-même, les membres de « der Flügel » représentent 20 pour cent des militants. Tout comme la « Junge Alternative », la mouvance d’ultra-droite s’est vue assigner un statut supérieur de surveillance, qui multiplie les moyens donnés aux renseignements.
Cette surveillance accrue, qui s’étendra maintenant au parti tout entier, pourrait transformer des luttes intestines en combats à couteaux tirés. Le 10 janvier dernier, le compagnon de route de Björn Höcke, André Poggenburg, a quitté l’AfD pour fonder une nouvelle formation, l’Adp (Aufbruch deutscher Patrioten, le « Renouveau des patriotes allemands ») qui entend occuper une position d’ultra-droite, emportant avec lui quelques centaines de militants. Poggenburg avait été averti à plusieurs reprises par les instances du parti pour des propos néonazis et racistes.
La transparence affichée par le nouveau président du renseignement qui annonce publiquement la mise sous surveillance provisoire de l’AfD est due à la taille significative du parti (12,6 % aux dernières élections au Bundestag), au le rôle qu’il joue dans le débat politique national et à la volonté de tenir les citoyens informés. Pour l’AfD, la mise sous surveillance apporte de l’eau au moulin d’un discours victimaire sans cesse réitéré.
En outre, un scandale de financement illégal affecte depuis novembre dernier Alice Weidel, figure de proue de l’aile libérale-conservatrice de l’AfD (4). Pendant la campagne des législatives de 2017, elle aurait bénéficié de plusieurs virements suspects venus de Suisse. Comme le révèlent des journalistes de la Süddeutsche Zeitung et de la télévision publique ARD, d’autres poids lourds du parti auraient touché des fonds venus de Suisse depuis 2017. Parmi eux, le co-président de l’AfD Jörg Meuthen et le membre de la Direction national du parti Guido Reil. Or tous deux ont été récemment nommés respectivement premier et deuxième nom sur la liste de l’AfD pour les européennes. Comme beaucoup de ses partenaires populistes européens, le parti semble plus que jamais à la croisée des chemins entre des tentations d’ultra-droite et une volonté de dédiabolisation. Prélude à une fragmentation ou crise de croissance ?
Perspectives :
- Comme expliqué il y a deux semaines dans nos colonnes (1), la question d’une sortie de l’Union, qui a été inscrite au programme de l’AfD, est un signe manifeste de la radicalisation du parti. La mise sous surveillance du parti pourrait entraîner un mouvement dans une direction opposée, le ramenant vers des positions de la droite conservatrice, sans doute au prix d’une scission avec « der Flügel ».
Sources :
- HUBLET François, L’Alternative pour l’Allemagne prépare le Dexit, La Lettre du Lundi, 6 janvier 2019.
- KLAUS Julia, AfD : Partei unter der Lupe, Die Zeit, 18 janvier 2019.
- MENNERAT Pierre, En Allemagne, mise à pied ou promotion d’un maitre-espion ?, La Lettre du Lundi, 23 septembre 2018.
- PITTELKOW Sebastian, RIEDEL Katja, Spendenaffäre : Die Swiss-Connection der AfD, Tagesschau, 18 janvier 2019.
- WEILAND Severin, AfD im Visier der Verfassungschützler : das Rechtsrisiko, Der Spiegel, 17 janvier 2019.
Pierre Mennerat