Kinshasa. La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a annoncé en séance plénière les premiers résultats de l’élection présidentielle et des élections provinciales du pays. La journée du 9 janvier a été marquée par une longue attente pour les médias et les représentations diplomatiques (1). Finalement, au milieu de la nuit du 10 janvier, le nom du vainqueur présidentiel provisoire a été annoncé : Felix Tshisekedi (5). Ce résultat est une source d’embarras, sachant que les sondages pré-électoraux lui attribuaient la troisième place. Quelques heures après la proclamation, des scènes de réjouissance à Kinshasa ont alterné troubles et répression dans d’autres régions du pays.

La première réaction était préoccupante, étant donné la suspicion d’un accord entre Tshisekedi et Kabila sur le maintien du pouvoir à Kinshasa. Selon de nombreux journalistes, l’ex-président s’est révélé être le véritable chef d’orchestre de ces élections présidentielles. Dans les premières déclarations suivant sa victoire, Tshisekedi a souligné le rôle de Kabila en tant que garant démocratique. Martin Fayulu, qui venait en deuxième position, a au contraire parlé d’un « putsch électoral intolérable » (2). Un commentaire d’Emmanuel Shadary, dauphin de Kabila (arrivé troisième), est à prévoir. Le malaise a été exacerbé par les chiffres : Tshisekedi a été élu avec 38 à 39 % des voix, tandis que Fayulu est deuxième avec 34 à 35 % (Shadary étant à 25-26 %). Cette situation soulève des doutes sur le décompte des voix, amenant la Cour constitutionnelle à envisager l’idée d’un recomptage. La nouvelle a également touché une partie de la diplomatie occidentale : le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a invité les parties à apporter des éclaircissements (3).

Félix Tshisekedi a toujours été comparé à son père, Etienne. Chef de l’opposition depuis des décennies depuis Mobutu, Etienne Tshisekedi a été à plusieurs reprises candidat à la présidence, notamment après l’ouverture au pluralisme du Zaïre en 1990. Son mouvement politique, l’Union pour la démocratie et le progrès social (Udps) était parmi les plus organisés, en particulier dans le zones urbaines du centre et du sud du pays. Sa mort a été accueillie avec inquiétude par la communauté internationale : il était considéré comme la seule personnalité politique véritablement opposée au pouvoir des Kabila. Au cours de ces élections présidentielles, l’Udps a pris ses distances avec la candidature de Fayulu, soulignant la volonté de Felix Tshisekedi de se présenter seul et suscitant ainsi de nombreuses critiques. Sa victoire, si elle était confirmée, poserait une série de questions : celle du faible taux de participation (environ 50 %) et, en particulier, du rôle de l’ancienne présidence dans ce résultat. Les troubles nés spontanément (et qui auraient déjà entraîné certains décès à Kikwit) reflètent la situation d’incertitude causée par un tel résultat (4).

L’un des acteurs principaux est la société civile, laïque ou ecclésiastique, qui s’est distinguée pour mettre en place un médiation constante entre les forces politiques. La Conférence épiscopale nationale congolaise (Cenco) a joué le rôle majeur : entre le 30 décembre et le 10 janvier, elle a souligné la nécessité de transparence et de respect de toutes les parties à l’égard des résultats, en invitant à limiter au minimum les rassemblements non autorisés (5). Déjà en décembre, elle avait contribué à convaincre Fayulu de se présenter, et il n’est pas exclu qu’elle puisse devenir un acteur de plus en plus impliqué. La Ceni devra veiller à respecter les délais de rigueur, attendant la présentation de l’avis de la Cour Constitutionnelle avant d’envisager la moindre cérémonie d’officialisation du vainqueur. Tout cela se passe alors même que dans certaines circonscriptions de l’Ituri et du Nord-Kivu, le vote n’a pas encore eu lieu, ce qui fait craindre un front potentiellement explosif.

Perspectives :

  • Mars 2019 : Élections prévues dans certaines circonscriptions des provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Des villes telles que Bunia et Beni pourraient être une autre source d’inquiétude pour l’Udps, qui n’a jamais ancré son pouvoir dans les régions de l’est.
  • Difficile de définir clairement les priorités de la présidence Tshisekedi. En politique intérieure, un plan de cooptation au sein des milices armées est nécessairement la première étape pour limiter leur présence dans le pays. Pour ce faire, Tshisekedi a cependant besoin d’un réseau diplomatique fortement centralisé à Kinshasa, ce qui n’est actuellement pas possible. Le seul facteur de changement réside dans la volonté de leurs voisins (Rwanda et Ouganda) de renoncer aux parts de leurs sphères d’influence sur le territoire congolais. De même, la République Démocratique du Congo doit reconstruire ses relations géopolitiques avec la Communauté de Développement d’Afrique Australe (CDAA), dont elle est membre depuis 1998.
  • Un autre élément permettant de comprendre l’emprise de la présidence congolaise est le rôle des personnalités ayant refusé de se présenter, qui gardent une influence populaire et électorale très forte. Moise Katumbi et Jean-Pierre Bemba, qui ont soutenu Martin Fayulu, deviendront inévitablement des observateurs spéciaux. De même, l’ancien président Joseph Kabila révélera ses intentions.

Sources :

  1. FINNAN Daniel, DR Congo : South African, Zambian presidents urge “speedy” election results, RFI English, 9 janvier 2019.
  2. Présidentielle en RDC : Martin Fayulu dénonce un “hold-up électoral”, Jeune Afrique, 10 janvier 2019.
  3. RDC : le ministre français des Affaires étrangères estime les résultats “non conformes”, Jeune Afrique, 10 janvier 2019.
  4. Contestation de la victoire de Felix Tshisekedi : deux morts à Kikwit, Radio Okapi, 10 janvier 2019
  5. RDC : l’opposant Felix Tshisekedi proclamé vainqueur de la présidentielle, RFI, 10 janvier 2019.

Alessandro Rosa