Arts

Géopolitique du film de Noël

En cette période de fin d’année, cherchant à régaler ses lecteurs d’une publication festive, Le Grand Continent a mobilisé ses membres, correspondants et amis pour déterminer quel était LE film de Noël dans chacun des pays d’Europe.

Cette enquête, dont le caractère subjectif et relatif ne vous échappera pas, nous permet aujourd’hui de poser quelques jalons d’une géopolitique du film de Noël. Avant toute chose néanmoins, une remarque liminaire : la date du 24 décembre, cinématographiquement ou culturellement parlant, n’a pas partout la même importance. Ainsi, pour les Russes qui regardent année après année L’ironie du sort et, dans une certaine mesure, pour les Allemands qui connaissent par cœur Dinner for One, le film de fin d’année le plus aimé et le plus représentatif est celui qui est diffusé le 31 décembre au soir.

Au-delà de ces variations de date, il est possible de mettre en évidence deux films de Noël proprement européens dans la mesure où ils sont diffusés dans plusieurs États du continent. Paradoxalement, le premier d’entre eux est une comédie états-unienne réalisée en 1990, Home Alone (en V. F. « Maman j’ai raté l’avion ! »). Sa popularité est inégalée en Europe depuis la fin des années 1990. En 2010, l’opinion polonaise a d’ailleurs bruyamment protesté quand Polsat, la chaîne détentrice des droits de Kevin home alone (titre polonais du long-métrage) a décidé, une fois n’est pas coutume, de ne pas diffuser le film le soir du 24 décembre.

Tři oříšky pro Popelku (« Trois vœux pour Cendrillon ») est le deuxième film le plus diffusé en Europe à la veille de Noël. L’origine de ce « marronnier » des chaînes télévisées d’Europe centrale et de Scandinavie est également surprenante. Ce conte de fées a en effet été co-produit par deux États qui ont aujourd’hui disparu de la carte européenne : la Tchécoslovaquie et la RDA. Ce premier repérage permet donc d’esquisser qu’il existe en Europe des convergences culturelles, voire une pratique européenne du film de Noël. Ce phénomène est pourtant difficilement visible depuis la France. Notre pays tend en effet à se régaler seul, avec la Wallonie, en voyant et revoyant à chaque mois de décembre Le Père Noël est une ordure.

Une Europe américanisée ?

Que Home Alone soit le film le plus diffusé en Europe le 24 décembre étaie à première vue la thèse de « l’américanisation » progressive de la célébration de Noël sur notre continent. Dans les années 1990, Home Alone, archétype du Christmas movie hollywoodien, s’y serait imposé aussi rapidement que Santa Claus après la Seconde Guerre mondiale. Durant les années de la reconstruction, le Père Noël s’est en effet substitué en Europe occidentale au Père Fouettard, à Saint Nicolas, à l’effrayant et autrichien Krampus et aux autres créatures du folklore européen peuplant la fin de l’année.

Cette apparition quasi instantanée d’un nouveau culte s’était faite au détriment de traditions établies depuis au moins quelques siècles (car Noël est, en Europe, une fête caractéristique des époques moderne et contemporaine). Elle avait inspiré des réactions de rejet violentes de la part du clergé catholique ainsi qu’un article fameux de Claude Levi-Strauss intitulé « Le Père Noël supplicié  » et paru dans Les Temps Modernes. Partant du saisissant bûcher dressé pour une effigie du Père Noël sur le parvis de la cathédrale de Dijon le 24 décembre 1951, le célèbre anthropologue affirmait qu’il était insatisfaisant d’expliquer une si importante évolution du rituel de Noël par le seul motif de « l’américanisation » des mœurs en Europe :

Depuis trois ans environ, c’est-à-dire depuis que l’activité économique est redevenue à peu près normale, la célébration de Noël a pris en France une ampleur inconnue avant guerre. Il est certain que ce développement, tant par son importance matérielle que par les formes sous lesquelles il se produit, est un résultat direct de l’influence et du prestige des États-Unis d’Amérique (…) [Cependant], il serait trop simple d’expliquer le développement de la célébration de Noël en France par [cette] seule influence des États-Unis. L’emprunt est un fait, mais il ne porte que très incomplètement ses raisons avec lui. (…) L’usage importé n’est pas assimilé, il joue plutôt le rôle de catalyseur ; c’est-à-dire qu’il suscite, par sa seule présence, l’apparition d’un usage analogue qui était déjà présent à l’état potentiel dans le milieu secondaire.

Si l’on fait l’hypothèse que la popularité et le choix des films diffusés la veille de Noël n’obéissent pas à une logique d’imitation mais relèvent, selon les termes de Levi-Strauss, d’une « diffusion par stimulation », quel est alors « l’usage potentiel » que comble la popularité de Home Alone et des autres films de Noël sur notre continent ?

Nostalgie européenne et particularismes nationaux

Il semble que c’est en premier lieu le choix des chaînes de répéter d’une année sur l’autre la programmation d’un film le 24 décembre qui permet de transformer celui-ci en classique de Noël. Ainsi peut se développer un rituel, que le support soit un montage de séquences Disney (comme c’est le cas en Suède et au Danemark), une superproduction hollywoodienne ou une comédie féerique de l’époque soviétique. Ces trois genres de films peuvent même se trouver diffusés en parallèle ou à la suite dans certains pays. C’est par exemple le cas en Norvège, pays à la production cinématographique modeste et situé au carrefour de différentes sphères d’influence à l’époque de la guerre froide.

C’est donc finalement moins le contenu ou la nationalité du film diffusé à Noël que son caractère « traditionnel » et répété qui importe aux spectateurs. Il est donc possible de relativiser l’opposition entre pays qui importent leur film de Noël et pays qui, comme la France ou la Russie, les ont choisis parmi leur production nationale. Dans le second cas, le film de Noël a néanmoins l’intérêt supplémentaire de proposer une introduction à l’humour supposément caractéristique d’un pays. Tout comme Le Père Noël est une ordure permet de choisir son parti dans le débat visant à savoir si la comédie française est un genre intraduisible, regarder L’Ironie du Sort d’Eldar Riazanov permet de toucher sous couvert d’humour à une certaine réalité de la société soviétique :

Bien que ce film n’a jamais eu vocation à être « exportables », il constitue un point d’entrée fascinant dans la représentation que pouvait se faire d’elle-même la société soviétique sous Brejnev.

Kirill Nikitin

Les films de Noël comme odes à la justice sociale

Comme dans le conte de Dickens A Christmas Carol, nombreux sont les films de Noël européens à reposer sur une inversion (le plus souvent temporaire) des hiérarchies sociales établies. Le 24 décembre, les Allemands ont l’habitude de redécouvrir les aventures d’un petit garçon britannique habitué à la misère puis propulsé Lord. Quant aux familles suédoises, elles s’amusent ou s’offusquent tous les ans de voir le fils adolescent d’un honnête commerçant jouer les Robin des Bois et voler les cadeaux des riches pour les donner aux plus pauvres.

Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’un certain nombre des films de Noël ont été produits entre la fin des années 1970 et le début des années 1990 ou depuis 2008, deux époques où précisément la « crise » s’est imposée comme l’horizon socio-économique habituel des sociétés européennes. Leurs vertus apaisantes opèrent particulièrement dans les pays européens les plus touchés par les conséquences de la crise de 2008. Ainsi, comme le rappelle Raffaele Ventura, c’est aussi pour des raisons sociales que la popularité d’Un fauteuil pour deux ne s’est jamais démentie en Italie

Dans un pays où le marché du travail est plutôt bloqué et déterminé lourdement par les patrimoines familiaux, le renversement qui se joue entre Dan Ackroyd et Eddie Murphy exprime ce désir récurrent de « méritocratie » qui hante chaque Italien, convaincu de ne pas être reconnu à sa juste valeur.

Raffaele Ventura

Exemple de production récente de film de Noël « national », le film turc Neşeli Hayat met aussi en lumière les lignes de clivage qui peuvent traverser la société turque d’aujourd’hui :

Plus qu’un simple film de Noël, Neşeli Hayat s’inscrit dans une nouvelle vague de tragi-comédies, produites par des réalisateurs comme Ali Taner Baltaci, Ata Demirel et Cem Yılmaz, qui s’attaquent à des sujets sociétaux douloureux à travers la comédie. Les inégalités économiques, la misère sociale et les différences culturelles entre une classe moyenne supérieure occidentalisée et le reste du pays sont sous-jacentes.

Ediz Topcuoglu

Des films pour conjurer les angoisses géopolitiques ?

Servant à la fois de rituel nostalgique et d’exutoire aux frustrations sociales, le film de Noël européen peut se voir attribuer une troisième fonction : apaiser, le temps d’un film « traditionnel » et représentatif de l’esprit national, les angoisses géopolitiques qui n’ont pas manqué en cette année 2018. Ainsi, certains pourront prêter à l’énième rediffusion de la comédie romantique britannique par excellence qu’est Love Actually une coloration particulière tandis que le Brexit arrive dans moins de cent jours :

C’est probablement le dernier Noël où le Royaume-Uni sera membre de l’Union européenne. Ce film, comme les « brexiteers », participe du sentiment satiriquement décrit par la célèbre série Little Britain  : l’idée que, malgré son rôle amoindri, l’Angleterre – et il n’est vraiment question ici que de l’Angleterre – serait capable de tout faire si le pays se ralliait vraiment derrière une cause.

Ediz Topcuoglu

À lire cette analyse, en regardant encore et encore Love Actually, la société britannique anxieuse des conséquences d’un possible no deal se comporterait comme les parents qui s’efforcent de faire croire à leurs enfants au Père Noël. Pour expliquer l’amour renouvelé des Européens pour les mêmes films depuis les années 1970 ou 1990, nous pouvons donc de nouveau emprunter les mots de Levi-Strauss qui expliquait ainsi l’obstination parentale à faire croire à sa progéniture à une illusion telle que le Père Noël :

N’est-ce pas qu’au fond de nous veille toujours le désir de croire, aussi peu que ce soit, en une générosité sans contrôle, une gentillesse sans arrière-pensée ; en un bref intervalle durant lequel sont suspendues toute crainte, toute envie et toute amertume ?


Quel est LE film de Noël dans votre pays ?

Afin d’enrichir cette enquête, nous avons proposé à plusieurs membres, correspondants et amis du Grand Continent de rédiger une réponse plus détaillée à la question Quel est le film de Noël dans votre pays ?

Allemagne, par Johanna Schleyer

Der kleine Lord est l’histoire de Cédric, sept ans, qui vit avec sa mère américaine dans des conditions de vie plutôt modestes. Tout change lorsqu’il apprend qu’il est l’unique héritier du titre et de la fortune de son grand-père anglais. Il est alors censé rejoindre ce dernier dans son château et s’habituer à sa nouvelle vie en tant que Lord Fauntleroy. Arrivé dans le pays de ses ancêtres, ce n’est pas un grand-père chaleureux qui l’attend, mais un vieil homme amer, avare et dur de cœur…

Basé sur le classique littéraire du même nom de Frances Hodgson, la production de la BBC, sous la direction de Jack Gold, éclipse en 1980 le film original de 1935. Le principal responsable de cette alternance est sans doute Sir Alec Guiness, dont le jeu a su délicieusement donner vie au personnage du Comte de Dorincourt. Envoûté par le petit Lord Fauntleroy qui oppose ses vérités enfantines au mode de vie aristocratique, le vieil homme grincheux revient à la vie et à la joie, et s’amuse visiblement à jouer au football avec des boîtes de conserve et son petit-fils.

Jack Gold réussit à charmer le public avec des décors colorés, des mélodies accrocheuses et une histoire vivante. Le Petit Lord Fauntleroy demeure aujourd’hui un classique inoubliable qui s’est imposé au fil des années comme un des films de Noël les plus populaires. Année après année, autour des fêtes de fin d’année, Der kleine Lord enregistre depuis 1982 des taux d’audience qui font penser à une première free-TV [première diffusion télévisée d’un film] extrêmement attendue (et ceci à l’ère de Netflix !). Personne n’osera le contredire : Noël et Le petit Lord Fauntleroy se sont trouvés, et cela ne changera pas dans un proche avenir.

Enfin, écrire sur LE film de Noel allemand ne peut se faire sans mentionner un autre court métrage télévisé : Dinner for One. Chaque année, au réveillon du Nouvel An, les Allemands allument leurs télés pour vingt minutes et s’amusent à regarder l’histoire du 90e anniversaire de Miss Sophie…

France, par Lucie Rondeau du Noyer

En cette fin de mois de décembre, l’internet états-unien renoue avec une polémique de saison : Die Hard est-il réellement un Christmas movie ? Certes, l’action se déroule pendant le réveillon mais c’est en vain qu’on y cherchera l’expression d’un quelconque bon sentiment ou la célébration des valeurs familiales.

Ces deux thématiques pourtant considérées comme constitutives du film de Noël sont pareillement absentes du classique de la comédie française qu’est Le Père Noël est une ordure. Sorti au coeur de l’été 1982, réalisé par Jean-Marie Poiré, interprété par la troupe du Splendid et devenu progressivement culte, ce film parvient à concentrer en moins d’une heure et demi toutes les attitudes – rire jaune, grossièretés, mauvais esprit, moqueries, dérapages en tous genres – et les thématiques – suicide, sexualité, misère sociale, violence – que les Français s’efforcent d’éviter autour de la dinde et de la bûche.

Reposant sur la caricature à tout crin et le grotesque à tous les étages, Le Père Noël est une ordure réserve un traitement particulièrement acide au seul personnage non franco-français de la distribution, le voisin M. Preskovic. Celui-ci abreuve les permanents de SOS Détresse de cadeaux folkloriques et d’immondes pâtisseries évoquant une Europe de l’Est de carton-pâte. En effet, s’il est censé venir de Sofia, la recette de ses doubitchous (roulés sous les aisselles) caricature une spécialité croate. Leur nom évoque lui le terme roumain dobitoci (« imbéciles »). Il est intéressant de constater que ce voisin bulgare n’a pas trouvé de transposition dans Mixed Nuts (1994), remake américain du Père Noël… L’humour prétendument « gaulois » semble en effet peu compatible avec le Politically correct d’outre-Atlantique.

Le flop de Mixed Nuts est-il la preuve de l’exceptionnalisme, ou du moins du caractère inexportable, des comédies françaises ? Pour expliquer le peu de succès international du Père Noël est une ordure, les critiques français auront beau jeu d’affirmer que le Splendid s’inscrit dans la tradition très française du vaudeville et de citer Feydeau et Labiche. Moins charitable, The Economist affirmait en 2003 que possédant un véritable sens de l’humour, les autres peuples n’avaient pas besoin de nourrir le même goût que les Français pour les farces puériles. Comment dit-on « C’est ç’la oui » en anglais ?

Grèce, par Anastasia Kolioupoulou

En Grèce, comme partout en Europe, la période de Noël s’est commercialisée et la culture américaine est entrée dans tous les foyers grecs. En lieu et place des films en noir et blanc des années 50 et 60 qui étaient très populaires, les films comme Home Alone sont maintenant largement diffusés à la télévision grecque.

Cependant un film contemporain a réussi à échapper à ce destin d’oubli et de méconnaissance. Το τανγκό των Χριστουγέννων (“Le Tango de Noël”), sorti en 2011 en plein milieu de la crise, est un mélodrame qui traite avec finesse de sujets délicats et controversés, comme la dictature et l’homosexualité.

Le synopsis est simple et efficace. Grèce, 1970. Sous la dictature militaire des Colonels, dans une caserne au milieu de nulle part, un lieutenant convoite la femme de son supérieur et prend durant la nuit des leçons de tango avec un soldat amoureux de lui. Το τανγκό των Χριστουγέννων constitue un joli film mélancolique et nostalgique qui évoque les moments éphémères dont on se souvient toute sa vie.

Après le déclenchement de la crise en 2010, dans un contexte de frustration du peuple grec vis-à-vis du régime actuel et de ceux qui l’ont précédé, des questionnements sur la dictature et sur l’identité culturelle – ainsi que sur l’homophobie – ont émergé. Ce film reflète donc l’état d’âme des Grecs aujourd’hui, après la crise, et c’est la raison pour laquelle il a eu tant de succès. S’il fallait encore le démontrer, on relèvera que la chanson de sa bande originale, Un instant pour toujours (Mια στιγμήγια πάντα) fait partie des titres les plus entendus en hiver dans les boîtes de nuit athéniennes.

Italie, par Raffaele Ventura

Si la période de Noël est propice à la sortie dans les salles des poids lourds de la comédie graveleuse made in Italy, avec ses histoires d’adultère et ses saynettes homophobes, les véritables films des fêtes sont plutôt quelques classiques du cinéma américain, avec au sommet Un fauteuil pour deux. Fable de Noël par excellence et pilier de la culture populaire des années 1980, ce film raconte les effets d’un pari cruel entre milliardaires, sorte de réécriture du Livre de Job à Wall Street. Il s’agit pour eux de vérifier si la fortune économique dépend du talent ou bien du hasard. Ils donnent donc à un clochard noir la place d’un bourgeois blanc et découvrent, bien sûr, que les privilèges de naissance ne sont pas un gage de qualité de la performance.

Il était difficile de concevoir une parabole plus parlante des contradictions de la société libérale, qui se veut égalitaire mais n’a pu éradiquer l’influence des héritages. Il est cependant intéressant de le faire sous la forme d’un film de Noël, comme si la véritable mobilité sociale ne pouvait être conçue que sous la forme d’un conte ou d’un miracle. Dans un pays où le marché du travail est plutôt bloqué et déterminé lourdement par les patrimoines familiaux, le renversement qui se joue entre Dan Ackroyd et Eddie Murphy exprime ce désir récurrent de « méritocratie » qui hante chaque Italien, convaincu de ne pas être reconnu à sa juste valeur.

Pologne, par Kinga Torbicka

Les films pouvant être visionnés à la télévision à Noël sont divisés en deux périodes : la première jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix. La deuxième de la fin des années 90 jusqu’à aujourd’hui.

La première période, liée au contexte des événements politiques dans le pays, est celle où les comédies polonaises en noir et blanc étaient toujours diffusées à la télévision pendant les fêtes, à l’instar de Sami swoi (les familles Pawlak et Kargul, qui sont en conflit depuis de nombreuses années, sont déplacées des territoires limitrophes orientaux aux territoires recouvrés à l’Ouest ; 1967) et de Comment j’ai déclenché la Seconde Guerre mondiale (le soldat malchanceux Franek Dolas pense avoir déclenché la Seconde Guerre mondiale. Afin de briller par des actes héroïques, il s’enfonce de plus en plus dans les ennuis ; 1970). Durant cette période sont également diffusées des adaptations de classiques de la littérature polonaise, comme Potop (basé sur une partie de la trilogie culte d’Henryk Sienkiewicz. Jeune enseignant, Andrzej Kmicic doit faire de nombreux sacrifices, non seulement dans la lutte contre les ennemis de sa patrie, mais aussi en amour ; 1974) ou Nad Niemnem (adaptation du roman éponyme d’Eliza Orzeszkowa. Justyna Orzelska rencontre Jan Bohatyrowicz, celui-ci lui montre à quel point le travail est précieux ; 1987).

La deuxième période est marquée par une américanisation des films de Noël. Chaque année, vous pouvez voir obligatoirement sur toutes les chaînes Home Alone (Kevin, âgé de huit ans, reste seul à la maison à Noël, 1990) ou d’autres productions du même genre.

Royaume-Uni, par Ediz Topcuoglu

Ce 24 décembre, comme les années précédentes, les familles se réuniront partout au Royaume-Uni pour un dîner traditionnel : un jeu de Christmas crackers (aux résultats très variables) sera suivi d’un repas avec choux de Bruxelles, dinde et mince pie en dessert. Une fois les estomacs bien remplis, tout le monde s’assiéra devant la télévision pour regarder un film de Noël, et chaque famille choisira le sien. Si il y a bien une ou deux adaptations de A Christmas Carol qui seront diffusées ce soir-là, beaucoup leur préféreront un autre classique, resté bien précieusement dans sa boîte DVD depuis le réveillon dernier. Ce peut être Bridget Jones ou même About A Boy mais, dans l’immense majorité des cas, ce sera Love Actually.

Comment se fait-il que Love Actually, sorti en 2003, soit devenu la quintessence du film de Noël britannique ? Le premier critère essentiel est la présence de Hugh Grant. Difficile à croire peut-être pour ceux qui ne les connaissent pas de près, mais il s’avère que les autochtones des Îles britanniques ont une curieuse et singulière affection pour Hugh Grant. Il est présent dans tous les films de Noël et joue ici le rôle du Premier ministre. Au demeurant, le casting est excellent : Liam Neeson, Emma Thompson, Colin Firth, Bill Nighy, Alan Rickman, Rowan Atkinson…. Le réalisateur, Richard Curtis, est un vétéran de la comédie romantique qui a également dirigé Four Weddings and a Funeral, et l’histoire du film est invraisemblablement raffinée. La trame narrative suit et mêle habilement plusieurs fils conducteurs. Les transitions, fluides, sont à peine remarquables.

Chacune de ces mini-histoires est captivante en elle-même, à l’exception de la love storyentre Keira Knightley et Andrew Lincoln, qui, passable au premier visionnage, devient très vite fastidieuse quand on subit et resubit inévitablement le film chaque année. Le point d’orgue est une rencontre burlesque entre le Premier ministre britannique et le haineux président américain (Billy Bob Thornton) à la suite de laquelle, Hugh Grant – pour une raison totalement pitoyable – exprime, lors d’une conférence de presse, le sentiment de frustration généralisé des Anglais envers leurs cousins d’outre-Atlantique. Il chante ensuite les louanges de la Grande-Bretagne et devient un héros national. L’aversion des Américains se limite cependant à la politique et une des histoires narre la « conquête » de femmes américaines par un célibataire britannique, usant de tout le charme de son accent si délicieux. Le film se conclut en liant tous les fils narratifs et délivre un message positif d’unité et de rassemblement : en bref, le Christmas Spirit.

C’est probablement le dernier Noël où le Royaume-Uni sera membre de l’Union européenne. Ce film, comme les « brexiteers », participe du sentiment satiriquement décrit par la célèbre série Little Britain : l’idée que, malgré son rôle amoindri, l’Angleterre – et il n’est vraiment question ici que de l’Angleterre – serait capable de tout faire si le pays se ralliait vraiment derrière une cause. Dans la perspective actuelle d’un Brexit sans accord et d’une crise politique grave, ce sentiment est certainement l’une des causes de la croyance profonde d’une partie de la population que le Royaume-Uni peut encore obtenir un accord meilleur que celui qui a été négocié et que, libéré des contraintes de l’UE, la Grande-Bretagne brillera encore. Love Actually est donc un film pour ceux qui croient que tout ira bien ; pour les autres, il reste un voyage nostalgique à une époque où les choses semblaient plus simples.

Russie, par Kirill Nikitin

D’emblée notons que le rôle de la fête de fin d’année fédératrice est joué sur le territoire russe et dans une partie des pays de l’ex-URSS par le Jour de l’an (le Noël orthodoxe étant fêté le 7 janvier). La Russie a son lot de films qui hantent le petit écran de décembre en décembre si bien que certaines voix s’élèvent contre une programmation télé un brin conservatrice. Parmi les plus populaires, il est possible de citer deux comédies soviétiques : L’Ironie du sort et Ivan Vassilievitch change de profession.

La première, réalisée par Eldar Riazanov en 1975 et diffusée au début de l’année 1976, a tout d’un film calibré pour les fêtes. Elle met en scène l’histoire d’une rencontre improbable entre un vieux garçon, médecin de son état, et une enseignante le soir du 31 décembre. Ce vieux garçon – Zhenya Loukachine – est le type même de l’homme maladroit, gauche qui se retrouve embarqué dans une aventure rocambolesque. Alors qu’il s’apprête à fêter le Jour de l’an avec sa fiancée à Moscou, il se retrouve à Saint-Pétersbourg après une rencontre trop arrosée avec ses amis. Pourtant, il ne s’en rend pas compte, cette ville possédant une rue du même nom et un bâtiment identique à son adresse moscovite. Il se retrouve ainsi dans l’appartement de l’enseignante – Nadia Cheveleva. Si son irruption crée d’abord le scandale, une sympathie se développe entre les deux personnages au détriment de leurs fiancés respectifs.

Alternant séquences humoristiques et mélancoliques, ce film propose un curieux tableau de la société soviétique des années 1970 où les citadins évoluent dans un environnement hautement standardisé. Les petits détails qui émergent ici et là au cours des dialogues sont révélateurs du quotidien d’un pays où l’accès à certains biens (la voiture d’Hippolyte, fiancé de Nadia) est la marque d’une position privilégiée au sein de la société soviétique.

Cet ancrage dans le tous-les-jours de l’existence constitue également le fondement de Ivan Vassilievitch change de profession. Cette comédie réalisée par Leonid Gaïdaï en 1973 montre à travers le chaos provoqué par la panne d’une machine à voyager dans le temps et l’irruption d’Ivan le Terrible dans le Moscou des années 70, des citadins qui, à l’exception de l’inventeur de la machine, aspirent à un confort matériel occidental, accumulant des objets – cigarettes Marlboro, vêtements importés – qui le représentent. Notons également que le réalisateur n’hésite pas à multiplier les clins d’œil au monde du cinéma en général et aux films soviétiques en particulier. Bien que ces films n’ont jamais eu vocation à être « exportables », ils constituent un point d’entrée fascinant dans la représentation que pouvait se faire d’elle-même la société soviétique sous Brejnev.

Suède, par Åsa HellströmT

Pour ceux qui fêtent Noël en Suède, deux films se sont imposés comme des traditions incontournables. Il s’agit de Kalle Anka och hans vänner önskar God Jul (« Donald Duck et ses amis vous souhaitent un joyeux Noël ») et de Sagan om Karl-Bertil Johnssons julafton (« Le conte du réveillon de Karl-Bertil »). Chacun de ces deux films est diffusé le 24 décembre et participe de l’atmosphère des Noëls suédois.

A 15 heures, les amis et les familles, les grands et les petits, se retrouvent devant le poste pour Kalle Anka. Depuis 1960, c’est avec ce dessin animé que Noël commence et la formule est restée constante : pendant une heure alternent, dans un cadre narratif évoquant Noël, des extraits de célèbres films produits par Disney. Année après année, des courtes séquences des nouveaux Disney sont intégrées pour créer la nouveauté au milieu des clips anciens, qui demeurent majoritaires. Ces derniers créent une impression de tradition et de sécurité, tout en nourrissant un chaleureux sentiment d’appartenance. Chaque année, quand arrive l’extrait de Ferdinand le taureau, je fais une photo et l’envoie mon frère. Il adore Ferdinand le taureau ! Je le sais depuis cinquante ans… Cela remet les choses en place et me réchauffe le coeur.

Karl-Bertil Johnssons julafton est un court-métrage d’animation de 23 minutes. C’est une adaptation d’un conte de fées de Tage Danielsson, un célèbre auteur suédois. Il passe à la télévision tous les ans depuis 1975, année de sa réalisation. Il est programmé un peu plus tard que Kalle Anka la veille de Noël. Comme Robin des Bois, sa mission est de porter un petit message politique à chacun en ce jour de fête…

Âgé de 14 ans, Karl-Bertil est un grand admirateur de Robin des Bois. Il emprunte les lourds habits du Père Noël et distribue dans les faubourgs pauvres les cadeaux des plus riches. Pour cela, il s’est servi de son petit boulot au bureau de poste pour « mettre de côté » (voler !) des colis en comparant les adresses des destinataires et les revenus de leurs familles. Propriétaire d’un grand magasin, son père est contrarié des méfaits de son fils… au contraire des riches privés de leurs paquets de Noël mais bien contents d’être débarrassés de leurs cadeaux !

Une fois que vous avez regardé les deux films et méditez sur la vie, c’est vraiment Noël !

Turquie, par Ediz Topcuoglu

Ce mois-ci, un touriste qui visite les quartiers et centres commerciaux d’Istanbul, d’Ankara ou d’Izmir peinerait à se croire dans un pays censément musulman. Les centres commerciaux en particulier, devenu très nombreux lors de l’expansion économique des années 2000, rivalisent en exposant les plus grands arbres et les meilleures décorations de Noël. Il n’est pas rare non plus d’y trouver des hommes déguisés en Pères Noël et parfois des femmes en elfes dans les espaces pour enfant. Ce n’est pas un hasard donc que Neşeli Hayat, un film dont le héros est un ouvrier devenu Père Noël dans un centre commercial, soit aujourd’hui le film de Noël turc.

Néanmoins, tout cela ne signifie pas pour autant que les Turcs prennent Noël trop au sérieux. Les décorations de Noël sont en effet plus associées au Nouvel An qu’au 25 décembre, qui n’a pas de signification spirituelle en Turquie. Yılmaz Erdoğan, le scénariste, directeur et acteur principal, évoque bien le rapport des Turcs à ce jour chrétien lors de l’avant-première du film : « Nous n’avons pas de relation religieuse avec [Noël]. Nous avons une relation fondée sur une date […]. Une partie considérable d’entre nous adore ce rendez-vous occidental et nous le célébrons avec ceux que nous aimons ».

Comme la tradition de fêter Noël et les centres commerciaux où l’action se joue, ce film est récent, sorti seulement en 2009. Son nom signifie « vie joyeuse » mais les turcs le reconnaissent plus par l’appellation « le film ho ho ho de Yılmaz Erdoğan » à cause d’une des répliques récurrentes du personnage principal. C’est une comédie qui, à l’inverse du film anglo-saxon typique [Love Actually], ne se conclut pas sur l’idée que « l’esprit de Noël existe toujours ». L’amour, la famille et l’espoir sont certes des thèmes centraux mais, plus qu’un simple film de Noël, Neşeli Hayat s’inscrit dans une nouvelle vague de tragi-comédies, produites par des réalisateurs comme Ali Taner Baltaci, Ata Demirel et Cem Yılmaz, qui s’attaquent à des sujets sociétaux douloureux à travers la comédie. Néanmoins, si les inégalités économiques, la misère sociale et les différences culturelles entre une classe moyenne supérieure occidentalisée et le reste du pays sont sous-jacentes, le film reste léger et divertissant.

Il est rapporté que Saint Nicolas, réputé pour sa générosité envers les enfants, est l’origine du mythe du Père Noël. On date sa naissance autour de 280, à Gelemiş (Patara), et son tombeau, découvert en 2017, se trouve à Demre (Myra) en Turquie. Peut-être est-il donc temps de visionner le film de Noël du pays d’origine du premier Santa Claus ?

Le Grand Continent logo