Khartoum. Depuis le 19 décembre, des centaines de manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du Soudan (3). Elles ont été déclenchées dans quelques villes par la hausse du prix du pain puis se sont multipliées rapidement et avec désormais comme mot d’ordre la démission du président Omar el-Béchir, à la tête du pays depuis 1989.
Depuis la sécession du Soudan du Sud en 2011, le Soudan a perdu les trois quarts de ses réserves d’hydrocarbures, sa principale source de revenus, et le pays peine à se relever économiquement. Associé à plusieurs années de sanctions qui ont été partiellement élevées en 2017, le pays affronte une pénurie d’hydrocarbures et de denrées alimentaires. Afin de répondre à ces difficultés et à des manifestations réprimées depuis début 2018, le président Omar el-Béchir a limogé tout le gouvernement en septembre dernier, en le faisant passer de 31 à 21 ministères (1). Malgré ces apparents efforts, le Soudan connaît une inflation autour de 70 % par an et a vu le prix des denrées alimentaires et d’autres produits doubler depuis 2017.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la hausse du prix du pain annoncée par le gouvernement : il a été multiplié par trois, passant d’une livre soudanaise à trois en l’espace d’une journée. À cela s’ajoute la décision d’el-Béchir de se présenter à un troisième mandat lors des élections de 2020, malgré l’interdiction par la constitution et par la charte de son parti. En août dernier le Parti du congrès national a en effet désigné le président el-Béchir, son leader, comme leur unique candidat à la présidentielle de 2020 et préparerait les changements nécessaires pour une éventuelle candidature de celui qui est à la tête du pays depuis 29 ans (2).
Ce qui différencie ces manifestations des précédentes, notamment en comparaison avec celles de 2013 qui ont fait 200 morts parmi les civils, est le fait qu’elles ne sont pas centralisées à Khartoum, ni menés par un groupe en particulier comme les étudiants en 2013. En effet, les premiers rassemblements se sont produits le 19 décembre dans des villes du sud et du nord et se sont rapidement multipliés dans plusieurs villes dans 15 des 18 provinces du pays, incluant des régions traditionnellement proches du président et de son parti.
Ces manifestations sont pour la plupart organisés par des associations de professionnels très hétérogènes – les syndicats étant contrôlés par le gouvernement. Les hôpitaux et les travailleurs médicaux ont été les premiers à rejoindre le mouvement de grève, conséquence de l’attaque des forces du gouvernement contre des hôpitaux où des manifestants se sont réfugiés suite aux confrontations avec les forces d’ordre. S’ajoute à cela le fait que le gouvernement réprime les manifestations de façon brutale, se servant de la police, de l’armée et des milices qui ont fait usage de balles réelles causant ainsi la mort de 22 personnes depuis le début de manifestations selon le gouvernement, tandis que d’autres organisations (Human Rights Watch) font état d’au moins le double. Les arrestations quant à elles dépassent les 800 personnes.
Le 8 janvier, la Troïka, formée par les États-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège, auxquels s’ajoute le Canada, a publié un communiqué condamnant les morts et la répression exercée par Khartoum contre des manifestations pacifiques, ajoutant que « les actions et décisions du gouvernement du Soudan dans les prochaines semaines auront un impact dans l’engagement de nos gouvernements et d’autres dans les mois et années à venir » (4). Cette déclaration pourrait peser sur Khartoum qui vient d’être effacé de la liste noire des pays qui soutiendraient des organisations terroristes dans la région. En outre, le Soudan a aussi bénéficié d’une renégociation de sa dette avec le Royaume-Uni en vertu de la coopération entre Khartoum et la Troïka sur la sécurité de la région.
Et pourtant, le président el-Béchir semble être décidé à ne rien lâcher. Des manifestations en son soutien ont également été organisées, au cours desquelles il a réaffirmé qu’il ne quitterait pas le pouvoir autrement que par des élections. De plus, Omar el-Béchir est le premier chef d’Etat en exercice condamné par la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes de guerre, et il pourrait être remis à la CPI s’il quitte la présidence du pays.
Le 11 janvier, les principaux groupes d’opposition ont annoncé le lancement de la semaine de l’intifada (“soulèvement” en arabe) dans tout le pays, invitant la population à manifester le dimanche 13 et le jeudi 17 dans toutes les villes et villages du pays (5).
Perspectives :
- L’Intifada soudanaise pourrait devenir le plus grand défi pour Omar el-Béchir depuis son arrivé au pouvoir, il y a 29 ans. Néanmoins, après presque trois décennies à la présidence, plusieurs crises et guerres, el-Béchir ne fera l’économie d’aucune mesure susceptible de lui permettre de conserver son poste.
- Face à la pression internationale, el-Béchir pourrait céder et essayer de négocier un accord de transition, notamment si la situation échappe à son contrôle. Néanmoins, quels que soient les termes d’un compromis, il sortira fragilisé de ce conflit et aura bien du mal à maintenir son emprise si l’économie du pays tarde à redémarrer.
- Avec un gouvernement fragilisé, voire un changement de gouvernement, le risque de voir le Soudan sombrer dans le chaos représenterait un danger très élevé pour tous les acteurs régionaux et internationaux. Une crise au Soudan serait un défi sécuritaire majeur dans toute la région, notamment en vue du retrait déjà en cours de l’Opération hybride de l’Union africaine et des Nations Unies au Darfour (MINUAD).
Sources :
- Crise économique au Soudan : Omar el-Béchir limoge tout le gouvernement, Jeune Afrique avec AFP, 10 septembre 2018.
- Soudan : plus de 800 arrestations depuis le début de la crise, Jeune Afrique avec AFP, 7 janvier 2019.
- Soudan : Omar el-Béchir candidat à un troisième mandat en 2020, RFI, 10 septembre 2018.
- Troika say human rights violation during Sudan protests may affect engagement with Khartoum, Sudan Tribune, 9 janvier 2018.
- Sudanese opposition calls for new protests next Sunday and Thursday, Sudan Tribune, 11 janvier 2018.
Christian Frank