Riyad. Le 27 décembre, le roi Salman a promulgué un décret royal ordonnant un remaniement gouvernemental d’ampleur. De nombreux secteurs clés de la bureaucratie saoudienne ont été affectés. Parmi les ministères épargnés par le remaniement, figurent ceux de l’Intérieur, de l’Énergie et des Finances ; mais le sort ne fut pas aussi clément pour la diplomatie saoudienne. Ibrahim al-Assaf, ancien ministre des Finances (1996-2016), et membre très respecté de la cour royale, a été nommé à la tête du ministère des Affaires Étrangères, à la place d’Adel al-Jubeir. Ce dernier, ancien ambassadeur saoudien à Washington et ministre des Affaires Étrangères, a été rétrogradé au grade de ministre d’État aux Affaires Étrangères (correspondant à une fonction de secrétaire d’État).

Al-Assaf est l’un des rares hommes politiques saoudiens de la « vieille garde » à avoir adopté Vision 2030, le plan de réformes socio-économiques initié par le prince héritier au trône, Mohammed bin Salman (MbS). La nomination de al-Assaf, figure peu habituée aux rituels diplomatiques, se veut un geste de rupture par rapport à l’action de al-Jubeir, très critiqué pour la gestion médiatique de l’affaire Khashoggi et de la guerre au Yémen. Il s’agirait donc d’un choix visant à protéger et renforcer l’image du prince héritier (1).

Parmi les personnages d’envergure récemment nommés, il convient de citer Abdullah bin Bandar bin Abdul Aziz, Khaled al-Harbi et Musaed al-Aiban, respectivement Ministre de Garde Nationale, Chef de la Direction de la Sécurité Publique et Conseiller à la Sécurité Nationale. Turki al-Shabana et Hamad al-Sheikh ont été nommés respectivement Ministre des Médias et de l’Éducation.

À ces changements au sommet de l’État s’ajoutent d’autres nominations dans les organismes clés de la bureaucratie saoudienne, tels que l’Autorité Générale des Sports (dont le nouveau patron est le prince Abdul Aziz bin Turki al-Faisal), l’Autorité Générale des Divertissements (Turki al-Alsheikh), la Commission Saoudienne pour le Tourisme et le Patrimoine Nationale (Ahmad al-Khateeb), l’Agence Spatiale Saoudienne (prince Sultan bin Salman), et la Commission Générale des Expositions et Conférences (la direction de cette dernière est désormais détenue par le ministre du commerce et des investissements, Majed al-Quassabi). De nombreux fonctionnaires saoudiens dans le monde ont également été affectés par le remaniement : entre autres, le roi Salman a rappelé le prince Mohammed bin Nawaf, ambassadeur auprès du Royaume-Uni (2).

Ce remaniement montre que le prince héritier a toujours dans l’esprit de garder à des postes clés les hommes qui lui sont fidèles, malgré quelques défections. Celle de Saud al-Qahtani par exemple, proche collaborateur de MbS, suspendu de ses fonctions de conseiller royal et actuellement l’objet d’une enquête pour son implication dans l’affaire Khashoggi. De plus, certaines nominations signifient clairement la volonté du prince héritier de constituer une équipe mélangeant jeunesse et expérience, qui fluidifie l’action du gouvernement, sans la priver de l’expérience nécessaire à la gestion de situations complexes.

Ainsi, MbS conjugue sa démonstration de force avec une tentative d’ouverture et modération envers les générations précédentes, qui sont représentées par les différents membres de la famille royale, les bin Talal, bin Faisal ou bin Bandar. En effet, ces générations-ci avaient été violemment éloignées du pouvoir par le prince héritier lui-même, lors de sa campagne anti-corruption en novembre 2017.

Le rééquilibrage du pouvoir tend essentiellement à resserrer les rangs de l’intérieur, tout en préservant MbS de nouvelles critiques, après celles de ces derniers mois (4), qui portaient sur des questions éminemment politiques (3).

Un tel remaniement d’envergure s’inscrit dans l’effort des autorités saoudiennes, et de Mohammed bin Salman en premier lieu, de donner un signal de stabilité et de changement de cap après des mois tendus et marqués par l’affaire Khashoggi, qui ont gravement nui à l’image internationale de l’Arabie Saoudite. À travers une réorganisation des services de sécurité et des structures politico-administratives nationales, le gouvernement saoudien s’emploie à réparer les faiblesses qui ont ralenti le développement des politiques réformistes de MbS.

En définitive, le remaniement de Riyad répond à une triple logique, visant à recréer un climat de confiance et de disponibilité au sein de l’élite du pays, aussi bien qu’avec les marchés financiers et la communauté internationale (5).

Perspectives :

  • Le remaniement montre une évolution de l’approche qu’a la monarchie des thèmes d’actualité. L’objectif est de définir de nouvelles étapes dans le processus de réforme et modernisation de l’État. En clair, le but du remaniement est une accélération dans le direction de Vision 2030, à travers un changement d’approche sur les problèmes qui en ont ralenti la mise en place.
  • Passée inaperçue auprès de la majorité des observateurs, la nomination de Bandar bin Abdul Aziz à la tête de la Garde Nationale représente un point en faveur de MbS, qui a poussé pour l’installation d’une figure proche. Un choix loin d’être anodin, et qui pourrait ouvrir un terrain d’affrontement avec les hommes politiques restés fidèles au prince Miteib, fils du roi Abdullah, mort en janvier 2015.
  • Le remaniement gouvernemental vise aussi, plus au moins discrètement, à garantir la succession au trône de Mohammed bin Salman ; la nomination de personnalités de confiance aux postes clé du royaume augmente les chances que ces mêmes figures entrent bientôt dans le Conseil de fidélité (l’organe responsable de déterminer la succession au trône). Les récentes nominations paraissent donc un gage que le Conseil attribuera le trône, le moment venu, à MbS.

Sources :

  1. Saudi Arabia reshuffles Council of Ministers, Al-Arabiya English, 27 décembre 2018.
  2. Saudi Arabia’s King Salman appoints new foreign minister in sweeping Cabinet reshuffle, Arab News, 27 décembre 2018.
  3. DENTICE Giuseppe, Arabie Saoudite : le “Davos du désert” dans l’ombre de l’affaire Kashoggi, La Lettre du lundi, Édition 30, 28 octobre 2018 ; DENTICE Giuseppe, Le pétrole rompt le lien entre l’Arabie Saoudite et les États-Unis, La Lettre du lundi, Édition 26, 30 septembre 2018 ; DENTICE Giuseppe, Les difficultés de la vision saoudienne, La Lettre du lundi, Édizione 24, 16 septembre 2018.
  4. HARB Imad H., The Saudi Shake-Up to Consolidate One-Man Rule, Arab Center Washington DC, 2 janvier 2019.
  5. NEREIM Vivian, Saudi Arabia’s Government Shake-Up : Four Key Takeaways, Bloomberg, 30 décembre 2018.

Giuseppe Dentice